Percujam : « Autistes, mais artistes avant tout »
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Il paraît que la musique adoucit les moeurs. Percujam lui a trouvé un autre pouvoir, celui de gommer les différences en faisant jouer des autistes et leurs éducateurs. Rencontre avec un groupe atypique.
Les percussions résonnent. Le guitariste et le claviériste enchaînent les accords. Le chœur tape des mains. Le chanteur tend son micro à une foule enchantée. À première vue, c'est un groupe tout ce qu'il y a de plus normal qui s'agite sur la scène du festival Chorus. Sauf que 8 des 15 membres de Percujam sont autistes. Depuis 17 ans, cette joyeuse bande se produit pour son plaisir, mais aussi pour le bonheur des autres. Car en trois albums, la formation a tapé dans l'œil de nombreux chanteurs : Tryo, dont ils ont fait la première partie, Calogéro avec qui ils ont tourné un clip, mais aussi -M- ou le slameur Grand Corps Malade.
À peine sortis de scène et à la veille d'un grand concert à l'Olympia, deux membres de Percujam sont revenus avec nous sur cette folle aventure. Entretien avec l'artiste-autiste Raphaël et Laurent, l'éducateur à l'origine de ce « doux bordel ».
cafébabel : Comment vous sentez-vous après un concert comme celui-ci?
Raphaël : C’est génial, ça fait du bien de se faire plaisir et de donner du bonheur aux gens. Parfois, j’ai peur avant un concert, mais après quand je suis sur scène, je n’ai plus peur, je suis heureux. Et puis on voit les gens qui sont là. Pour nous, c’est un honneur, une grande fierté.
Je pense qu’on a fait un très bon concert aujourd’hui. Il y a beaucoup de personnes qui sont venues nous encourager à la fin. C’est assez émouvant de voir ça. On travaille beaucoup en ce moment, car on sera à l'Olympia lundi. C’est un privilège ! Il y a des gens qui l’ont déjà fait, mais moi jamais, ce sera la première fois et j’avoue que j’ai un peu peur…
Laurent : Mais ça va le faire !
Raphaël : Oui, ça va aller ! Et je ne sais pas si tu es d’accord avec moi, mais c’est quand même une consécration.
Laurent : Bien sûr.
cafébabel : Vous vous attendiez à un tel engouement ?
Laurent : On n’a pas tellement fait en sorte que ça se passe comme ça. C’est-à-dire qu’on a pris le plaisir là où il était. Et ça ne s'est pas fait en deux secondes, on a avancé step by step. D’abord, il y a l’autisme, donc il a fallu prendre le temps de se rencontrer. Ensuite, il y a eu le dénominateur commun : la musique. Puis il y a une alchimie qui s’est créée entre nous. Et après il y a eu des gens un peu fous pour nous suivre.
cafébabel : Justement pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?
Laurent : J’ai créé Percujam en 1999 dans un établissement pour jeunes autistes dirigé par Madame Allier, sur qui j’ai écrit une chanson. Au début, il y avait quatre jeunes et deux trois éducateurs. Et à chaque fois qu’un jeune arrivait et qu’il était musicien, on le faisait rentrer dans le groupe avec un éduc et petit à petit, on est arrivé à cette formation : huit jeunes et six éducateurs. Puis quand les jeunes grandissent, ils sont orientés dans des structures pour adultes. On ne voulait pas qu’ils aillent enfiler des perles après ces neufs ans à faire de la musique… Du coup, on a fait le pari un peu fou de créer une institution pour autistes musiciens, Alternote.
cafébabel : Et donc aujourd’hui, les jeunes se consacrent exclusivement à la musique ?
Laurent : Non. À la base, ce sont des jeunes qui par définition n’aiment pas forcement beaucoup de chose. L’autisme, c’est être un peu renfermé sur soi. Je pense que le fait d’appuyer sur la corde qui leur plaisait le plus – la musique – c’est ça qui a fait qu’après ils se sont ouverts à d’autres choses. Et aujourd’hui, ils ont plein d’autres activités.
Raphaël : Oui, on va au Papotin. (Un journal conçu par des autistes, ndlr). On interviewe des gens connus, comme Matthieu Chedid, Raphaël Mezrahi, Jacques Attali, Marc Lavoine ou Anne Hidalgo.
Laurent : Tu fais du sport aussi !
