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Personne ne devrait faire ça : le suicide politique en Europe

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Politique

Le livre du président français a consterné l’ensemble de la société française, de son propre camp jusqu’à ses plus grands détracteurs. Aussi incroyable qu’il puisse paraître, le délire kamikaze de François Hollande n’est pas unique en son genre sur le Vieux Continent. Petit précis du suicide politique en Europe. 

Le bouquin final

En France, on l’appelle « le livre ». Depuis un mois, le livre des confessions de François Hollande, Un Président ne devrait pas dire ça, électrise le pays en phagocytant absolument toutes les déclarations des responsables politiques. Sur près de 700 pages, le président française se livre sur son quinquennat avec une franchise à faire pâlir Donald Trump. Parfois sortis de leur contexte, les morceaux choisis par la presse sont savoureux. Les réfugiés ? « Il y a trop d’immigration. » Les magistrats ? « Des lâches. » Les footballeurs ? « Des gosses mal éduqués. » Ce qui devait être l’acte de bilan d’un quinquennat pénible s’est soudainement transformé en hara-kiri pour le chef d’État. François Hollande est définitivement lâché dans les sondages avec 14% d’opinions positives. Une dernière enquête souligne que seuls 4% des Français sont satisfaits de son action. Lâché, aussi, par ses plus fervents soutien. Ses « amis » qui se sentent « trahis » en déclarant simplement que « tout est dans le titre ». Le président français doit toujours se prononcer sur ses intentions de participer à la primaire socialiste de janvier prochain et ainsi se déclarer candidat à la présidentielle dans six mois. Plus personne n’y croit.

Faire un BILD

Il n’aura fallu qu’une minute. Une minute d’un message vocal, colligée dans un email, qui après une longue série d’accusations aura finalement fait tomber le président de l’Allemagne fédérale. En personne, ce dernier a essayé de joindre au téléphone le rédacteur en chef du journal le plus populaire du pays, le BILD. Il ne l’a jamais eu. Du coup, le président a laissé un message dans lequel il expliquait vertement que si le journal laisser passer « cet article sur lui », il s’en occuperait lui même et déclencherait « une guerre ». Il n’aura fallu que quelques heures pour que le message soit publié par tous les principaux médias allemands et quelques semaines, pour qu’un article révèle  que le président de l’Allemagne a démissionné.

Et pourtant, tout allait si bien. Au cours de sa vie, Christian Wulff a tranquillement grimpé l’échelle sociale et politique pour devenir par deux fois ministre-président de Basse-Saxe. Wulff savoure et profite de la fonction. Il passe des vacances de luxe aux frais de ses amis plein aux as. L’un d’entre eux l’aidera même à payer sa villa en lui faisant bénéficier d’un crédit qui défie toute statistique. Un taux si bas qu’il attirera l’attention des médias, notamment celle du BILD, qui enquête et qui trouve des éléments compromettants. Wulff le sait et essaie donc d’empêcher la publication des révélations dans une minute de colère au bout du fil, qui lui fera tout perdre.

ETA de fait

11 mars 2004. L’Espagne connaît l’une des pires tragédies de son histoire. 191 personnes périssent dans les attentats perpétrés par Al-Qaida dans trois gares et un train de Madrid. Le dimanche suivant, le pays organise ses élections générales. Plongée dans un deuil national, tout semble indiquer que la population reconduira le Partido Popular (PP) - d’un certain Mariano Rajoy - au pouvoir. Pourtant, c’est l’ensemble de la droite espagnole qui se saborde lorsqu’elle s’entête à affirmer que l’attentat n’a pas été commis par Al-Qaida mais par l’ETA, le groupe armé indépendantiste basque. Elle en est tellement convaincue qu’elle parvient à exercer une pression telle que la télévision publique déprogramme un film pour diffuser un documentaire sur l’ETA. Seulement, le groupe armé dément dans la foulée et l’enquête précise de plus en plus la piste islamique. Un camouflet pour le PP dont personne n'a compris l’intérêt : pourquoi mentir sur un drame aussi cru ? L’électorat, lui, ne pardonne pas. Le PSOE (la gauche, ndlr) remportera les élections avec 5 points d’avance.

