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Panama papers : un Commissaire européen épinglé

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BruxellesPolitique

L’affaire, révélée par l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), met en lumière un scandale financier sans précédent. Parmi les personnes visées, des membres de la famille du Commissaire espagnol Miguel Arias Cañete.

C’est le dimanche 3 avril que l’affaire a éclaté. Plus de 300 journalistes du monde entier ont mené pendant plusieurs mois des investigations sur des montages financiers réalisés par des centaines d’individus afin de contourner les systèmes fiscaux nationaux. En cause, les pratiques du cabinet d’avocat panaméen Mossack Fonseca, qui a domicilié dans nombres de paradis fiscaux des sociétés offshore, permettant de réduire significativement, voire de supprimer totalement la fiscalité, pour ces entreprises fictives.

Le Monde, Le Soir et d’autres médias internationaux commencent à donner, au compte-gouttes, le nom des personnes impliquées dans l’affaire. Si la plupart des révélations sont sans doute à venir, l’Union européenne n’échappe pas au scandale.

Société offshore au Panama et conflits d’intérêts

En effet, le nom du Commissaire européen à l’action pour le climat et l’énergie, l’Espagnol Miguel Arias Cañete est sorti dès hier soir. Ou plus exactement celui de sa femme, Micaela Domecq Solís Beaumont, ainsi que les noms de l’ensemble du clan Domecq, connu en Espagne pour leurs élevages taurins destinés à la corrida. Deux points posent ici question.

D’une part, la femme du Commissaire détiendrait, avec onze membres de sa famille, une société, Rinconada Investments Group, dont le siège social est au Panama. Cette société y a été enregistrée le 18 novembre 2005. Selon les révélations de l’ICIJ, ceux-ci ont une autorisation pour gérer quatre comptes dans une filiale suisse de Deutsche Bank, le titulaire de ces comptes étant Rinconada Investments Group. Selon un montage juridique complexe, Micaela Domecq Solís Beaumont a néanmoins besoin de la signature d’autres membres de sa famille pour gérer les comptes en question. Pour sa défense, la femme d’affaires espagnole affirme que « tous ses biens et actifs ont été déclarés au fisc espagnol, qu’elle n’a pas d’autorisation dans la gestion de Rinconada et que la société est inactive depuis de nombreuses années [depuis 2010] », selon le journal El Confidencial.

Une autre question est soulevée en marge des divulgations fiscales, celle-ci relevant de possibles conflits d’intérêts. Miguel Arias Cañete fut ministre de l’agriculture en Espagne entre 2000 et 2004 (gouvernement Aznar) ainsi qu’entre 2011 et 2014 (gouvernement Rajoy). Il était alors chargé de négocier avec la Commission européenne le paquet d’aides dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC). Or, d’après le journal El Confidencial en 2014, Micaela Domecq Solís Beaumont et les membres de sa famille ont reçu 1,81 millions d’euros de subventions entre 2010 et 2013 pour leurs élevages taurins.

Un mariage, des cachotteries

Du côté de Miguel Arias Cañete, la nature du contrat de mariage est invoquée pour se défendre. Effectivement, il a affirmé, par l'intermédiaire de son cabinet, que lui et sa femme étaient mariés depuis 1978 sous le régime de la séparation des biens, impliquant donc une séparation dans l’administration, la jouissance et la libre disposition des biens et actifs acquis avant mais également après le mariage. Le Commissaire à l’action pour le climat et l’énergie n’estime donc pas être inquiété par les révélations de l’ICIJ.

Bien que légalement, les biens de M. Cañete et ceux de son épouse soient effectivement séparés conformément aux dispositions du Code civil espagnol, la méconnaissance des agissements de sa femme et de sa belle-famille pourrait sembler étonnante. D’autant plus que, dans sa déclaration d’intérêts fournie en 2014 à l’occasion de son élection à la Commission européenne, s’il avait bien affirmé que sa femme était à la tête de deux entreprises, il avait omis de préciser qu’elle était liée, de près ou de loin, à une société établie au Panama.

De plus, concernant les possibles conflits d’intérêts alors qu’il était ministre espagnol de l’agriculture, le Commissaire ne s’est pas exprimé depuis hier. S’il n’est donc pas directement visé par l’affaire des Panama Papers, Miguel Arias Cañete est tout du moins concerné par ces accusations.

Señor Petrolhead

 Ce n’est pas la première polémique qui frappe le Commissaire, dont la nomination avait déjà donné lieu à une controverse. En raison de sa participation dans des sociétés pétrolières, il avait été surnommé par le Sunday Times « Señor Petrolhead » et une pétition réunissant près de 585 000 signatures avait permis de retarder sa désignation. Mais le Parlement européen avait fini par le soutenir largement.

Et déjà en 2001, le journal espagnol El País évoquait déjà des conflits d’intérêts alors que M. Cañete était député européen.

On rappelle que tout Commissaire européen, avant son élection par le Parlement européen, doit se conformer au Code de conduite des commissaires, dans lequel il est notamment écrit qu’ « un membre de la Commission ne doit pas intervenir sur des questions relevant de son portefeuille dans lequel il a un intérêt personnel, notamment familial ou financier, susceptible de porter atteinte à son indépendance ». Margaritis Schinas, porte-parole de la Commission européenne a affirmé, lors du Mid-day briefing du 4 avril 2016, que « d'après les informations fournies par le Commissaire, les déclarations semblent cadrer avec le Code de conduite des commissaires dans la mesure où il  [le document de déclaration] comprend l'ensemble des intérêts financiers de l'épouse du Commissaire pouvant présenter des conflits d'intérêts [...] Cette entreprise n'est plus existante depuis quelques années, bien avant en tout cas que le Commissaire n'entre en fonction en novembre 2014 ».  Il a également rappelé que la lutte contre l'évasion fiscale restait une priorité de la Commission Juncker. Si la présomption d'innocence se doit d'être respectée, l'affaire des Panama papers fera sans doute encore du bruit dans les prochaines semaines. 

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Cet article a été rédigé par la rédaction de cafébabel Bruxelles. Toute appellation d'origine contrôlée.