Parlement Européen : petites elections entre amis
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La chronique des sessions du Parlement Européen en exclusivité pour cafébabel.com
Comme prévu, c'est l'Irlandais Pat Cox qui a été élu pour succéder à Nicole Fontaine à la présidence du Parlement européen. Moitié écossais, moitié irlandais, cet ancien présentateur du journal télévisé est un amoureux de l'Europe.
Il interprète lui-même son élection comme la preuve qu'il y avait au sein de cette assemblée "de la place pour tous, petits partis mais aussi petits pays" et promet de lutter pour le maintien de la diversité linguistique et culturelle essentielle à l'Europe.
Tout cela semble donc de bon augure en prévision de l'élargissement. Mais pour pouvoir, comme il le dit, faire preuve "d'imagination européenne", il faudra sans doute rester vigilant face au projet de nouvelle Constitution qui, si l'on n'y prend garde, risque de grignoter un peu plus le pouvoir effectif d'un Parlement qui a encore bien du mal à affirmer son rôle fermement et sans complexes..
Lundi : jusqu'ici tout va bien, sauf les francs!
Un quart d'heure de séance pour annoncer les élections de mardi, au revoir et merci. Les choses sérieuses commencent demain. Mais, si c'était le calme plat à l'intérieur de l'hémicycle, il y avait du grabuge au kiosque à journaux.
"Non monsieur, nous ne prenons plus les francs." Le client, visiblement italien et ulcéré, tenta bien d'expliquer à la vendeuse que la banque se refusait à lui changer ses vieux francs, mais devant un refus obstiné, dû se résoudre à tourner les talons, non sans lancer quelques remarques "désobligeantes" à propos de l'efficacité du gouvernement national. La vendeuse, loin de se démonter, prit à partie les autres clients, et lança cette remarque très en vogue chez les commerçants en ce moment :"Ils voulaient l'euro, alors c'est pas la peine de se plaindre maintenant."
A croire que tout le monde a oublié que l'on nous avait tout de même consulté sur ce point, mais c'est vrai, il y a tellement longtemps déjà
Mardi : Facétieux europarlementaires ou la défaite de l'arithmétique
Il règne une certaine effervescence aux abords du bar et dans les couloirs du bunker.
Pour la dixième fois de son histoire, le Parlement européen va se choisir un nouveau Président. Exit Nicole, qui déjà déambule seule, sans les colosses qui la suivaient de son bureau à l'ascenseur, de l'ascenseur à l'hémicycle, de l'hémicycle à l'ascenseur, et de l'ascenseur à son bureau. Cette solitude nouvelle semble la rendre plutôt perplexe, et c'est avec une certaine hésitation qu'elle se décide à commander un café au comptoir du bar des députés, alors que des dizaines de pairs d'yeux regardent, étonnés et un peu amusés, Mme la Présidente fouiller laborieusement dans son porte-monnaie, à la recherche de la bonne pièce.
Et, c'est de la même manière timide, qu'elle a descendu les marches pour rejoindre sa place dans l'hémicycle quand a retenti la sonnette annonçant le début du vote.
Comme il se doit, c'est le doyen d'âge qui prend en charge la présidence du vote. C'est parti pour le premier et logiquement dernier tour de scrutin.
En lice, cinq candidats représentant chacun des partis. Le groupe de centre droit (EPP-ED) compte 232 membres, le parti libéral (ELDR) peut se prévaloir de 53 députés, restent donc les 179 voix du parti socialiste (PSE), les 45 des Verts, les 44 de l'extrême gauche (GUE/NGL), et bien sûr la quarantaine d'eurosceptiques, sans oublier les 22 députés "indépendants".
Pour bien saisir les enjeux de ce vote, il faut rappeler l'accord passé entre les deux groupes dès 1999, qui avait assuré la victoire à Nicole Fontaine et mis fin, par la même occasion, à un arrangement tacite permettant, depuis dix ans, une alternance gauche-droite quasi-parfaite en haut du perchoir. Restait donc au Parti Populaire à renvoyer l'ascenseur du pouvoir au petit Parti Libéral et honorer ce "gentleman's agreement" qui permet à la Droite "libérale" de gouverner seule le navire pendant encore deux ans et demi.
