Paradis fiscaux : quelle politique adopter ?
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Exploités par les grandes firmes pour développer leurs profits ou par les grosses fortunes privées pour payer moins d’impôts, les paradis fiscaux représentent souvent le côté peu reluisant de la finance internationale. Comment les éliminer ?
Les paradis fiscaux occupent une place prépondérante au sein de notre économie : dans l’Union européenne, la fraude fiscale représente en moyenne 2 à 2,5 % du PIB. Ils sont même « des piliers essentiels de la mondialisation économique », comme le fait remarquer à juste titre Christian Chavagneux, rédacteur en chef de la revue française L’Economie politique et rédacteur en chef adjoint du magazine Alternatives économiques. Que ce soit sur les stratégies d’investissement des entreprises multinationales ou sur la division internationale du travail, ils ont une incidence considérable.
Risques de dysfonctionnements à court terme
« Compte tenu de leur place essentielle dans le fonctionnement de la mondialisation, une remise en cause directe et brutale des paradis fiscaux provoquerait des dysfonctionnements économiques et financiers importants », explique Christian Chavagneux. Et d'ajouter : « Si l’on veut adopter une politique de remise en cause ferme et efficace, il faut donc l’annoncer longtemps à l’avance pour ne surprendre personne et tenir compte des efforts de lobbying qui seraient menés en retour par ces centres offshore. »
Pour cet expert, « la politique européenne menée contre les paradis fiscaux va dans le bon sens. » D’une part, il s’agit d’attaquer en priorité les revenus d’épargne des personnes aisées (directive épargne) et, d’autre part, d’harmoniser les bases fiscales en Europe (projet de directive promis pour 2008). Cette politique sera d’autant plus efficace si elle s'ajoute à des politiques nationales anti-fraude actives (contrôle sur les prix de transferts, déclaration de soupçons de fraude ou d’évasion fiscale par les banques, etc.)
Le coût de la stabilité financière est surtout politique
L’existence de paradis fiscaux s’apparente à la commercialisation de la souveraineté des Etats concernés par ce phénomène : la souveraineté est sacrifiée au profit d’une plus grande stabilité financière. « Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur de sciences politiques à Paris, insiste sur le fait que le droit d'ingérence a toujours existé et qu'il a évolué, à partir des années 1990, vers un devoir d'ingérence. Celui-ci repose sur l'idée que certaines valeurs sont supérieures à la souveraineté », souligne Christian Chavagneux. La recherche de biens communs internationaux, comme la stabilité financière ou la lutte contre l'évasion fiscale, va de paire avec la volonté de mettre en place un ordre international fondé sur le respect des droits fondamentaux. Ce qui justifie de passer au-dessus de la souveraineté des Etats parasites qui l’instrumentalisent à des fins pécuniaires…
« Si la souveraineté devient instrumentale, en servant des finalités désavouées par la communauté internationale, elle perd aussitôt sa prétention juridictionnelle et l'impunité qu'elle est censée donner », poursuit Bertrand Badie, dans la revue L’Economie politique. Ainsi, les paradis fiscaux et leur suppression à court terme représentent un danger pour la stabilité financière internationale. Une stabilité financière déjà fortement mise en cause actuellement par les risques de récession liés à la crise des subprimes aux Etats-Unis. Une politique de lutte efficace contre les paradis fiscaux suppose donc d’adopter une logique de long terme, basée sur une articulation judicieuse des politiques européennes et nationales, afin de limiter les dommages économiques et financiers. Par ailleurs, il faut accepter de passer au-dessus de la souveraineté des Etats fautifs, un coût politique nécessaire à l’élimination des paradis fiscaux.