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Pourquoi les jeunes montent au front

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BerlinPolitique

« Choc », « séisme », « trem­ble­ment de terre », la date du 25 mai 2014 res­tera dans les an­nales de la po­li­tique fran­çaise. Les ré­sul­tats des élec­tions eu­ro­péennes qui voient le Front Na­tio­nal ar­ri­ver en tête viennent for­mer une deuxième onde de choc après le fa­meux 21 avril 2002 et la pré­sence de Jean-Ma­rie Le Pen au deuxième tour de l’élec­tion pré­si­den­tielle fran­çaise.

Les ana­lyses de ce scru­tin pour la po­li­tique fran­çaise sont nom­breuses mais qu’en est-il vé­ri­ta­ble­ment de la vi­sion de Ma­rine Le Pen pour l’Eu­rope ? Et com­ment ex­pli­quer son suc­cès au­près des jeunes ?

Pour don­ner une idée au pu­blic al­le­mand de la po­si­tion du Front Na­tio­nal dans le spectre po­li­tique eu­ro­péen, pour­quoi ne pas pas­ser par la ré­ponse – ca­té­go­rique - de Bernd Lucke, pré­sident du parti eu­ros­cep­tique Al­ter­na­tive für Deut­schland (AfD). Lorsque je lui avais de­mandé lors de la confé­rence de presse de l’AfD si des contacts étaient éta­blis avec le Front Na­tio­nal (FN), il me ré­pon­dait  « nous avons de très grandes dif­fé­rences de concep­tion avec le Front Na­tio­nal. Ce­lui-ci veut sor­tir de l’OTAN,  re­ve­nir à un sys­tème de douanes, alors que nous sommes pour le mar­ché com­mun. Outre ces im­por­tants pro­blèmes de conte­nus, le Front Na­tio­nal ap­pa­raît comme un parti anti-im­mi­gra­tion et qui a mon­tré par le passé des res­sen­ti­ments an­ti­sé­mites. Par consé­quent, nous re­fu­sons ca­té­go­ri­que­ment tout contact avec le Front Na­tio­nal ». Donc, si tant est que l’on veuille si­tuer l’AfD à la droite de la CDU (Union chré­tienne-dé­mo­crate, ndlr) et de la CSU (Union chré­tienne-so­ciale, ndlr), alors fau­dra-t-il si­tuer le Front Na­tio­nal à la droite de la droite de la CDU ? Ce­pen­dant, il est à noter que Ma­rine Le Pen re­fuse ca­té­go­ri­que­ment– voire  me­nace de pro­cès – de se voir col­ler l’éti­quette d’ « ex­trême droite ». Une ba­taille sé­man­tique pas vrai­ment sur­pre­nante car ré­cur­rente pour le Front Na­tio­nal ou pour d’autres par­tis de ce bord po­li­tique en Eu­rope.

L’Eu­rope, « sys­tème », « caste », « tech­no­crates »

Que sou­haite donc faire Ma­rine Le Pen à Bruxelles et Stras­bourg ? La ques­tion se pose dans un pre­mier temps dans un sens très pro­saïque car la pré­si­dente du Front Na­tio­nal n’a pas pour l’ins­tant brillé par sa pré­sence au Par­le­ment eu­ro­péen, au­quel elle siège de­puis 2004. Le site de l’ONG Vo­te­Watch, qui ré­per­to­rie toutes les ac­ti­vi­tés par­le­men­taires des dé­pu­tés, classe Ma­rine Le Pen à la 701ème place (sur 766) concer­nant la pré­sence en ses­sion plé­nière. Com­pa­rée à l’en­semble de ses col­lègues eu­ro­péens, elle n’a pour­tant pas le tra­jet le plus long pour se rendre à Stras­bourg ou Bruxelles. In­ter­ro­gée sur ces chiffres, Ma­rine Le Pen ré­torque que « si j’ai le choix, je pré­fère être en France et dé­fendre la France contre l’Union eu­ro­péenne plu­tôt que d’être au Par­le­ment eu­ro­péen en train de dé­cons­truire la France ». La cri­tique de Ma­rine Le Pen contre l’Union eu­ro­péenne, c’est d’abord la cri­tique d’un « sys­tème », terme qu’elle em­ploie à l’envi ainsi que ceux d’ « élites au­to­pro­cla­mées » de « caste » ou du fa­meux « tech­no­crates de Bruxelles ». À ce titre, Ma­rine Le Pen « dénie toute cré­di­bi­lité à la Com­mis­sion eu­ro­péenne […] qui a fait tant de mal aux Fran­çais ».

L’aide des Al­le­mands pour sor­tir de l’Euro ? Vrai­ment ?

