Pale Grey : dans la brume électrique
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Stromae l’a dit aux Victoires de la musique, « difficile de faire de la musique tout seul ». Ponctué de révérences, Best Friends, le premier album de nos amis les Belges qui sort aujourd’hui, est aussi le moyen de rappeler que la musique est surtout une histoire d’accords. Rencontre avec 3 potes que la pop a sorti du brouillard.
Ils sont rares les groupes de musiques actuels capables de confier en deux phrases qu’ils abordent la musique « en tant que consommateur ». À l’heure des selfies, Pale Grey arbore d’ailleurs deux chiens sur la pochette de son premier album, Best Friends. À l’image d’une certaine idée de la fidélité. Car si le disque évoque l’amitié, « les meilleurs amis » de Pale Grey s’appellent d’abord Phoenix, Alt-J ou The Whitest Boy Alive.
Gilles, le chanteur, le concédera : « on fait de la musique mais surtout pour en écouter ». Pale Grey a pensé Best Friends comme un album situé « à l’intersection de [leurs] goûts musicaux ». En réalité, « ce disque, c’est celui qui manque à notre discographie, celui qu’on aurait voulu écouter », dira Maxime, le guitariste. La Belgique a eu le temps de fureter dans les goûts musicaux du groupe - puisque l’album est sorti au printemps dernier outre-quiévrain - pour finalement le ranger dans la case « pop rock », tandis que les radios wallonnes diffusait sans satiété le premier single « un peu hip-hop » intitulé « Seaside ». Aujourd’hui, 3 des 4 membres du groupe sont venus défendre leur album à Paris, à un mois de sa sortie en France.
Pale Grey - « Seaside »
Comme Stromae, dans le brouillard
C’est dans le noir que les Belges gris-pâles ont choisi de séduire les médias. Confinés dans le salon d’un hôtel parisien, Jan (claviériste), Maxime et Gilles sont sagement assis sur un canapé d’époque. Du fond de la pièce, entre les instruments disposés pour les futures sessions acoustiques, Pale Grey est bel et bien mal éclairé. Ça tombe bien, ce jeu d’ombre et lumière illustre très bien l’univers doux/amer contenu dans Best Friends. Les mélodies joyeuses des chansons contrastent parfois très sévèrement avec des paroles inspirées d’événements dramatiques. « Comme Stromae… », glissera Gilles dans sa barbe de 3 jours. À l’instar, aussi, de cet homme jugé pour « une chose horrible » et dont la destinée ne se lit qu’au travers du jugement fruste des gens et des médias (« Shame »). Comme cet individu qui, au chevet de son meilleur ami comateux, trouve enfin les mots pour lui dire qu’il est le véritable père de ses enfants (« Confession »). « Les textes concernent souvent des états d’âmes ou des actes difficiles à comprendre, explique Gilles en articulant comme il faut. Ça turlupine tout le monde quand quelqu’un commet une chose horrible. On a quand même voulu aborder des sujets intéressants. S’il n’y a aucune déclaration d’amour dans cet album, c’est parce qu’on avait envie de parler des trucs dont on parle au café, avec les copains. »
Il s’agit aussi de se faire plaisir. Lunettes carrées, mèche de côté et jambes croisées pour la circonstance, Maxime affirme que le disque témoigne d’un véritable effort de narration grâce à « 10 titres conçus comme des histoires ». Et autant d’épilogues puisqu’ « on ne saisit le sens de ce qu’on a voulu dire qu’à la fin du morceau. » L’ADN bigarré du groupe s’apprécie aussi dans leurs personnalités, « des bons vivants très inspirés par la mélancolie ».
En vérité, Pale Grey, ce sont simplement des garçons originaires de Malmedy, région de la Wallonie située sur le plateau des Hautes-Fagnes, « au sommet de la Belgique », singularisée par un record de 300 jours de brouillard par an et où l’on répète à l’envi une phrase à l’étranger : « dans les Hautes-Fagnes, attention, tout se ressemble ! ». « Des gens sont morts perdus, à 100 mètres de la route, raconte Maxime sans rictus mais comme Lorànt Deutsch. Il y a un côté fascinant dans ces hautes herbes qui font penser à la savane et aussi un côté effrayant, infestées de marécages ». La région est devenue, au fil de la promo, une identité propre de Pale Grey dont le nom est - vous l’aurez compris - inspiré du smog. « Si bien qu’on se retrouve parfois à parler de faune et de flore dans des émissions à thème ! », se marrent-ils en chœur. C’est surtout l’endroit d’où ils viennent, auquel ils ont dédié un morceau – « Homeland » - et dont ils n’oublient pas l’importance quand il faut s’étendre sur leur histoire.
Le bus magique
« En Malmedy, c’est très rare de croiser quelqu’un qui aime la musique, confie Maxime en regardant Gilles d’un œil. Alors quand tu vois qu’un mec a des goûts proches des tiens, tu sens direct qu’il y a moyen de s’entendre ». Dans le village, un bus s’arrête sur la place une fois par semaine et propose de louer des CD. Les deux ados qui ne se connaissent pas s’aperçoivent assez vite qu’ils gravent les mêmes disques. Puis, comme ça, décident de monter un groupe expérimental. « Au début, on bidouillait des sons avec Garage Band. L’informatique nous ouvrait pas mal de portes, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on en avait un peu marre de jouer tous les deux sur scène avec un ordi au milieu », confie Gilles. Entretemps, les deux larrons partiront avec Jan vers Liège – le bastion du rock en Wallonie – l’un pour frapper à la porte du collectif Jaune Orange, l’autre pour organiser des expos, et le troisième pour étudier les langues germaniques. Au cours du voyage, se dessine surtout l’idée d’améliorer la présence scénique. Du coup, le groupe s’inscrit à « une résidence » : « une session coachée dont le principe est de jouer dans un lieu sonorisé pour améliorer le live, caler le son, la lumière ». En choisissant son coach, Pale Grey choisit aussi son producteur en la personne d’Anthony Sinatra, chanteur d’Hollywood Porn Stars.
Pale Grey - « Shame »
Aujourd’hui, Pale Grey est donc un groupe prêt à manger mais loin d’être rassasié. Les deux leaders, Maxime et Gilles, officient tous les deux dans d’autres projets plus ou moins importants (Dan San et Tsu, ndlr) et vous regardent avec des yeux de merlants frits quand on ose demander si ce n’est pas un peu too much. « On ne peut pas s’en empêcher, rétorque Gilles. Quand tu es passionné de musique, t’es obligé de t’investir dans des trucs différents pour assouvir tes envies ». C’est connu, quand on conduit dans le brouillard, mieux vaut utiliser plusieurs phares.