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Peut-on encore rêver en Palestine ?

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Dyadiques est un projet éditorial qui donne la parole à ceux qui font bouger les choses de l'Afrique du Nord au Moyen-Orient. Régulièrement, Dyadiques proposera des interviews d'activistes du monde arabe et nous invitera au dialogue avec cette jeunesse oubliée.

En sociologie, une dyade (du grec : δυάς – Dyas, « couple ») est un groupe de deux personnes, le plus petit groupe social possible. L’adjectif « dyadique » décrit quant à lui leur interaction. Le projet et son format permettent une conversation intime qui engage l'ouverture des invités.

« Il me manque un rêve. C'est le plus grand vide de ma vie. Mes grands-parents, eux, avaient le rêve de rentrer chez eux, serrant fort les clés rouillées de leurs anciennes maisons, et mes parents espéraient que les accords d’Oslo deviennent réalité. Il suffisait d’être patients. Ma génération a rêvé de prendre sa liberté, à n’importe quel prix. Quand je regarde mes enfants, j'aimerais avoir un rêve pour eux. Mais je n’en ai pas... Je n’arrive pas à imaginer ce à quoi ils pourraient rêver. Qui peut vivre notre vie sans avoir un rêve ? La Palestine a toujours existé dans les rêves de son peuple : quelle sera la Palestine de mes enfants ? »

Qusay parle parfaitement l’italien. Il a étudié à Pérouse, et a travaillé comme professeur pendant plusieurs années. Il a livré sa bataille, comme tous les Palestiniens. Sa génération est celle de ceux qui avaient 20 ans lors de la seconde Intifada (période de violence israélo-palestinienne qui débute en septembre 2000 à la suite de la visite du chef du Likoud, Ariel Sharon, ndlr). Il a payé pour son rêve, à prix fort.

« Je regardais mon père, un ancien militant du Front populaire (de libération de la Palestine (FPLP), ndlr), et nous nous disputions tous les jours. Ma mère pleurait alors que nous hurlions dans la cuisine. Mon père et sa vision du monde... Il y a 20 ans, c’était le Hamas qui semblait être son plus grand ennemi plutôt qu’Israël. Aujourd’hui, mon père est mort et je voudrais lui demander pardon, parce qu’il avait raison à propos du Hamas. Non pas que j’étais des leurs à l’époque, bien au contraire, mais après la promenade d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des Mosquées en 2000, j’étais furieux, comme tout le monde autour de moi. Je criais à mon père qu’il pouvait se les mettre dans le derrière, les accords d’Oslo, qu’il s’était fait avoir, qu’il était temps de prendre sa liberté. En fin de compte, c’est lui qui avait raison, on s’est fait massacrer : on était convaincus qu’on serait arrivés à une solution. Mais ça ne s’est pas produit. »

La Palestine a toujours existé dans les rêves de son peuple

Qusay est surpris par l’année 2011. Blessé, mais en vie. « On regardait la TV bouche bée, on n’en croyait pas nos yeux. Le simple fait que cela puisse se faire, c’était un miracle. On avait nos Ben Ali, nos Kadhafi. À nos yeux, il n’y avait pas beaucoup de différences entre la bande du Fatah et celle de l’OLP (L’Organisation de libération de la Palestine). L’occupation israélienne leur a conféré une légitimité. Les Israéliens sont devenus leurs principaux alliés : ils avaient vendu nos vies pour leur pouvoir. Le Hamas était différent, mais au fond, lui aussi s’était emparé de la bande de Gaza et avait divisé le peuple palestinien pour consolider son pouvoir. Le Hamas était moins corrompu que le Fatah, du moins au début, mais la logique du pouvoir était la même. On s’est organisés, et le mouvement GYBO (Gaza Youth Breaks Out) a été notre printemps. Ce n'était pas un printemps de la masse populaire comme dans d’autres pays, car nombreux étaient ceux répondant à des logiques quasi claniques d’appartenance aux partis traditionnels, parfois pour des affaires de famille. Mais nous étions là nous aussi et, après de nombreuses années, Gaza et la Cisjordanie comptaient une plateforme de jeunes qui réclamaient la même chose. Ils nous ont massacrés et pour une fois, ce n’était pas les Israéliens qui nous ont arrêtés et tabassés, mais le Hamas et le Fatah. Et dans le cas de Vittorio Arrigoni (militant pacifiste italien et pro-palestinien assassiné à Gaza par des terroristes salafistes, ndlr) et de Juliano Mer-Khamis (acteur et réalisateur arabe-israélien assassiné au nord de la Cisjordanie, ndlr) à Jénine, ils ont aussi fait feu. J’en suis certain. Aujourd’hui, à l’occasion du dixième anniversaire des révoltes arabes, je lis des hors-séries et des dossiers et parfois, je me dit que nous n’avons même pas la consolation que l’on se souvienne de nous ».