Au-delà de ces cri­tiques gé­né­ra­li­sées, Ma­rine Le Pen a plu­sieurs pro­po­si­tions aussi simples à scan­der que com­plexes à réa­li­ser. Par exemple : la sor­tie de l’Euro. Le pro­gramme du Front Na­tio­nal pré­voit que la « France re­trouve la sou­ve­rai­neté de sa mon­naie et de sa po­li­tique mo­né­taire ». Pour ce qui est du nou­veau taux de change, il se­rait là on ne peut plus simple : « la conver­sion se fe­rait au­to­ma­ti­que­ment selon la pa­rité de 1 franc = 1 euro ». Que les Al­le­mands soient pré­ve­nus, le Front Na­tio­nal compte bien sur ce point ob­te­nir le sou­tien de ses voi­sins : « le couple franco-al­le­mand doit jouer ce rôle mo­teur dans cette concer­ta­tion et cet arrêt pro­grammé de l’ex­pé­rience de l’euro. Il doit re­trou­ver l’ini­tia­tive et per­mettre à la zone euro de sor­tir du ma­rasme. L’Al­le­magne y est prête, car elle sait qu’elle ne pourra pas fi­nan­cer sans fin tout le reste de la zone. Une ma­jo­rité d’Al­le­mands (54% en oc­tobre 2011) sont fa­vo­rables à un re­tour au Mark. » 

Certes la to­ta­lité des Al­le­mands n’a pas tou­jours été eu­pho­rique vis-à-vis de l’Euro, qui plus est au cœur de la crise fi­nan­cière. Mais si elle sou­haite ar­ri­ver in­for­mée à ces hy­po­thé­tiques né­go­cia­tions, Ma­rine Le Pen pour­rait être bien avi­sée d’ac­tua­li­ser ce chiffre qui est dé­sor­mais de 27% (fin 2013) d’Al­le­mands sou­hai­tant un re­tour au Mark. Outre les son­dages d’opi­nion, res­te­rait en­suite à sa­voir quel parti al­le­mand se­rait prêt ac­tuel­le­ment à en­trer dans cette dis­cus­sion avec Ma­rine Le Pen. Même Bernd Lucke et ses 7% af­firme qu’il ne sou­haite pas prio­ri­tai­re­ment que l’Al­le­magne sorte de l’Euro.

Ma­laise pro­fond des jeunes

Enfin, l’un des chiffres ma­jeurs à re­te­nir du scru­tin, ce sont les 30% de jeunes (moins de 35 ans) qui au­raient voté pour le Front Na­tio­nal. Un chiffre en­core su­pé­rieur donc au score du Front Na­tio­nal (25%) toutes ca­té­go­ries d’âge confon­dues. Sous l’im­pul­sion de Ma­rine Le Pen, le parti fron­tiste a tenté de re­nou­ve­ler la vieille garde à sa tête par de nou­veaux vi­sages. Les jeunes fron­tistes in­ves­tissent éga­le­ment mas­si­ve­ment les mé­dias so­ciaux avec une très forte ac­ti­vité sur les blogs, les ru­briques com­men­taires des jour­naux, Fa­ce­book et Twit­ter. Ce pour­cen­tage est le sym­bole ex­trê­me­ment fort du ma­laise pro­fond de cette gé­né­ra­tion.

Certes, ce sont les re­ve­nus les plus mo­destes qui votent le plus pour le Front Na­tio­nal. Mais le chô­mage des jeunes est, avec 24% ac­tuel­le­ment, trois fois plus élevé qu’en Al­le­magne (8%). Les condi­tions mo­destes sont évi­dem­ment très ré­pan­dues dans cette gé­né­ra­tion. Pour beau­coup d’entre eux, les bien­faits de l’Union eu­ro­péenne comme la li­berté de voya­ger, d’étu­dier, de tra­vailler par­tout en Eu­rope sont mal­heu­reu­se­ment en­core bien éloi­gnés de leurs pro­blèmes quo­ti­diens. L’ur­gence est dès à pré­sent, pour les gou­ver­ne­ments na­tio­naux et pour les ins­ti­tu­tions eu­ro­péennes de s’adres­ser en prio­rité à ces jeunes, en France, en Al­le­magne, mais aussi en Es­pagne, au Por­tu­gal, en Grèce, en Croa­tie pour leur of­frir une vi­sion eu­ro­péenne d’ave­nir. Il faut évi­ter à tout prix que ne se concré­tise le cau­che­mar d’une « gé­né­ra­tion per­due » car au­tant être clair : elle ne se­rait pas per­due pour tout le monde.

Cet ar­ticle est paru dans sa ver­sion al­le­mande le 05 juin 2014 sur le site du ma­ga­zine The Eu­ro­pean.