Perakis: Le journalisme, c'est relayer la verite, et pas chercher a attirer le maximum de visiteurs sur le site du journal
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Catherine CombesYouth Challenging Diversity a invité Paraskevas Perakis, l'éditeur en chef d' Haniotika Nea, à participer au deuxième Forum de la jeunesse sur les stéréotypes sur internet à Chania, en Crète.
Préparé par: Hristina Sibinovska and Ana Alibegova
Edité par: Stefan Alijevikj
Ce ne sont pas seulement les plages de sable blanc et les eaux cristallines de la Crète qui ont fait la réputation de l'île et attirent des milliers de touristes chaque année. Elle a également fait la une des journaux en tant que l'un des points de passage des migrants du Moyen-Orient et de l'Afrique qui souhaitent rejoindre l'Europe. La Crète, tout comme les îles Kos et Lesbos, à l'est de la Grèce, est l'un des ports d'arrivée les plus fréquentés sur la "route de la Méditerranée orientale". Les migrants et les refugiés ne sont cependant pas les seules minorités que l'on trouve dans cet ancien berceau de la civilisation minoenne: des Albanais, des Bulgares et d'autres groupes ethniques y sont aussi établis, avec leurs cultures et leurs traditions.
La vie des minorités, les problèmes qu'elles rencontrent, mais aussi des récits encourageants figurent presque tous les jours dans les pages du Haniotika Nea, le journal régional le plus diffusé de Grèce. Ce quotidien régional, publié depuis près de 50 ans, a son propre Musée de la Typographie, est diffusé à environ 8000 exemplaires chaque jour, et son informe près de 40000 personnes sur la société grecque et crétoise. C'est pourquoi Youth Challenging Diversity a choisi d'inviter Paraskevas Parekis, l'éditeur en chef de Ηaniotika Nea, à participer au deuxième Forum de la Jeunesse sur les stéréotypes sur internet à Chania, en Crète. Perakis a pu y partager ses idées sur la façon dont les médias traitent des questions relatives aux minorités. Dans l'interview ci-après, Perakis a pu s'exprimer sur de nombreux sujets: qui décide des programmes dans les médias grecs, comment les médias influencent l'opinion publique grecque et comment ils pourraient améliorer la qualité des informations qu'ils relaient.
Youth Challenging Diversity (YCD): Les médias, la presse en particulier, sont-ils suffisamment libres de publier des articles concernant les violations des droits des minorités?
Paraskevas Perakis: Malheureusement, le public, dans l'ensemble, accepte encore mal la diversité ethnique dans les médias grecs. A commencer par l'utilisation répandue du préfixe “λαθρο-” “lathro” (dérivé de l'adjectif λαθραίος - clandestin) pour désigner des migrants économiques ou politiques (“Λαθρομετανάστες” – “Lathrometanastes”). Les organisations politiques et de défense des droits de l'homme dénoncent l'utilisation de ce préfixe aux connotations négatives, mais la plupart des médias grecs, les chaines de télévision et les sites web en particulier, continuent à l'utiliser. Il y a quelques mois encore, un article de la “Athens News Agency” a publié un article qui utilisait ce préfixe. Cela signifie que les autorités officielles n'y voyaient pas d'objection. Et au cours des dernières années, le terme “Λαθρομετανάστης” était communément accepté dans le langage officiel. On le retrouvait dans la bouche des députés, des ministres, et même de premiers ministres! Les médias n'avaient donc pas de problème à l'utiliser, alors que de nombreux autres pays interdisent l'usage de termes à connotation péjorative. L' Associated Press, par exemple, interdit l'expression "immigrant illégal" dans ses reportages. Le terme "illégal" n'étant utilisé que pour parler des immigrants, il a été jugé discriminatoire et raciste. Alors que certains pays organisent une conversation public autour de l'interdiction du terme "illégal", en Grèce, nous utilisons toujours le terme le plus négatif, “Λαθρομετανάστης”.
Cela dit, des articles traitant des violations des droits des minorités sont régulièrement publiés dans la presse grecque. Les journaux régionaux, en particulier, attirent plus l'attention sur ces problèmes que la presse nationale. Au cours des dernières années, avec la montée du parti d'extrême droite et la crise des refugiés, le nombre d'articles sur les violations des droits des minorités a augmenté, et on les retrouve même en une de certains journaux.
LES QUESTIONS RELATIVES AUX MINORITES FONT PARTIE DE NOTRE QUOTIDIEN ET NE PEUVENT ETRE MISES DE COTE
YCD: À quelle fréquence retrouve-t-on des articles concernant les minorités en une de journaux? Quelle importance que les médias leur accordent-ils au quotidien?
Paraskevas Perakis: Tout dépend du journal et de son "code éthique". La tragédie des refugies en Mer Egée, par exemple, figure en une de la plupart des journaux grecs. En ce qui concerne la presse régionale, surtout ici en Crète, les questions concernant les minorités sont toujours importantes. Les journalistes ne peuvent "ignorer" de telles questions dans de petites villes, puisqu'elles font partie de leur quotidien. On ne peut pas faire comme si rien ne se passait, puisque tout le monde est au courant.
