Portugal : 2500 chèvres et le Web
Published on
Translation by:
emilie dubosSur les sommets de San Pedro do Sul, au nord du Portugal, les conditions de vie n’ont guère changé depuis des siècles. Et pourtant, le monde moderne grappille quelques espaces pixellisés à un humble quotidien.
Entre les versants d’un vert saturé et les petits rochers, les maisonnettes aux toits d’ardoises de Covas do Monte se blottissent contre le vallon, comme si elles voulaient se tenir chaud contre le vent froid. Ici, tout est très calme. Soudain, un bruit de métal transperce l’air, un refrain latino retentit dans les petites ruelles de terre battue. Un chat encore endormi valse : il était installé sur le pelage brun tacheté d’une chèvre qui se réveille en sursaut. Le livreur de produits alimentaires de première nécessité vient d’arriver. Difficile de ne pas le remarquer avec sa radio à plein volume.
Aujourd’hui, pour Covas do Monte, c’est un jour tout particulier. Un groupe de jeunes Italiens, Allemands, Bulgares et Belges déambule lourdement entre les murs de pierres et d’ardoises centenaires. Ils passent une semaine au Portugal où ils sont venus participer à une rencontre de jeunes. Au programme de ce jour d’excursion : la visite d’un village de montagne dans lequel tout, ou presque, ressemble et fonctionne comme il y a 300 ans. Chaque matin, deux des cinquante-huit habitants mènent chacun leur tour les 2500 chèvres au sommet. Les autres cultivent les champs et les potagers autour du village. Avec la recette de la vente des chevreaux et des fruits, on achète ce que la terre ne peut donner.
Internet dans la stalle à chèvres
Un bon demi-siècle de progrès technique, de digitalisation et la mise en réseau de tous les habitants de la planète a laissé quelques traces, même dans ce village de montagne : une chèvre dessiné sur un panneau annonce un « Espaco Internet », au-dessus d’une étable équipée d’un accès à Internet. L’ancienne école primaire fait maintenant office de salle de télévision publique, de place de village et de bar. Ici et partout dans le village sont collés des autocollants à l’effigie de Batman. « Il habite probablement ici », suggère, pince sans rire, Tiago Marques, le guide du groupe.
Comme dans une légende qu’on leur a racontée, les jeunes visiteurs frappent aux portes pour quémander des légumes et du pain. Ils peuvent ainsi jeter un coup d’œil à l’intérieur des maisons. Dans l’une d’elles se trouve une micro-onde, ainsi qu’une cheminée à gaz et un superbe dallage dans une grande cuisine. Juste à côté, une hutte dont la visite rappelle à Alberto Cardera, de Lisbonne, son enfance en Namibie. «J’ai aussi vu plus ou moins la même chose lors de mon service civil au Guatemala », signale Almut Momsen, de Hambourg. Ceux-là ne croyaient sûrement pas qu’il existait encore de telles choses en Europe. Dans la cabane, une cuisine agencée avec les moyens du bord. L’humidité monte du sol glaiseux le long des murs de pierre. La femme leur fait visiter l’habitation, y compris la chambre à coucher, où sur un matelas large d’à peine un mètre et demi seules deux personnes très minces, ou très amoureuses, peuvent dormir confortablement. L’habitant se tait, observant les visiteurs d’un air soupçonneux.
Du Pont-neuf à la Covas do Monter
Les locaux sont peu bavards. Sauf, peut-être, un couple qui rit en notre compagnie toute l’après-midi, d’un air bon enfant face au . Ils racontent leur premier et unique voyage dans le monde : l’homme qui refuse d’utiliser une arme pour le dictateur fasciste Salazar pendant la guerre, fuit à pied par-delà les montagnes, et arrive en auto-stop jusqu’à Paris. Sa promise, habitante du village voisin, le suit dans l’aventure. Mais le mal du pays les saisit. A Paris, vivre comme journalier était ingrat. Le couple troque alors la vue du Pont Neuf et du Sacré Cœur contre les versants verts de Covas do Monte. Aujourd’hui, leurs visages aux contours nets quoique marqués par le temps, aux yeux éveillés et mobiles, témoignent d’une sérénité à toutes épreuves.« Restaurant »
Ils ont été heureux, même si la vie n’a pas toujours été facile. Mais depuis que certains ont plus que d’autres pour vivre, et que les villageois peinent à subsister comme les gens des villes, l’envie et la jalousie apparaissent. Les habitants de Covas do Monte lorgnent rapidement vers les maisons crépies qui surplombent le versant et se détachent, grotesques, des maisonnettes qui tapissent la vallée et se profilent désormais dans le crépuscule. Les enfants de ces maisons sont allés à Lisbonne pour étudier, ils reviennent peut-être encore de temps en temps passer quelques vacances. Les six jeunes hommes qui restent encore ici savent qu’on vit plus confortablement ailleurs que sur ce sol de glaise froid. Là où seule une vitrine vous sépare d’un I-pod qui joue les derniers tubes latinos.
A Covas do Monte, le bruit des pas et la musique se taisent pour aujourd’hui. Le supermarché ambulant a disparu avec le jour. Un rayon de lumière sort de l’ancienne école : 36 jeunes Européens trempent maintenant des lourdes tranches de pain de maïs dans leurs soupes et boivent du vin nouveau, encore pétillant, tandis qu’un vieux villageois, inébranlable, fixe la télévision au-dessus de la cheminée. Aujourd’hui, les visiteurs même discrets, animent la quiétude du petit village qui a vécu d’hommes et des chèvres pendant cent ans, avant que Batman et ses autocollants, la télé et le Net, n’emménagent.
Page d'acceuil photo: Böltürükin Norwegen/flickr - dans le texte : photos de Covas do Monte Hugo Ortola/flickr
Translated from Batman im Bergdorf