L’Intifada des couteaux

Qusay n’est pas surpris par l’énième massacre. « Ariel Sharon (ancien Premier ministre d'Israël de 2001 à 2006, ndlr) a réussi la plus grande opération narrative de l’histoire. Il a saisi ce qu’il se passait dans le monde après l’attaque des tours jumelles (du World Trade Center, ndlr). Il est parvenu à retourner la situation, à faire passer la résistance palestinienne pour du terrorisme, à la place de la lutte pour la libération du dernier système colonial, de l’apartheid, de l’occupation militaire du monde. Benyamin Netanyahou (Premier ministre d'Israël de 1996 à 1999 puis de 2009 à 2021, ndlr) a terminé le travail, prêt à tout pour le pouvoir. Il a institutionalisé les pires instincts de la société israélienne. Nous, nous sommes ici, fatigués, divisés. Nombreux sont ceux en Cisjordanie qui n’ont plus le temps. Ils veulent vivre. Ils ont vu filer tous leurs rêves. Ils n’ont qu’une seule vie. Ils l’acceptent et se réconcilient avec la dure réalité. Cela a fini par dresser les Palestiniens les uns contre les autres. Quelques biens de consommation et du calme relatif, sans dignité, en a refroidi beaucoup. Alors qu’au contraire, ceux des camps de réfugiés n’ont rien à perdre et sont de plus en plus féroces et séparés du reste de la société ».

En Palestine, il n’existe plus de perspective, ni nationale, car il y a de plus en plus de gens qui réalisent que le rêve d’un État indépendant s’émiette, ni internationale, car le pouvoir narratif d’Israël parvient depuis longtemps déjà à manipuler le discours en l’éloignant de son cœur : le respect des droits de l’homme.

« La complexité, c’est une famille assiégée par des colons qui veulent s’emparer de leur maison. »

Qusay est cependant descendu dans la rue en réponse aux événements de mai 2021. « Vous ne pouvez pas ne pas le faire, même si vous avez le cœur gros. Ils sont en train de massacrer les habitants de Gaza, comme d’habitude. Le Hamas a voulu participer à la lutte pour Jérusalem, qui à l'origine n'avait pas pour volonté d'être un mouvement politique national et international, mais seulement des familles qui résistent avec désespoir contre une ignoble expulsion ».

Aucun des gouvernements en Europe ou ailleurs dans le monde n’a clairement déclaré que les expulsions devaient cesser, tout en persistant à faire des déclarations une situation jugée complexe. « La complexité c’est une famille assiégée par des colons qui veulent s’emparer de leur maison. C’est quelque chose de primitif, de féroce, de violent. Mais cela, vous ne le voyez pas. Vous ne voulez pas le voir ».

Palestina
Gaza

« Je vois des jeunes dépourvus de rêves et uniquement plein de rage qui se font massacrer. Ils l’ont baptisée l’Intifada des couteaux (de jeunes Palestiniens perpètrent des attaques à l’arme blanche sur les Israéliens depuis 2015, ndlr). À un certain moment, pour moi, cela ressemblait à des sacrifices rituels. Des corps vides qui se font abattre pour donner un sens à la vie à travers la mort. Je regarde mes enfants et j’espère qu’ils ont un rêve à eux. Je ne sais pas lequel ce sera. Mais une vie sans rêves ne vaut pas la peine d’être vécue, que ce soit en Palestine ou ailleurs. Il y a cependant une chose dont je suis convaincu : il y a certaines vies que l’on ne peut pas comprendre sans en porter le fardeau ».


Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat éditorial avec le magazine QCodeMag. L’article, réédité par la rédaction de Cafébabel, est signé Christian Elia. Il a été originairement publié sur QCodeMag le 17 mai 2021.

QCodMag

Photo de couverture: ©Gianluca Cecere

Story by

Translated from Sognando Palestina