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Podemos : jusqu'ici, tout va bien ?

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Politique

Avec Syriza, c’est le parti qui a connu la plus grosse hype en Europe. Depuis sa création en 2014, Podemos n’a cessé de gonfler ses soutiens, sa popularité et l’ego de son leader, Pablo Iglesias. Trop ? À trois jours de pouvoir diriger l’Espagne, le parti semble connaître son premier coup de mou. Jusqu’à se dégonfler ?

Octobre 2014. À la file indienne, des centaines de milliers de personnes se tassent dans le Palais de Vistalegre, l’ancien théâtre de la corrida du sud de Madrid. Pour la plupart vêtu de jaune et de violet, ils viennent compléter les 9 000 participants venus assister à un événement historique : la première « Assemblée Citoyenne » de Podemos. Pendant deux jours, ce congrès a comme objectif le véritable acte de création du parti, la nomination de son secrétaire général et surtout, la définition de la ligne politique sur laquelle la formation est censée glisser pour gagner les élections générales du 20 décembre 2015.

Il était une base...

Au milieu des smartphones, d’une traductrice en langage des signes et de la clameur de la foule qui scande « Si se puede », il y a Javi. Cet Espagnol expatrié de 40 ans est venu de Paris par curiosité. Un an après les hostilités et 6 ans après avoir quitté son pays à cause de la crise, il récite dans un café de Ménilmontant, le chemin qu’il l’avait conduit jusqu’à Madrid. « J’avais envie de connaître la manière dont se creé un nouveau parti. J’admirais un peu Podemos à l’époque, même si je n’ai jamais joué de rôle dedans. Depuis Paris, je voyais des gens nouveaux s’attaquer à des problèmes anciens : la corruption, la monarchie, le bipartisme... », déroule-t-il. Pourtant, au soir du 19 octobre, Javi goûte peu à la messe de liesse qui a vu Pablo Iglesias prendre les rennes de Podemos. Pire, celui qui a toujours été engagé à gauche, décide de prendre ses distances.

« Lors de l’assemblée citoyenne à Madrid, Iglesias a choisi d’adopter une structure verticale. Podemos a toujours fonctionné sur une structure horizontale, défendue par les autres cadres du parti comme Pablo Echenique ou Teresa Rodriguez (issus de la Gauche anticapitaliste (IA), ndlr). À partir de ce jour, beaucoup de monde engagés à gauche se sont dit qu’on était en train de créer un nouveau parti socialiste », raconte Javi. À ses yeux, la verticalité pose deux problèmes. D’abord, c’est le système de « la caste », les partis traditionnels que Podemos condamne. Ensuite, elle implique que la prise de décision soit concentrée à Madrid, dans un pays où la centralisation du pouvoir est pensée comme une stratégie de droite. Plutôt proche de Izquierda Unida (le parti de la gauche radicale, ndlr) Javi continue tout de même d’observer la progression d’une formation dont le succès continue encore d’affoler les médias, même au-delà des Pyrénées. Le problème, c’est qu’il ne reconnaît plus les idées qui en faisaient le socle. « Ils ont commencé à changer de discours, largue Javi. Ils disaient vouloir sortir l’Espagne de l’OTAN et de la monarchie mais, soit ils changent d’avis, soit ce n’est jamais le bon moment. » Pour lui, le parti se coupe de sa base citoyenne. « À la télé, Iglesias disait les décisions ne doivent pas être prises dans un petit bar, entre les chefs. Mais après l’Assemblée de Madrid, il a fait la même chose. Cela traduit un manque de cohérence. »

L'ETA, Chavez et un Podemos de droite

Un manque de cohérence qui pourrait expliquer la stagnation de Podemos dans les sondages. Si le parti blanc et mauve n’a cessé d’élargir ses soutiens dans la première partie de l’année 2015, il est passé sous la barre des 15% des intentions de vote en octobre dernier, avant de remonter au-delà des 17% après les premiers débats télévisés. Toujours sur les talons du PSOE crédité à 19%, la formation perd du terrain face au Partido Popular (30%) et à Ciudadanos (20%). Inquiétant ? Pas du tout, selon une source proche du parti qui préfère rester anonyme. « À chaque élection, Podemos a augmenté ses soutiens. Aux européennes de mai 2014, les sondages prédisaient que nous n’allions remporter qu’un siège au Parlement européen et nous en avons obtenu 5. Aux élections andalouses de mars 2015, nous avons doublé nos voix. Lors des municipales, personne n’aurait imaginé que les principales villes d’Espagne (Madrid, Barcelone, Valence, Saragosse...) serait administrée par nos soutiens », indique-t-elle. De toute façon, au sein du parti, on se méfie des sondages autant que des politiques d’austérité. En Espagne, on appelle ça « la cocina de los datos » (la cuisine des données, ndlr). « En janvier 2015, une étude nous créditait de 28% des intentions de vote. On savait que c’était irréel et que ce chiffre avait été calculé pour construire, après coup, un récit de dégonflement selon lequel Podemos perdait de l’influence. »

