Pour une association européenne d’intérêt général
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Le 23 juin dernier, la Commission européenne a lancé le registre volontaire des lobbyistes présents à Bruxelles. Ainsi, tout la faune des 15 000 consultants, avocats, ONGs, syndicats professionnels, groupes de pression et « cercles de réflexion » que compte le quartier européen de Bruxelles pourront rendre publics leurs revenus, leurs clients et les éventuelles subventions qu’ils reçoivent.
Pourront ? Et oui, comme son nom l’indique, ce registre n’est pas obligatoire. Mais attention, en échange de ces informations cruciales sur leurs activités, ils recevront des alertes sur les évolutions politiques à venir ! Je sais pas vous, mais moi je trouve que ça fait cher l’abonnement à la newsletter de la Commission…
Donc, et même si la Commission déclare vouloir à long terme créer un registre obligatoire commun à toutes les institutions de l’Union, il faut admettre que pour l’instant tout ça ne change pas grand-chose au problème de la transparence des affaires publiques européennes. Non seulement ce registre est volontaire, mais il ne contient aucune information sur l’identité des personnes qui arpentent les allées du pouvoir communautaire. Décidemment, les mailles du filet sont bien larges…
Et pourtant, ça vaudrait peut être le coup de mettre de l’ordre dans tout ça. En effet, en raison de la relative faiblesse administrative des institutions, il est souvent fait appel à des expertises extérieures, au travers de comités, consultations et études diverses. Ainsi, les organismes privés présents à Bruxelles ont une influence parfois décisive sur la législation communautaire (et le clament d’ailleurs sur tous les toits).
Or, on ne sait pas qui à influé sur quoi et à quel moment. La Commission avait donc lancé un débat sur la transparence au travers d’un livre vert publié le 3 mai 2006, accompagné de multiples discours sur la nécessite de renforcer l’intégrité des institutions, de contrôler les fonds communautaires etc. Force est de constater que pour l’instant la montagne a accouché d’une souris.
De toute façon, accroître la transparence du système ne réglera pas le problème fondamental posé par le lobbysme tel qu’il est pratiqué à Bruxelles. Dans le milieu européen, ça fait bien longtemps que les critiques contre l’omniprésence des intérêts privés sont balayées d’un revers de main, au nom de l’efficacité et du pragmatisme. Ceux qui dénoncent les relations parfois incestueuses entre les parlementaires, les fonctionnaires et les « professionnels des affaires publiques » sont vite taxés d’archaïsme.
L’inconvénient majeur de ce mode de fonctionnement n’est pas que des intérêts privés coexistent avec ce qui est censé être « l’intérêt général ». Non, c’est que ces intérêts privés soient tous traités de la même manière. Ainsi, un « consultant européen », qui n’est qu’une sorte de mercenaire, a le même statut et est accueilli de la même façon qu’une ONG de défense des droits de l’homme. Le problème avec le lobbysme à la bruxelloise, c’est que la puissance des groupes de pression est plus fonction de leur assise financière que des priorités politiques de l’Union.
Et oui, vous m’avez bien compris, il faut discriminer ! Dans le monde parfait de la politique post-moderne, tout se vaut, tout intérêt est légitime, parce que tout de même, je vous en prie, nous sommes entre personnes de bonne compagnie… Et bien non, les pétroliers ne sont pas les écologistes, les consommateurs ne sont pas les vendeurs de sucreries, et les vrais laboratoires de recherche ne sont pas des « cercles de réflexion » !
Alors pourquoi ne pas créer un statut spécial pour les causes qui en valent le coup ? Une sorte d’ « association européenne d’intérêt général ». Pour obtenir ce statut, il faudrait démontrer une totale indépendance vis-à-vis des entreprises ou des groupements professionnels, se concentrer sur une question précise d’intérêt général, et remplir des critères exigeants de représentativité. Ce statut pourrait également être accordé aux laboratoires qui se livrent à des activités de recherche indépendante. Ainsi, les représentants des entreprises, des syndicats professionnels ou de salariés, les cabinets consultants et d’avocats seraient exclus de ce nouveau statut.
Afin d’éviter tout querelle interinstitutionnelle, le statut d’ « association européenne d’intérêt général » serait accordé par un comité comportant des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission.
L’idée d’un statut d’association européenne n’est pas nouvelle (la première proposition en ce sens remonte à 1991), tout comme celle d’un label spécifique pour les organisations de la « société civile ». Mais ici, il s’agit de donner un peu de contenu à ce statut, de dépasser le côté symbolique. Ainsi, les groupes qui bénéficieraient de ce label auraient un accès privilégié aux locaux des institutions, et surtout aux financements et aux marchés publics communautaires. Et cerise sur le gâteau, elles bénéficieraient de la déduction fiscale dans toute l'Union pour les dons privés. Le message serait donc clair, nous avons nos petits préférés !
L’objectif de tout ça, c’est d’en finir avec cette soi disant neutralité politique qui relève plus du renoncement que d’une vision moderne des affaires publiques. Parce que l’histoire se répète toujours : à chaque fois que la puissance publique refuse de choisir son camp, ce sont les plus forts qui gagnent.