Parlons gros sous
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amandine cauchyLa France et l'Allemagne rechignent à suivre les règles du pacte de stabilité. Alors que l'Europe jouit d'une crédibilité financière sans précédent, sa crédibilité politique, elle, part en lambeaux.
Belote… et re-belote. Une fois de plus dans l'histoire de l'Europe, la France et l'Allemagne ont échappé belle à l'humiliation de se voir infliger des sanctions pour laxisme budgétaire. Le 25 novembre à Bruxelles, à l'issue d'une réunion rassemblant les ministres des finances européens (l’Ecofin), il a été convenu de suspendre – du moins provisoirement – les procédures engagées contre les deux géants de l'économie européenne. Au lieu de payer 0,2% de leurs PIB respectifs, la France et l'Allemagne auront seulement dû se contenter du minimum syndical par rapport aux obligations du pacte.
Beaucoup de bruit pour rien, c'est le moins que l'on puisse dire de cette histoire qui a provoqué l'hystérie alors qu'en termes économiques, elle n'était pas véritablement crédible. La Banque Centrale Européenne a immédiatement fait savoir que cet « accord » présentait de « nombreux dangers ». D'un ton encore plus menaçant, le ministre néerlandais des finances, Gerrit Zalm, a parlé d'une « sérieuse crise constitutionnelle ». Dire que le pacte était « fini » sembla hystérique aux marchés financiers, où le legs européen en matière de discipline financière ne cessait de faire monter la valeur de l'euro.
Au centime près…
Le fait est que le pacte de stabilité et de croissance a jusqu'à maintenant plutôt bien fonctionné : que tous les pays européens aient maintenu leur déficit ne serait-ce que près de la barre autorisée des 3 %, en période de difficultés économiques, est une réussite sans précédent. Dans les années 80, et tous les ans, le déficit de l'Italie dépassait 10%. En 1990, la Grèce cumulait un manque de 16,1% dans son budget. En 1983, chaque pays qui participe aujourd'hui à l'Euro avait un déficit supérieur à 3% - quatre d'entre eux (L'Italie, la Belgique, l'Irlande et le Portugal) affichaient un déficit à deux chiffres.
Que l’on supporte ou non le dogme néo-classique du « budget équilibré » sur lequel le pacte s’appuie, on doit admettre que l'Europe d'aujourd'hui joue, au niveau de la fiscalité, la carte de la prudence. On ne doit pas oublier que la France et l'Allemagne (et le Portugal, qui a failli au pacte en 2001) ont toutes deux lutté avec acharnement pour maintenir leurs déficits inférieurs à 3%, même si, au final, ils n'ont pas tout à fait réussi. Après tout, les déficits budgétaires ne peuvent pas être calculés avec précision et planifiés à l'avance. Ce n’est d’ailleurs que le 13 novembre que le ministre des finances allemand Hans Eichel refit ses comptes et constata un trou de 18 milliards dans ses finances, faisant ainsi passer le déficit de 2,9% à 3,8 du PIB. Alors que pas plus tard que le 25 septembre dernier, M. Eichel déclarait fièrement que son pays rempliraient ses obligations – ce qui, à l'époque, semblait réaliste.
L'argent fait-il tourner le monde ?
Pourquoi l'affaire de l’Ecofin a-t-elle soulevé autant de controverses? La réponse n'a rien à voir avec l’économie mais tout à voir avec la structure du pouvoir de l'Union Européenne. Parce qu’aucune de règle ne dit « dès qu’un pays a un déficit budgétaire de 3,01%, il doit payer une amende ». A l'inverse, les règles précisent que lorsqu’un pays dépasse la limite des 3%, la question est renvoyée devant la Commission, qui elle même la soumet à l’Ecofin, qui prend la décision finale. En d'autres termes, pour reprendre l'expression d'Ed Balls, conseiller principal du ministre des Finances britannique, le pacte de stabilité et de croissance c'est « Tout ce que les ministres [européen des finances] disent que c’est ».
Ainsi, loin d’être une violation du protocole, cette affaire du pacte de stabilité et de croissance révèle ce que beaucoup ont toujours considéré comme un truisme de la politique européenne : officiellement, le pouvoir final réside dans la "vraie politique" entre les états-membres, et non dans des règles appliquées collectivement, et défendues par la Commission. Tout cela renforce la suspicion qui plane : la France et l'Allemagne, fortes de leur qualité des deux plus importantes économies de la zone euro, auraient échappé aux sanctions grâce à un pouvoir de lobbying exacerbé. Pas étonnant que des ministres tels que le néerlandais Gerrit Zalm soient furieux. Des états comme la Hollande se demandent s'ils auraient pu faire la même chose. Et concluent, très justement, qu'ils ne le pouvaient pas.
Tout ceci, bien sûr, ne présage rien de bon à l’heure de l’ouverture de l'Europe à dix nouveaux membres de l'Est, l'année prochaine. Tout comme elles réprimandaient jadis leurs voisins d'Europe du Sud pour leur irresponsabilité fiscale, l’Allemagne et la France incitent aujourd’hui leurs voisins de l’Est à faire preuve d'une meilleure discipline budgétaire. Mais les deux pays mettaient en œuvre ce qu'ils prêchaient. Le fait que cela ne semble plus vrai n’est pas une incitation pour les nouveaux membres à se contraindre budgétairement.
Des signes tout aussi inquiétants montrent qu’au sein même de la zone euro, des pays sont prêts à pousser les conditions restrictives du pacte à leurs limites. L'Italie est sur le point de dépasser le seuil des 3% l'année prochaine et d'autres pays ne sont pas loin derrière. La France et l'Allemagne ont montré le mauvais exemple. Tout cela ne va certainement pas convaincre les pays actuellement hors de l'euro que c’est un bon choix de rejoindre la monnaie unique –en particulier pour de petits états comme le Danemark et la Suède.
Le temps, c'est de l'argent
Comment sauver la crédibilité de l'Europe ? La plupart des analystes –à commencer par ceux de la Commission européenne– ont suggéré que l'Europe aurait besoin d’une application des règles plus stricte. Mais on voit mal comment une application plus rigoureuse des règles arbitraires du pacte pourrait aider l'Union. L'ironie de la décision prise par Ecofin, c'est qu'en définitive, elle est plutôt juste. Il n'était pas logique de forcer la France et l'Allemagne à réduire leur déficit, si cela signifiait leur retirer toute chance de se rétablir économiquement. Ce que la majorité des ministres européens des finances rassemblés de l’Ecofin a reconnu.
Ce n'est pas le fait que les règles du pacte aient été « interprétées » qui est mauvais. C’est le fait que cette « interprétation » ait été laissée aux états-membres eux-mêmes, où règne la realpolitik. Au lieu d’être confiée, par exemple, à une commission qui pourrait évaluer les déficits des pays au cas par cas –comme l'a suggéré le Centre de recherche économique.
La vraie question est de savoir si les états-membres sont finalement prêts à sacrifier l'illusion de cette souveraineté nationale qu'ils entretiennent pieusement lors des conseils Ecofin, et à établir un véritable régulateur, impartial et pro-européen. Hélas, tant que les plus grands états sont capables de s’unir pour obtenir un traitement préférentiel, toute possibilité de réforme semble plutôt mal partie.
Translated from Don’t Count Your Pennies