La tactique, c’est l’arnaque

En politique, la tactique se paie cher. En Pologne, elle se paie cash. Lorsque Grzegorz Schetyna, fringuant membre de la Plate-forme civique (parti de centre-droit, ndlr) déclare dans une interview que son parti compte virer à droite, il oublie quelque chose. Il existe déjà un parti bien calé sur l’échiquier politique polonais. Il s’agit du PiS (Droit et Justice) qui non seulement prend de plus de plus de dimension lors de cette campagne des législatives de 2015 mais peut aussi compter sur une solide base d’électeurs. Personne ne suivra la tactique de Schetyna dont la réserve de voix s’éparpille entre les toutes nouvelles formations : .Nowoczesna (« .Moderne », libéral) et Razem (« Ensemble », social-démocrate). Finalement, Plate-forme civique (PO) perdra 29 sénateurs et 64 députés lors des élections parlementaires de 2015 au profit du PiS. Cela dit, le parti n’est pas rancunier puisque Grzegorz Schetyna sera élu président du PO en début d’année 2016.

3 hommes, 3 enterrements

Au Royaume-Uni, le suicide politique ressemble à son célèbre humour noir : difficile de voir où il veut en venir au départ, il fait rire tout le monde à la fin. Spécialité toute britannique, c’est donc avec panache que l’ancien premier ministre, David Cameron, s’est tiré une balle dans le pied en organisant un référendum sur la sortie ou le maintien du pays dans l’UE. La suite est connue et pourtant, les épilogues du Brexit starring Boris Johnson, Theresa May ou Nigel Farage font toujours autant rire.

Autre temps, autre mœurs, Tony Blair a réussi le coup impossible : se suicider à titre posthume. Lors de son mandat à la tête du pays que l’on appelait alors « Cool Britannia », le premier ministre travailliste a engagé son parti sur la droite et sa nation... vers la guerre en Irak. La suite est connue et aujourd’hui, se faire traiter de « Blairite » est devenu synonyme de fin de carrière.

Enfin, Nick Clegg. En 2010, le chef des Libéraux-Démocrates doit son ascension politique au vote des jeunes qui lui permet de former une coalition avec Cameron. Dans la foulée, il signe avec 1 000 autres membres du Lib Dems et du Labour une promesse écrite selon laquelle les frais de scolarité n’augmenteront pas. Une fois élu, Clegg retourne sa veste et vote pour l’augmentation de ces frais. Une fâcheuse trahison qui lui coutera 30 points dans les sondages en 2011 et sa place de leader du Lib Dems en 2015.

Marino d’eau douce

Pas besoin de remonter bien loin si l’on veut parler de suicide politique en Italie. Il suffit de jeter un œil sur l’administration de la capitale de ces 36 derniers mois et raconter les folles aventures de l’ancien maire de Rome, Ignazio Marino. D’abord le look, qui renvoie plus à un touriste en sacoche-banane qu’au premier résident du Campidoglio. Ensuite, le suicide. Fragilisé par des accusations de corruption concernant certains diners ou cadeaux réglés avec de l’argent public (pour lesquelles il a été blanchi, ndlr) Marino a surtout laissé mariner le problème n°1 de la Villé Éternelle : le scandale de Mafia Capitale qui a révélé l’énorme réseau mafieux qui régnait sur les affaires publiques de la ville. Lorsqu’il est interrogé sur la question, l’intéressé répond : « Je n’en savais rien ». Le problème ? Son ignorance puisque Ignazio Marino ne savait véritablement rien de rien de l’affaire qui secouera le pays pendant des années. C'est la première fois en Italie que l’on reproche à un élu de ne pas être (du tout) impliqué dans un scandale politique.

La naïveté du maire de Rome dépasse même les frontières. En 2015, lors d’un voyage à Philadelphie, il fanfaronne en lançant que l’entourage du pape l’a personnellement invité pour visiter la ville de la côte est des États-Unis. Sauf que non, ce n’est pas vrai. Tellement faux que le pape François en personne dira publiquement : « Je n’ai jamais invité le maire Marino, c’est clair ? ». L’humiliation de trop pour Ignazio Marino qui démissionnera dans la tristesse. Quoi que 17 jours plus tard, il changera d’avis. Mais trop tard, le parti ne veut plus d’un homme italien qui ne connaît ni le pape, ni la mafia.

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Merci à Stefano Fasano, Ana Valiente, Sophie Rebmann, Phil Wilson Bayles et Katarzyna Piasecka.

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.