Père Pino Puglisi: un professeur de liberté
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Selenia ScalaCette fois nous raconterons l'histoire d'un prêtre de banlieue, qui fit souffler sur le quartier de Brancaccio, bastion de la mafia palermitaine, un nouveau vent de liberté. Qui était donc père Pino Puglisi, le curé qui ne craignait pas la parole des violents mais le silence des innocents ?
« Don Pino sourit. Un sourire étrange, calme, comme surgi des profondeurs de la mer, lorsque sa surface est en tempête. Je me souviens encore de ma première leçon avec lui . Il était arrivé avec une boîte en carton. Il l'avait mise au centre de la salle et nous avait demandé ce qu'il y avait dedans. Personne n'avait trouvé de réponse. Puis il avait sauté sur la boîte et l'avait écrasée. « Il n'y a rien. Il n'y a que moi. Moi qui suis un casse-pieds et qui casse les boîtes* ». Et c'était vrai. Un type qui casse les boîtes où tu te caches, les boîtes où on t'emprisonne, les boîtes des lieux communs, les boîtes des mots vides, les boîtes qui séparent un homme d'un autre homme. »
* Ndt : « Rompiscatole » (littéralement « casse-boîtes) est l'équivalent italien de « casse-pieds » en français.
D'Avenia, A. ( 2014), Ciò che inferno non è.Milano, Mondadori
15 Septembre 1993, père Pino Puglisi, « 3P » comme l'appelaient ses jeunes, sourit à ses assassins, reçoit un coup de feu en pleine tête, tombe à terre, agonisant, dans une mare de sang, et meurt à l'hôpital Buccheri La Ferla le jour de son cinquante-sixième anniversaire. La plupart des journalistes, qui, en cette période, se pressaient à Palerme, ignorait qui était ce curé assassiné à Brancaccio. Il était inconnu du grand public. Le lendemain, les journaux titraient: « Prêtre antimafia assassiné », mais jamais père Pino ne se serait reconnu dans cette définition.
Qu'avait fait cet humble curé pour mériter un tel sort ? Pour la première fois, la mafia tuait un prêtre à cause de ses actions paroissiales : qu'est ce qui l'avait poussée à prendre une telle décision ? Qui était Don Pino ?
Qui était Don Pino
« Puglisi est avant tout un prêtre », dit Vincenzo Ceruso, auteur du livre A Mani Nude et grand connaisseur de la figure de 3P . C'était un enseignant de prière, un homme attentif à la souffrance des autres, qui ne concevait pas la foi comme une fin en soi, mais qui se retroussait les manches, parce qu'il croyait en ceux qui font quelque chose pour les autres, quelque chose de concret.
Giuseppe Puglisi naît à Brancaccio, mais son histoire le tient éloigné de ce quartier de banlieue, jusqu'en 1990, année où il est nommé curé de la paroisse de San Gaetano, au cœur du fief de Bagarella et des frères Graviano. On ne peut vraiment comprendre la figure de Padre Puglisi sans la replacer dans son contexte. Ces années sont des années de massacres, qui remuent les consciences de la ville, mais pas celles des banlieues. Pas à Brancaccio. La mafia est au coeur d'une très violente attaque contre la société civile. Elle s'en prend à l’État, mais aussi à l’Église : après les massacres de Capaci et via D'Amelio, deux bombes explosent à quatre minutes d'intervalle, devant les églises de S . Giorgio al Velabro et S . Giovanni in Laterano. Ces attaques partent également de Brancaccio .
Or, c'est justement là que père Pino est curé. Il commence aussitôt à faire comprendre qu'il est différent, qu'il ne conçoit pas que dans un quartier aussi pauvre, on puisse dépenser des millions de lires pour la fête de San Gaetano. Il n'accepte aucune donation des milieux proches de la politique, il refuse toute requête qui n'ait pour fin la prière, la charité et le bien être de ses jeunes et des paroissiens. Après les paroles du pape Jean Paul II à la vallée des Temples en mai 1993 , il est le symbole vivant d'une Église qui prend enfin une position claire.
