Pepe, un indigné à Paris : « Je n'imaginais pas un tel manque de démocratie »
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Un mois d'assemblées générales (AG) à Bastille, du rêve plein les yeux, et le mouvement qui ne prend pas... Assez. Les indignés parisiens sont-ils moins indignés ou organisés que leurs homologues du Sud de l'Europe ? Entre optimisme et pessimisme, un des fondateurs du mouvement à Paris nous explique pourquoi il continuera coûte que coûte à se mobiliser.
Rêve
« On voulait tous y être ». C'est comme ça qu'est né le mouvement des indignés à Paris. Un transfert de la part d'expatriés espagnols devant leurs écrans le 15 mai, crevant d'envie de crier leur solidarité sur la Plaza del Sol. Trouver de quoi expirer ce souffle de liberté qui leur remplit les poumons. Un rassemblement spontané devant l'ambassade d'Espagne ? Banco. Pepe, jeune enseignant-chercheur en thèse de biologie, depuis cinq ans à Paris, ne rate pas l'occasion. « Jusqu'alors, j'avais toujours trouvé ça ridicule de se dire fier d'être espagnol. Mais là, quand on s'est réunis sur le Trocadéro pour rédiger le premier manifeste, j'ai eu ce sentiment. C'était très émouvant. » Attention, n'allez pas croire que les Espagnols de Paris n'ont cherché qu'à se faire une montée d'adrénaline par procuration. « Dès le début, le mouvement s'est fait en français, avec pour objectif de l'internationaliser, précise Pepe. Nous avons cherché à appliquer la problématique de la démocratie réelle au cas français. »
Boulot
Le mouvement des indignés s'est dès lors fixé comme symbole une nouvelle prise de la Bastille et comme objectif la démocratie horizontale. Leurs moyens ? Une assemblée générale, où chacun a droit à son tour de parole, et de nombreuses commissions (action, logistique, revendications, communication, économie, écologie, etc.) pour structurer les propositions et rendre le mouvement pérenne. Et forcément, tout ça demande du temps : « J'ai dû mettre de côté ma vie sociale. Pendant un mois, je suis allé au boulot de 10h à 20h, puis je restais aux alentours de Bastille jusqu'à deux heures. Voilà quatre jours que je n'ai pas été à Bastille ; je rattrape le retard au boulot ! », explique Pepe devant une tasse de café à Jussieu. Laisser du temps au temps. Comme le dit Arcadi Oliveres, professeur d'économie appliquée au quotidien La Vanguardia, « l'exigence faite au 15-M de porter des solutions concrètes après seulement cinq semaines est absurde. Les politiques mettent plus de temps que cela », s'insurge l'auteur de ¡En qué mundo vivimos! Infórmate, piensa y actúa (« Dans quel monde vivons-nous, informe-toi, pense et agis » , éditions Icaria). En Espagne, la recette a payé. Les mobilisés ont fini par quitter les places des centres-villes pour investir les comités de quartier et y diffuser leurs messages...
Déceptions
A Paris, Pepe et les autres pionniers de l'#acampadaparis ont dû déchanter peu à peu. Ces jours-ci, la seule communication que l'on peut lire sur la #frenchrevolution est du type : « Pourquoi le mouvement des indignés reste limité en France ». Le titre du quotidien Le Monde n'est pas une question mais une affirmation. Pepe n'est pas en désaccord avec la plupart des points du journal. « Les Français ont du mal à se lancer. Tant qu'ils le peuvent, ils se convainquent qu'ils sont du bon côté de la crise et ils laissent les autres tomber ». Pourtant, c'est une question de seuil, estime le biologiste. « La Grèce est tombée, l'Espagne aussi. Ce n'est qu'une question de temps pour que la France suive. » Oui mais voilà, en France, on n’est pas forcément prêt à se mobiliser de manière « quichottesque » (référence à Don Quichotte, ndlr), comme il nomme la manière toute ibérique d'être spontané et de construire sur le tas.
« Les Français ont peut-être besoin de plus de formalisme. J'ai aussi remarqué qu'ici, les grèves ont souvent lieu par secteur. Il faut que les gens soient touchés personnellement pour qu'ils se bougent. »
Aux écarts culturels, s’ajoutent les redondances en matière de propositions. Le retour aux fondamentaux est quasi-systématique et les manifestes se télescopent. Une perte de temps qui aurait du profiter aux actions de diffusions dans les banlieues de Paris. Un sujet qui tient à cœur à l'Espagnol : « Un soir où nous campions sur les marches de la Bastille, des jeunes des quartiers sont venu nous voir, se souvient-il. Quand j’explique à l’un d’eux qu'en Espagne, un jeune sur deux est au chômage, il me dit que c'est pareil dans sa rue ! Là-dessus je lui parle de la nécessité de s'indigner, mais il n’avait pas l’air d’y croire. »
Rage
La plus grande déception est aussi celle qui, paradoxalement, lui donne l’envie de continuer la mobilisation. « Je n'imaginais pas à quel point le système démocratique est insuffisant en France. A chaque nouvelle réunion spontanée que nous avons organisée, nous étions entourés de gendarmes ou de CRS, parfois plus nombreux que nous. Pourtant, ils savent que nous sommes pacifiques ! ». 29 mai, les indignés sont délogés de la Bastille. 19 juin, 140 interpellations ont lieu lors d'une nouvelle manifestation. « Ça me révolte ! », scande Pépé. Mais, alors que des centaines de personnes sont réduits au silence, il y voit bien là, une nouvelle raison de gueuler.
Photos : Une et texte, ©Emmanuel Haddad