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Par Toutatis, ils sont fous ces Teutons !

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Sergio Marx

Berlin

de Laurène Gibert, publié en février dans Berlin Poche. Nous sommes en 2010 après Jésus-Christ et toute l’Allemagne est occupée depuis 50 ans par les aventures d’Astérix… Toute ? Oui ! Même à Munich où Berlin Poche a rencontré l’irréductible Gudrun Penndorf, qui a traduit 29 des 34 albums du plus têtu des Gaulois.

Vous souvenez-vous du jour où vous êtes tombée dans la marmite des aventures d'Astérix ? 

Une amie française qui faisait ses études à Munich m'avait apporté le premier volume d'Astérix et se tordait de rire; elle ne pouvait pas comprendre ma stupéfaction. En plus celui-ci était basé sur des évènements historiques, donc instructifs, ce qui est très important pour les Allemands ! 

Au départ, dans les premiers albums traduits en allemand, Astérix s'appelait Siggi et Obélix, Barrabas, et n'ont eu que très peu de succès. Aujourd'hui, Astérix est l'un des personnages les plus populaires de « Germanie ». Comment expliquez-vous ce revirement de situation ? 

À l'origine, les droits de traduction en Allemagne avaient été accordés au Kauka-Verlag, l'éditeur de « Fix und Foxi », qui avait transformé cette épopée gauloise en une aventure germanique sans rapport avec l'original. Sur quoi, l'éditeur français  retira aussitôt la licence. Ehapa Verlag à Stuttgart acquit alors les droits de traduction, et à partir de 1968 j'ai commencé à traduire les aventures d'Astérix. La raison essentielle du succès c'est bien sûr l'humour de l’œuvre de Goscinny et Uderzo. Certains disent d’ailleurs que cela ne tient pas seulement au sujet, mais aussi à la traduction ! De nombreuses expressions sont passées dans le langage courant allemand, notamment le célèbre : « Ils sont fous, ces Romains. » 

Justement, quelle est votre recette [de potion] magique pour retranscrire les jeux de mots présents dans les albums d'Astérix ?  

Je n'ai pas de recette magique. Il faut d'abord avoir une très bonne connaissance  du français et également de sa propre langue. Et last but not least il faut de l'inspiration...

Mes difficultés ? Elles reposent surtout dans les passages où le comique n'est pas seulement dans les mots, mais dans les illustrations. Prenez par exemple « Astérix légionnaire » où, lorsque le petit groupe embarque ou débarque, chaque phrase accompagnant la manœuvre est reprise en écho par « poil à », suivi du nom d'une partie du corps rimant avec le dernier mot prononcé. Par exemple, « amarres larguées » est repris par « poil au nez ». Comme c’est le petit Egyptien qui fait l’écho, et qu’il parle en hiéroglyphes, il faut passer par une « traduction » du pseudo-hiéroglyphe pour arriver à la rime : « nez ». La solutionque j'ai trouvée consistait à faire commenter ironiquement la manœuvre par le petit Egyptien et la troupe reprend en chœur le commentaire. Ainsi « Leinen los! » est commenté par « Sie sind Euch eine Nasenlänge voraus! » etc.  

Est-ce là l’une de vos traductions préférées ? 

On pourrait plutôt poser la question ainsi : quel est le volume qui m'a le plus amusé à traduire ?  C'est « Astérix chez les Bretons », parce que j'ai imité la syntaxe anglo-saxonne, ce qui est très drôle pour les Allemands. Si en français, le « parler à l’envers » des Bretons se limite à la place respective de l’adjectif et du nom, ce qu’Obélix comprend très vite : « Vous avez vu mon chien petit ? », c’est la place du verbe  qui assume cette fonction en allemand. Une astuce qu’Obélix a aussitôt compris: « Habt ihr schon gesehen meinen kleinen Hund? »

Les aventures d'Astérix sont truffées de références culturelles françaises. De quelle manière pensez-vous que cela touche le lecteur allemand ? 

Dans les premiers albums, les allusions à des évènements typiquement français étaient nettement plus marquées que par la suite. Par exemple, dans « le Tour de France »  (d’ailleurs bourré d'allusions à la cuisine française)  la phrase du « postillon » ligoté par Astérix et Obélix : « Je vous promets qu'on n'a pas fini d'en parler de l’affaire du courrier de Lugdunum. », rappelle la célèbre « Affaire du  courrier de Lyon », une erreur de justice qui a défrayé la chronique française. La question est de savoir si les jeunes lecteurs français comprennent ces allusions !  

Dans « Astérix chez les Goths », la séparation des Goths entre Wisigoths (Goths de l'Ouest) et Ostrogoths (Goths de l'Est), bien qu'historique, fait référence à la division de l'Allemagne à l'époque de la parution de l'album. Que pensez-vous de cette allusion ? 

Dans l'ensemble, j'ai essayé de minimiser un peu les allusions à la division de l'Allemagne. Les Allemands peuvent déjà s'amuser des images. On trouve par exemple le casque à pointe avec sa visière et le protège-nuque qui rappelle l'armée prussienne impériale; les personnes averties reconnaîtront Hindenburg, Hitler et la croix gammée. Une idée que je trouve géniale, c'est d’avoir employé, même dans la version originale française, les caractères gothiques pour faire parler les Goths. 

En 50 ans, les Gaulois n'ont toujours peur que d'une seule chose, « que le ciel leur tombe sur la tête. » Dans quelle mesure ne peut-on pas craindre la décision d'Albert Uderzo et Anne Goscinny de céder à Hachette leurs participations dans les éditions Albert-Réné et donc de facto que ces héros survivent à leurs créateurs ? 

Je fais confiance à la potion magique, mais je n'ai pas de boule de cristal…

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