Pologne – Allemagne : le prix du libre marché
Published on
Translation by:
Claire SuaudUn drap sale qui traverse la douane polonaise pour être lavé avant de retourner couvrir un lit allemand. L’histoire du film The Wondrous World of Laundry, présenté à la Berlinale cette année, raconte l’impact humain de l’ouverture des frontières économiques en Europe.
La crise économique mondiale est devenue un moyen de tester la solidarité européenne. Le défi est particulièrement difficile à relever pour le gouvernement allemand : en 2009 se tiendront les élections présidentielles en Allemagne, ainsi que les élections du Parlement européen. Il est donc temps de tenir la promesse allemande d’ouverture totale du marché du travail, faite il y a cinq ans aux dix nouveaux pays membres de l’Union européenne, dont la Pologne. Au moment où le taux de chômage ne cesse de croître, autant en Europe de l'Ouest que dans les pays de l'Est, pourrons-nous surmonter la fièvre pré-électorale sans aggraver les tensions entre Varsovie et Berlin ?
« Je ne fais pas d’affaires en Pologne, mais en Europe »
Lors du lancement du film The Wondrous Word of Laundry de Hans Christian Schmid au 59e Festival du film international de Berlin, j’ai pu me rendre compte de l’importance qu’avait pris ce sujet pour les citoyens. Les entrées pour voir ce documentaire, qui raconte la vie de blanchisseuses polonaises travaillant pour une entreprise allemande de laveries, se sont vendues comme des petits pains. Quel est le secret de ce succès ? « Je voulais voir ce que ça pouvait donner, un Allemand qui fait un film sur les Polonais », m’a expliqué Isabel, une étudiante hongroise en philosophie.
Le monde de la laverie
The Wondrous Word of Laundry retrace le parcours quotidien d'un drap sale de l’un des meilleurs hôtels allemands, traversant la frontière polonaise. Entre le froissement des draps propres et le bruit assourdissant des machines à laver, Schmid nous conte les rêves et les peurs de femmes ordinaires. Les réactions du public allemand furent variées, allant de l’admiration pour le travail artistique du réalisateur jusqu’à la mise en doute de la véracité de l'histoire, en passant par la protestation contre la liberté du marché du travail et la bureaucratie européenne, jugée coupable de ce genre de pratique.
« Ce n’est pas le film du siècle », affirme Andreas, venu de Munich à la Berlinale. « Mais il en fallait un comme celui-là. En tant qu'Allemand, ça me dérange de savoir que je dors dans des draps qui ont passé la nuit en Pologne parce que ça reviendrait trop cher de les laver ici. » Alicja, de Szczecin (Pologne), qui vit en Allemagne dans le cadre du programme Erasmus, résume cette idée de façon plus directe : « Selon moi, toute cette agitation est insensée. C’est le principe de la liberté du marché du travail, qui est justement l’un des objectifs de l’Union européenne. C’est la même chose que d’aller, ici en Allemagne, dans des cafés ou des boutiques turcs, tout simplement parce que c'est moins cher. »
Les entrepreneurs allemands ne sont pas les seuls à profiter de la main d’œuvre bon marché et des mesures libérales hors de leur territoire. Le système législatif de l’Union a été bâti sur ces bases, et les hommes d’affaires agissent de la même manière pour tirer leur épingle du jeu au niveau international. Et ce n’est pas le propriétaire de Fliegel-Textilservice (société polonaise de nettoyage de produits textiles) qui dira le contraire : « Je ne fais pas d’affaires en Pologne, mais en Europe. »
Circonstances exceptionnelles
Rappelons également que selon le traité d'adhésion de 2004, qui fixe les conditions de l’élargissement de l’Union européenne à dix nouveaux Etats, chaque pays membre de la « vieille » Union dispose du droit de maintenir l’interdiction d’emploi pour les nouveaux pays membres pendant cinq ans à partir de la date de l’élargissement. En mai 2009, cela fera cinq ans que la Pologne fait partie de l’Union européenne. En accord avec ce traité, le droit au travail des Polonais ne pourra être reporté pour deux ans supplémentaires qu’en cas de circonstances exceptionnelles. La crise économique actuelle, ayant déjà engendré une augmentation du taux de chômage en Allemagne (qui a atteint les 7,9 %), est justement considérée par ce pays comme une circonstance exceptionnelle. À Bruxelles, c’est l’argument qui servira de justification pour les décisions défavorables envers la Pologne.
Qu'en pensent les Polonais ?
Ce n’est plus un secret que de dire que les relations entre les deux pays sont tendues. Il est évident que plusieurs faits, comme l’annonce du gouvernement d’Angela Merkel d’un soutien financier à la construction d’un centre d’expulsions, ou encore la référence récurrente au thème de l’indemnisation pour la perte de territoires au cours de la seconde guerre mondiale, ne contribuent pas à améliorer la situation. D’autre part, le gouvernement polonais n’a jusqu’à présent pris aucune mesure décisive pour détruire les préjugés et le manque de confiance vis-à-vis de leurs voisins occidentaux.
L’idée de Radoslaw Sikorski, le ministre des affaires étrangères polonais, de créer un musée à Berlin sur les relations entre la Pologne et l'Allemagne, afin de développer une « conscience historique commune de l’Europe », n’était qu’un geste diplomatique, qui n'a eu aucune influence sur l’opinion des citoyens. Et en Pologne aussi, la crise économique se fait sentir : le taux de chômage a atteint les 9,7 %, plusieurs entreprises prévoient de licencier rapidement, et la perspective de la récession dans les pays de l'Union a poussé de nombreux Polonais à rentrer chez eux après avoir émigré dans l'espoir de mieux gagner leur vie (l'essor d’une telle émigration avait commencé en 2004). Comme on peut le constater, les hommes politiques allemands et polonais doivent faire face à de nombreux problèmes. Mais ne l’oublions pas : la campagne électorale peut faire des miracles...
Cinéma politique ?
Hans Christian Schmid n’a pas cherché à faire un « cinéma politique », ni attendu, comme il le dit lui-même, de réactions de la part des hommes politiques ou des gouvernements, même si la sortie de The Wondrous Word of Laundry a coïncidé avec la campagne pour les élections européennes. A la question sur la possibilité de l’ouverture du marché du travail allemand aux travailleurs polonais cette année, le réalisateur répond sans hésiter : « C’est possible. C’est d’ailleurs la promesse qu’avait faite l’Union européenne : vivre et travailler dans des conditions d’égalité. Néanmoins, j’ai lu des protestations d’ouvriers anglais contre les Polonais, et je comprends leurs arguments. Il s’agit d’une décision très difficile à prendre, et très complexe. Faut-il ouvrir complètement le marché du travail ou bien au contraire, revenir sur nos pas et laisser chaque pays décider par lui-même ? » On ne peut pas ignorer que la meilleure façon d'améliorer la situation, comme le soutient Hans Christian Schmid, est de créer de bonnes conditions économiques dans les pays de l’Union européenne de façon à ce que la quête de main d’œuvre bon marché ou l’immigration des travailleurs étrangers n’en vaillent plus la peine. Tout est une question d’argent et... de liberté du marché.
Translated from Wolny rynek wszystko wybaczy?