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Polański : « j’ai failli être un acteur de petit théâtre »

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Culture

Questions souvenirs, Roman Polański n’est logiquement pas très prolixe. Pourtant, mardi dernier, le cinéaste franco-polonais n’a pas hésité à participer à une conférence intitulée « enfance perdue, enfance racontée » dans le cadre du festival du cinéma polonais Kinopolska 2013. Où il est question de poste à galène, de barbélé et d’une grosse boîte de cornichons.

Votre chef-d’œuvre Le pianiste, contient-il beaucoup de souvenirs de votre propre enfance ?

Roman Polański : C’était une occasion d’utiliser pas mal de choses que j’ai vécues à cette époque. L’entrée des Allemands dans le film, c’est exactement comment je l’ai vécu avec mon père. La première période à Varsovie, avec notre mère, n’était pas très longue, mais ça a duré quand même plusieurs semaines. Si vous voulez d’autres souvenirs, il y a cette scène où Szpilman essaie de perforer une boîte de concombres. Vous savez, quand on avait faim, maman allait chercher de la bouffe dans les ruines. Une fois, elle a apporté du sucre qu’elle a ramassé par terre, elle l’a mis dans de l’eau chaude et l’a passé sous un drap pour se débarrasser du sable qui était dedans. Une autre fois, elle est revenue avec une grosse boîte de cornichons. Nous, on était ravis parce qu’il n’y avait pas d’eau non plus. Le goût de ce premier cornichon était formidable. Bref, j’ai pensé à ça pour cette scène.

A quel moment avez-vous décidé de faire du cinéma ?

Roman Polański : Moi, je pense que la plupart des choses dans la vie, comme dans l’univers, se passent par évolution. Mais je me souviens des instants aussi importants que misérables à l’école, au début de la guerre. Je me souviens de l’épidiascope (appareil utilisé pour la projection d’images, ndlr). Ça m’a fasciné, l’appareil m’a fasciné. Puis il y a eu cette deuxième année de l’occupation. On était déjà dans le ghetto et il y avait un mur avec du barbelé. A travers ce barbelé, on voyait une place sur laquelle les Allemands, le soir, projetaient des films à l’heure libre. Chaque semaine il y avait les actualités et nous, derrière ce barbelé, on regardait des films allemands. C’était notre cinéma du ghetto. La troisième rencontre avec le cinéma s’est passée quand un garçon que je connaissais avait un petit projecteur en sa possession. Il y avait des petits bouts de film, chacun durait peut-être 30 secondes. Je suppliais ce garçon de me projeter ses images dans la salle de bain sur la serviette, mais ça m’a coûté tous mes timbres. Ces trois instants furent suivis de l’époque de Cracovie où j’allais dans des cinémas avec des graffitis sur les murs qui disaient : « seuls les porcs vont dans les salles ».

Vous êtes rentré à l’école de cinéma de Łódź de manière tout à fait naturelle, n’avez-vous jamais envisagé de faire d’autres études ?

Roman Polański: Mon envie était bien sûr de rentrer dans cette école de cinéma. Je n’ai jamais osé, même rêvé, d’être admis dans cette école. Après la guerre, j’ai construit un poste à galène (appareil primitif de radiotélégraphie, ndlr). J’étais assez fasciné par tous les trucs techniques, tout ce que je pouvais faire avec mes mains. J’essayais de construire un épidiascope avec différentes boîtes et différentes lentilles que je trouvais dans des dépôts. Puis, j’ai trouvé une galène, donc je pouvais fabriquer un petit appareil. Un jour, ils (les propriétaires d’une radio, ndlr) ont invité des enfants à effectuer des performances à la radio et bien sûr, j’ai couru pour y assister. Après m’avoir demandé mon opinion sur ces performances que d’ailleurs j’ai trouvées très peu naturelles, ils m’ont demandé si je pouvais faire mieux. J’ai dit « bien sûr » - j’étais encore plus arrogant que maintenant à cette âge, c’est normal – et comme j’étais un bon scout, j’ai développé certains monologues que j’avais appris pendant nos camps. Je me suis lancé dans l’un d’entre eux et ils m’ont engagé. Et c’est comme ça que tout a commencé.

« Vous savez, quand on avait faim, maman allait chercher de la bouffe dans les ruines »

J’ai pensé, après le bac, rentrer dans l’école des acteurs car je n’ai jamais osé envisager rentrer dans cette école de cinéma, qui était extrêmement exclusive. On ne m’a accepté dans aucune école d’acteurs. Grâce a Dieu car aujourd’hui je serais probablement acteur dans un des petits théâtres de Bydgoszcz (une petite ville au centre de la Pologne, ndlr). J’étais désespéré et j’ai alors demandé à un de mes professeurs de m’aider. Il m’a dit : « pourquoi tu n’essaies pas l’école de cinéma puisque c’est ce que tu veux vraiment faire ?  ». « Mais je n’ai aucune chance ». « Tu n’auras aucune chance si tu n’essaies pas ». J’ai essayé et voilà, je suis là aujourd’hui.

Propos recueillis par Katarzyna Piasecka lors d'une conférence de presse.

Le programme du festival Kinopolska 2013.