« Pauvre mais sexy » : vendre Berlin à tout prix ?
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« Nous sommes pauvre, mais sexy quand même. » La déclaration de Klaus Wowereit au magazine Focus en novembre 2003 est très vite devenue un slogan pour Berlin. Principal chantier de l’Europe, résolument tournée vers le futur, la capitale allemande est une ville moderne, « branchée ». Son image est pourtant en grande partie façonnée par son Histoire. Un passé qui se vend à prix d’or.
Paris. Ville Lumière, capitale de la Mode. Romantique ou bohème, la capitale française renvoie au monde l’image d’une cité mythique. Paris, c’est la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, Montmartre, les boulevards Haussmanniens. C’est le Paris de Victor Hugo, celui de Zola. On achète des petites Tours Eiffel ou des images de Notre Dame. Ce que Paris vend au monde, c’est une Histoire millénaire.
Les capitales européennes puisent souvent leur image de marque dans leur patrimoine. À grand renfort de reproductions de toutes sortes, de t-shirts et de cartes postales, les grandes villes façonnent leur identité à travers leur Histoire. Ainsi, Rome est indissociable du Colisée, Londres de Big Ben, Athènes du Parthénon. Le patrimoine, qu’il soit architectural, culturel ou naturel, fait vendre.
Un passé récent et sombre, savamment exploité
Berlin ne fait pas exception à ce constat. Et ce d’autant moins que la ville est profondément marquée par l’Histoire. Théâtre de nombreux grands évènements du siècle dernier, Berlin en garde les traces incrustées sur ses murs. Cependant, loin de subir ce passé récent et souvent sombre, elle a su au contraire s’en saisir, se l’approprier et l’exploiter à son avantage.
Du spectaculaire Mémorial de l’Holocauste au site « Topographie des Terrors », en passant par le Musée Juif ou encore le moins connu – plus discret – monument dédié aux Tziganes victimes du nazisme, la deuxième guerre mondiale est un des arguments de vente de la capitale allemande. Le Troisième Reich, la Solution Finale, les bombardements, de 1933 à 1945, tous les rouages du conflit le plus meurtrier du vingtième siècle sont passés au crible, racontés et analysés. La ville est parsemée de monuments aux morts, hommages à toutes les victimes de cette guerre.
Mais c’est sans doute de la Guerre Froide que Berlin tire le meilleur profit pour vendre son image. La longue séparation de la ville et sa réunification font partie intégrante de son identité. Les images du Mur et surtout de sa chute ont fait le tour du monde. Ce mur que certains désignent parfois sous le terme de « Mur de la honte » fait la fortune de la capitale. Reconstruction d’une histoire complexe, l’East Side Galery se veut le témoin de l’euphorie qui suivit la chute du Mur. Ça et là, des morceaux du Mur sont posés dans la ville, accompagnés d’un panneau explicatif. Ils font le bonheur des touristes qui prennent la pose devant ce décor mythifié. Dans les magasins de souvenirs, reproductions ou photos des peintures de l’East Side Galery et même « véritables morceaux du Mur avec certificat d’authenticité» s’arrachent comme des petits pains.
Une histoire politique et politisée
Le Mur n’est pas le seul souvenir de la guerre froide qui se vend à Berlin. Plus subtil, moins directement marqué par l’Histoire, « Ampelmann », ce petit piéton des feux de signalisation de l’ex-Berlin Est, est désormais décliné à l’infini, des pâtes alimentaires aux boucles d’oreilles, des chaussettes aux mugs, des trousses d’écolier aux coques pour I-phone. La marque déposée a même créé l’équivalent féminin de la star Berlinoise : « Ampelfrau » ! Surfant sur la tendance vintage et sur « L’Ostalgie », les symboles et la culture de l’ex-RDA (République démocratique allemande, ndlr) sont repris et rejoués pour la plus grande joie des touristes. La Trabant, voiture typique de la RDA, se vend sous toutes ses formes et même se loue, pour une virée au départ de Trabi World.
Mais la « DDR-Mania », cet engouement nostalgique savamment exploité pour promouvoir l’image de la ville, doit rester dans des limites bien précises, de natures nettement plus idéologiques. Si les images de la Porte de Brandebourg, du château de Charlottenburg ou encore de l’avenue Unter den Linden – autant de symboles de la glorieuse époque prussienne – contribuent elles-aussi à façonner l’image de la capitale allemande, le Palast der Republik, lui, ne figurera plus jamais au rang des souvenirs identitaires. Centre culturel le plus visité de l’Allemagne socialiste, siège de la Chambre du Peuple, il a été détruit en 2006, et ce malgré la longue polémique qui a agité la classe politique allemande. Comme pour gommer définitivement de la mémoire berlinoise cet épisode de son passé, il a été décidé de reconstruire à la place l’ancien « Stadtschloss », résidence des Hohenzollern jusqu’à la chute de l’empire allemand en 1918, détruit en 1950.
À l’évidence, la capitale allemande a su remarquablement utiliser et vendre à son profit son histoire récente. Même si cela signifie parfois prendre des raccourcis avec l’Histoire.