Les chaines de télévision nationales, elles, agissent malheureusement de façon différente. Les minorités sont exclues des nouvelles télévisées. Au debut de la crise des refugies, par exemple, des violences policières étaient à déplorer, mais les medias nationaux n'en parlaient presque pas. La télévision grecque a commencé à en parler après que les medias d'un pays voisin en aient révélé l'existence.
YCD: Comment les medias influencent-ils la manière dont la population locale réagit à la crise des réfugiés? Dans quelle mesure les medias modèlent-ils l'opinion publique?
Paraskevas Perakis: Si vous êtes un immigrant en Grèce, on vous a peut-être insulté, regardé de travers ou traité différemment. On vous a peut-être déjà agressé, la police vous a peut-être déjà arrêté et fouillé alors que vous vous promeniez juste dans la rue. Vous avez moins d'opportunités en termes d'éducation et de recherche de travail, on vous a peut-être interdit de porter le drapeau grec lors de la cérémonie organisée par votre école pour célébrer l'indépendance grecque.
Tout cela, en parallèle de la montée des partis d'extrême-droite, est le résultat d'un discours nationaliste et raciste relayé par des medias qui entretiennent également des stéréotypes sur les immigrants et les minorités. Les médias ont un impact sur la perception que le grand public a des minorités. Nous en avons un bon exemple aujourd'hui, avec les difficultés qu'a la Grèce à gérer les arrivées en masse de réfugiés et de migrants. La Grèce est un des portails de l'Europe, mais elle ne peut tout faire seule. Le public devrait exiger de l'Union Européenne qu'elle s'attèle à la tâche, mais au lieu de cela, il reporte le blâme sur les réfugiés. Si quelqu'un se hasarde à défendre les réfugiés, les migrants ou d'autres minorités ethniques, il se voir opposer un argument absurde: "Vous les voulez? Prenez-les chez vous, alors". La réaction des journalistes grecs, mais aussi du monde entier, devrait être d'exiger que les Etats respectent la vie humaine, qu'on mette fin à la violence, et que l'Union Européenne fasse de l'immigration l'une de ses priorités.
LES MEDIAS DEVRAIENT ARRETER LEUR RACOLAGE
YCD: Comment les minorités sont-elles représentées dans Haniotika Nea, et quelles minorités sont les plus présentes dans vos pages?
Paraskevas Perakis: La plupart des médias grecs font référence à l'origine ethnique d'un délinquant quand celui-ci n'est pas Grec. On retrouvera par exemple des titres tels que "Albanais, Bulgare ou Pakistanais arrêté pour infraction", mais jamais un titre avec le mot "Grec". Et si le criminel n'est pas un migrant, mais quelqu'un qui passe ses vacances en Grèce, on lira le plus souvent le mot "touriste".
Quelle histoire publie-t-on dans ce cas-là? Je suis journaliste, je dois publier un article sur une arrestation: est-ce que je mets l'accent sur l'origine de la personne? Cela fait-il une différence que le coupable soit grec, allemand, américain ou africain? Certains ne voient pas où est le problème. Je crois que la réponse est simple: la façon dont les medias représentent les gens, la culture, la politique ou la société influence la façon le public les perçoivent. Si, tous les jours, les journalistes associent une certain ethnie à une activité criminelle, vous en arrivez à croire, dans votre subconscient, que tous les habitants d'un certain pays sont des criminels. C'est un mécanisme similaire à celui de la propagande.
C'est pour cette raison que notre journal, Haniotika Nea, s'efforce de respecter les droits de l'homme. Nous refusons d'utiliser le terme "lathrometanastis" dans nos articles, et nous ne mettons pas en avant l'ethnicité des gens. Nous essayons de décrire les problèmes de chaque minorité et d'exercer une pression sur les gouvernements locaux pour qu'ils résolvent ces problèmes. Nous traitons les gens comme des égaux. Et nous publions de nombreux articles et des tribunes rédigés par des membres de minorités.
YCD: Quels sont atouts des nouvelles sources d'information par rapport aux médias traditionnels dans le traitement le la question des droits des minorités?
Paraskevas Perakis: On ne peut pas expliquer la façon dont la plupart des medias représentent les migrants en disant simplement que les journalistes sont racistes. C'est plutôt le résultat d'une méthode de travail. En pratique, les journalistes dépendent beaucoup de textes préexistants: des histoires qui s'intègrent bien dans leurs articles, ou bien des sujets dont d'autres sources ont déjà traité, ont de meilleures chances de se retrouver publiées. Les groupes qui sont déjà dans une position dominante peuvent ainsi encore renforcer leur mainmise et imposer leur vison de l'information, tandis que ceux qui n'ont pas ce pouvoir, les minorités ethniques, par exemple, sont désavantagés.
C'est pour cette raison que les medias doivent transformer la façon dont les journalistes travaillent. Cela commence par arrêter de vouloir "créer le buzz". La criminalité, la violence et la haine attirent les lecteurs sur votre site, mais c'est précisément le piège à éviter: le journalisme, ce n'est pas un nombre de visiteurs sur un site ou des statistiques. C'est toujours, et avant tout, relayer la vérité.
Translated from Perakis: Journalism Is Not Internet Stats, It Is Reporting about the Truth