La liberté naît des jeunes
Les jeunes. Un chapitre incontournable pour raconter ce que fit Don Puglisi. Les enfants d'un quartier comme Brancaccio deviennent adultes très tôt, ils grandissent avec la violence pour seul modèle. Pour eux, le plus fort est celui qui opprime le mieux les autres. Ils connaissent la pauvreté et ils sont une proie facile pour la mafia qui les recrute comme hommes de main. Une réalité totalement inconnue aux jeunes du lycée des beaux quartiers de Palerme, où enseigne Père Pino. Grâce à lui, ces deux mondes se rencontrent : il ramène de nouvelles forces dans le quartier, il brise les barrières. Ce sont des jeunes qui aident d'autres jeunes. Il leur apprend à jouer, à se demander pardon l'un à l'autre, il leur donne la possibilité d'étudier, il leur fait comprendre qu'une alternative est possible.
Un centre constitué avec un crédit et les donations des gens de Brancaccio
« L'ouverture de ce centre est aussi pour nous le signe d'une confiance explicite en la solidarité des hommes » (Père Pino Puglisi à l'occasion de l'ouverture du Centre Padre Nostro)
C'est avec un crédit, financé par son maigre salaire de professeur, que Don Pino achète les locaux pour son centre d'accueil Padre Nostro. Dans une interview donnée à la Rai, Rosaria Cascio, présidente de l'association Padre Puglisi. Si ma verso dove, raconte que lorsque l'employé de la banque demanda un acompte, le petit prêtre de province fouilla dans ses poches et lui tendit 500 lires. C'est ainsi que naquit le Centre Padre Nostro. Pino Puglisi n'acceptait pas d'argent des institutions, mais seulement les offres des habitants de Brancaccio, car c'était à eux qu'était destiné le centre : les personnes simples. C'était un endroit de rencontre, de paix, de fraternité, d'aide aux familles, où chacun pouvait se sentir chez soi. Le centre devint en effet une seconde maison pour les enfants de Brancaccio et nombre d'entre eux y entamèrent une nouvelle vie.
Le prêtre sans défense qui faisait peur
« La mafia se fait intimider, elle voit comme un danger un petit prêtre qui n'a pas d'autres armes que les mots pour l'attaquer» continue Ceruso- « les actions de Puglisi à Brancaccio étaient vues comme un danger parce que la mafia y perdait de son autorité. »
Aujourd'hui Don Pino a été béatifié, il est considéré comme un martyre, parce qu'il est mort in odium fidei. Et notre écrivain palermitain y voit un parallélisme qui nous ramène 23 ans plus tard. C'est l'histoire de Père Hamel, prêtre français de Rouen, égorgé par de jeunes terroristes ce dernier 26 Juillet. « Père Hamel a refusé de s'agenouiller devant les terroristes de l'Isis, de la même manière que Puglisi ne s'est pas agenouillé devant la mafia ». En effet, le curé de Brancaccio ne céda pas face aux intimidations ou aux portes des institutions qui lui claquaient la porte au nez, chaque fois qu'il demandait la restitution des sous-sols de la rue Hazon à la communauté. Car c'est dans ce lieu de drogue et de délinquance, qu'il rêvait d'ouvrir le collège qui manquait à ce quartier de plus de dix mille habitants.
Don Pino était aussi un professeur , et il paya de sa vie la simple leçon qu'il donna à ses élèves, à ses enfants de Brancaccio, et à tous ceux qui le connurent. Il enseigna l'amour, le dialogue, mais surtout la liberté. Il montra à tous qu'il existait une alternative concrète à la mafia et au mal en général, fruit d'un dur labeur, mais aussi d'un grand sourire, sur les lèvres d'un petit prêtre et de sa communauté.
Pour la rédaction de l'article, on a consulté le livre: Ceruso V.,2012," A mani nude. Don Puglisi", ed. San Paolo.
Pour ceux qui comprennent la langue de Dante, un sketch des humoristes siciliens Ficarra e Picone à propos de Pino Puglisi (non traduit):
Translated from Padre Pino Puglisi: un insegnante di libertà