Difficile d’identifier l’origine de la manœuvre tant le paysage politique entier souhaite la mort de Podemos. Le succès d’Iglesias et des siens a donné des aigreurs à toutes les forces politiques de l’Espagne. Si les leaders partis traditionnels, Mariano Rajoy en tête, ne souhaitent toujours pas croiser le fer en face à face avec leur pire cauchemar, ils ont déjà trouvé le moyen de monter leur campagne de diabolisation. Principal support ? La presse. « Franchement c’est très dur, reconnaît Javi en soufflant sur son café noisette. Les médias principaux - ABC, La Razon, La Vanguardia et même El Pais – dépeignent Podemos comme un parti extrémiste. On les a même accusés de suivre la tactique de l’ETA, de faire du terrorisme quoi ! ». Selon la légende, leurs adversaires fabriqueraient des dossiers sur leur compte, les liant à d’obscures forces boliviennes ou à Hugo Chavez. « Les journaux espagnols sont hyper-endettés donc soumis aux intérêts des créditeurs. Le pouvoir financier est proche des élites politiques traditionnelles. Le lien n’est pas difficile à faire... », envoie la source. Des élites, qui auraient eux-mêmes pavé la route ascendante de Ciudadanos, le parti qui a connu la plus nette augmentation en 2015. « Il reçoit l’aide de toutes les entreprises cotées en bourse et la bénédiction des médias, qui les présentent, sans raison, comme un Podemos de droite », ajoute Javi.

La chanson de Pablo dans El Hormiguerro.

Dans ce jeu de dupe, Podemos pare les coups. Nous sommes en campagne, les excès sont lancés comme une tactique électorale convenue. Le souci, selon Javi, c’est que les frasques de cette campagne qui n’en finit plus auraient déporté le parti sur un terrain glissant, encore une fois loin de ses bases. « Ils sont beaucoup sur les réseaux sociaux. Du coup, ils ont un peu quitté la rue. On ne les voit plus », précise-t-il. Quand son équipe de campagne résume ses idées en 140 signes, Pablo Iglesias, lui, promène son catogan et ses bracelets brésiliens de plateaux en plateaux. Dans un show à l’américaine très connu, El Hormiguero, le leader de Podemos pousse même une chanson à la guitare. « À la limite, ça ne me dérange pas, dit Javi avec un sourire. Ce qui ne me plaît pas trop, c’est qu’il fuit de plus en plus les questions embarrassantes. Il préfère aller à la télé, que tout le monde regarde, pour répondre à des interviews plus...consensuelles. » Lors d’un entretien à la radio indépendante Carne Cruda, le candidat a refusé de répondre aux questions de Javier Gallego, le directeur, au sujet d’un membre du parti qui n’aurait pas payé sa taxe professionnelle. « À la fin de l’entretien, il était furieux, raconte un journaliste de la rédaction. Il nous a dit qu’il ne comprenait pas que des amis posent des questions difficiles. Après celle-ci, il ne nous a plus jamais accordé d’interviews. »

La Remontada

Aussi vite que sa popularité grandit, une question gonfle à l’endroit du leader madrilène de 36 ans : aurait-il pris le melon ? « Non », répond catégoriquement Manuel Pacheco Fuentes, responsable du support technique chez Podemos. Pour ce Valencien de 25 ans, le parti s’est toujours construit avec les médias et on ne peut pas le taxer d’opportuniste. « Il est devenu connu du petit écran bien avant la naissance de Podemos », plante-t-il en référence aux nombreuses joutes verbales auxquelles Iglesias s’essayait lorsqu’il était encore professeur de sciences politiques. Il n’y pas lieu non plus, pour Manuel, de dire qu’il s’est coupé de sa base militante. Il détaille : « Aucune organisation politique ne dispose d’un outil aussi puissant que nos cercles de participation. C’est le moteur de Podemos, celui où tout le monde peut participer librement. Le 31 janvier 2015, on a rempli la Puerta del Sol comme ça ». Notre informateur au sein du parti renchérit : « Personne n’innove comme nous. Nous laissons la possibilité au public de poser des questions directement à Pablo, nous consacrons 300 000 euros tous les six mois pour financer des innovations sociales et n’importe qui peut voter tous les points de notre programme électoral, qui fait 314 pages. » Les gens peuvent aussi donner de l'argent à Podemos, selon un processus appelé « le débordement », afin de nourrir un budget de campagne qui atteint péniblement les 2 millions d’euros (face aux 22 millions du PP et aux 16 millions du PSOE, ndlr).

Finalement, lancé comme un obus vers un scrutin historique, Podemos a décidé de faire ce que les autres partis font. D’une, parce que leur leader qui dit « chier sur la victoire esthétique du perdant », n’a pas trouvé d’autre moyen de gagner. De deux, parce que l’année en cours l’a obligé à se battre partout, tout le temps. « Nous avons dû organiser 5 campagnes électorales. Comme dit Íñigo Errejón, notre chef de campagne et n°2 du parti,  nous avons dû courir un 100 mètres tout en faisant les lacets de nos chaussures ». Alors, seraient-ils arrivés en bout de course ? « Nous allons continuer nos efforts. 2016, sera la grande année du changement en Espagne et le parti ne sera pas épargné. On va passer d’une formation conçue comme une force pour remporter les élections à un parti orienté vers la transformation du pays. Sans jamais nous détourner des gens d’en bas. » 

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.