Ce qui nous fait donc 232 + 53, 285 le compte est bon pour Pat Cox, le candidat Irlandais du Parti Libéral est donc mathématiquement assuré de la victoire. Mais, on se doute bien qu'il ne s'agit pas ici seulement de mathématiques. Hélas, dans ce genre de jeux électoraux, les choses sont parfois plus complexes qu'il n'y paraît. Pat Cox aurait ainsi dû faire le plein des 285 voix de la coalition, et atteindre la majorité absolue dès le premier tour. Or il n'en engrangea que 254. Question : où sont passées les 31 voix manquantes. Peut-être chez David Martin, le candidat socialiste, qui eut lui la bonne surprise d'atteindre les 184 voix à la place des 179 auxquelles il s'attendait. Une hypothèse plus probable serait à rechercher dans le score obtenu par le poulain des eurosceptiques, l'Allemand Jens-Peter Bond qui recueille au total 66 voix.
Les esprits s'agitent, on court dans les salles de réunions pour négocier les différentes alliances du second tour. Les candidats communiste et vert se retirent en laissant pour l'un, des consignes de report vers le socialiste, et pour l'autre une absence apparente de directives. Mais il ne s'agit là que d'un feu de paille pour bon nombre qui ne doute pas de la victoire de Cox et qui retourne sereinement mettre leur petit bulletin dans l'urne.
Or, les choses se gâtent. Non seulement Pat Cox n'a pas atteint les 285 voix, mais son écart avec David Martin s'amenuise, passant à 51 voix de différence, tandis que Bond, avec 76 voix, devient véritablement gênant. Ce dernier à même l'audace de demander une interruption de séance afin de négocier un éventuel accord avec l'un des deux candidats. En pure perte, car ni l'un ni l'autre n'aurait pu se permettre une alliance qui serait vite devenue ingérable et leur aurait ôté toute crédibilité.
Le troisième tour s'annonce donc des plus palpitants, se prend-on à rêver, même si l'on se doute bien que les petits plaisantins des deux premiers tours ne vont pas pousser leur goût du risque si loin qu'ils pourraient priver leur propre camp de la victoire. Et effectivement, au final, Pat Cox récolte 298 voix et atteint largement la majorité absolue.
Ce sont les joies du bulletin secret, et il faut bien s'amuser un peu. Bien sûr, il se pourrait également que ce petit couac dans la machine bien huilée corresponde à une sorte d'avertissement. Quelque chose du genre: attention, les petits sont là et entendent bien manifester leur présence. Mais, tout est bien qui finit bien, et tout le monde de se féliciter de cette démonstration de démocratie. En effet, la démocratie est bien active au sein de ce Parlement, même si c'est pour de faux.
Mercredi : Aujourd'hui, c'est bizuthage !
La séance s'ouvre sur l'annonce des résultats des élections des quatorze vice-présidents. Lot de consolation pour le candidat malheureux David Martin que les députés ont promu au poste de premier vice-président. Il est d'ailleurs chaleureusement félicité par un nouveau Président dont le large sourire laisse entendre qu'il a certainement passé une bonne soirée. Il a pourtant bien failli le perdre à plusieurs reprises. Il faut dire que son bizutage fut sévère et que c'est en premier lieu le malheureux José Maria Aznar qui en fit les frais lors de son discours de présentation du projet de la nouvelle présidence espagnole du Conseil. Interrompu par un rappel à l'ordre assez vigoureux du Président Cox aux députés qui, visiblement, avaient d'autres chats à fouetter, il fit preuve d'une grande compassion face aux difficultés que rencontrait l'apprenti. Mais, le plus dur restait à venir : soumettre l'élection des questeurs au vote électronique secret, procédé que les députés n'avaient apparemment jamais expérimenté. Les voix s'élevèrent, curieusement c'est à gauche que l'on trouva les plus réticents. "Nous n'allons tout de même pas tergiverser 10 ans sur la fiabilité d'un système que nos petits-enfants sauraient utiliser" s'écria finalement un député du PPE d'un âge déjà fort respectable. Le Président trancha très judicieusement : il y aura un vote sur la manière de voter.
Bienvenue et bon courage M. Le Président.