Raphaël : J’ai fait du judo et puis j’ai arrêté parce que j’ai eu un accident, mais j’étais ceinture vert-orange. J’ai fait de l’athlétisme aussi, j’ai eu des médailles en saut en longueur et 100 mètres. Et je fais de la peinture.
cafébabel : Et qu’est-ce qui te plaît dans la musique ?
Raphaël : Que ce ne soit pas triste. Moi, j’aime bien quand c’est joyeux et énergique, tout en mettant aussi un peu de douceur.
cafébabel : Il y a des chanteurs qui te touchent particulièrement ?
Raphaël : NTM ! J’aime bien le rap underground… Wu Tang Clan, IAM. Dans le rock : Téléphone, Noir Désir…
cafébabel : Donc des groupes avec des textes plutôt forts…
Raphaël : Oui, engagés. Dans le reggae, il y aussi Bob Marley. C’est le mec qui a popularisé ce genre, après lui, il y a eu plein de groupes comme Burning Spear ou Peter Tosh. Il y a pas mal de rastas qui m’ont marqué. Mais j’aime bien les nouveautés aussi hein ! J’aime tous les styles en fait. Et ça me fait toujours du bien d’écouter de la musique.
cafébabel : Et d’en jouer ?
Raphaël : Oui bien sûr, ça, j’adore !
cafébabel : Dans le groupe quel est ton rôle ?
Raphaël : Je suis violoniste, bassiste, batteur et chanteur.
cafébabel : Et tu as appris tout ça grâce à Percujam ?
Raphaël : Non, j’ai commencé le violon à sept ans. Et on m’a dit que j’avais l’oreille plus juste que les autres. Après j’ai fait de la batterie à quatorze ans. Au début, j’avais un problème pour progresser. Et puis après j’ai découvert Percujam et comme j’étais gaucher et que Laurent aussi, j’ai pu évoluer avec lui. Et j’ai aussi un prof qui m’apprend tout le temps des nouvelles techniques. Pour la basse, comme j’ai l’oreille absolue, ça m’a aidé, j’arrivais à reconnaitre les sons. Et pour le chant, j’avais fait partie d’une chorale, il y a longtemps.
cafébabel : Donc ce ne sont pas les éducateurs qui ont proposé aux jeunes de faire de la musique, mais les jeunes qui s’y intéressaient déjà ?
Laurent : C’est eux qui nous ont montré ces facultés. Je prenais ma guitare, il y avait un jeune qui arrivait à suivre au piano ou à la voix et puis il y en a d’autres qui arrivaient. Ça s’est fait de façon alchimique, magique. Maintenant, bien sûr, on fonctionne d'une manière un peu plus pro, avec des profs.
cafébabel : Comment le travail s’organise-t-il ? Qui compose ? Qui écrit les paroles ?
Laurent : Je suis là depuis le début, donc j’ai pas mal écrit. Mais maintenant et de plus en plus, tout le monde y met un peu sa patte.
Raphaël : On fait des ateliers où on écrit les textes. Et puis on compose un peu. On me montre la façon de jouer sur un morceau et après je sais comment le faire.
cafébabel : Quels messages souhaitez-vous faire passer à travers vos chansons ?
Laurent : On parle peu des éducateurs, on parle peu de l’autisme, donc si notre groupe pouvait un peu porter ce message… C’est une manière positive de se montrer. A la télé, on parle de la maltraitance, mais bon il n’y a pas que ça ! Il y aussi de beaux projets avec des jeunes qui s’éclatent et des gens motivés derrière !
Raphaël : On veut dire qu’on est des artistes avant tout, qu’il n’y a pas de différences.
Laurent : « Lutter contre les différences en portant haut le bouclier/ Elle n’est pas très jolie la France quand elle se met à se moquer. », c’est ça : permettre aux gens d’avoir moins de préjugés. Et, il y a des petites phrases que les specateurs nous disent qui permettent de voir si ça a marché. Par exemple, celle qu’on a reprise pour le premier album : « C’est lesquels les autistes ? ». Quand on nous pose cette question, le pari est réussi. Si les gens n’arrivent plus à faire la distinction, c’est déjà pas mal.
Cafébabel : Donc vous pensez que Percujam a pu faire évoluer l’image de l’autisme ?
Laurent : En tout cas, je trouve qu’on en parle bien plus. Aussi parce que c’est un phénomène qu’il faut prendre largement en compte, car c’est une réalité qui touche beaucoup de personnes. Et il faut comprendre que n’est pas une maladie. On peut vivre avec toute sa vie et faire plein de choses, comme tout le monde.