Ornette : « J’ai détesté Gainsbourg »
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« Si on lui avait dit qu’elle chanterait un jour, elle ne l’aurait pas cru », voici la première phrase de promo que l’on peut lire de l’album, Crazy. Pourtant, sur son premier disque, Ornette donne de la voix. Entre conservatoire, famille tarée et ordinateur cassé, la chanteuse de 28 ans a crée un projet musical haut en couleur : de la pop qui tache.
« Les chanteuses elles sont toutes jolies, elles plaisent aux garçons. Moi je n’ai jamais plu aux garçons ». Mon œil. Grande, blonde platine, solaire…Le seul détail qui pourrait lui enlever un zeste d’assurance sont ses grandes lunettes dont les montures cachent de petits yeux malicieux. Ornette est donc jolie. Modeste. Et difficile à croire. Difficile à croire parce qu’elle assure que sa voix, elle ne l’a jamais travaillée. Pianiste au sein d’un groupe de jazz, MOP (puis Electric MOP), elle était « la pianiste avec les lunettes. Le piano m’allait bien et je n’avais que des projets instrumentaux. Je ne me suis jamais vu chanter, en fait. »
École militaire, Regina Spektor et vernis à ongle
Elle n’en a jamais eu l’occasion, en fait. Ornette a suivi un parcours classique, pendant plus de 20 ans, au conservatoire. Une école « militaire » où l’on ne gazouille pas : « Je n’avais pas le droit de mettre du vernis à ongle, indique-t-elle en montrant ses ongles maculés de rose, fallait être habillé en noir, t-shirt blanc. Une école intransigeante aussi. C’est jamais assez bien, jamais assez précis, ça va pas assez vite, c’est jamais assez propre. Et moi j’aime bien les trucs sales. » Du coup, l’album tâche. En témoigne la pochette qui affiche un visage bariolé de peinture et le nom de l’album, Crazy : « J’avais besoin d’être ailleurs dans une autre bulle. » Grosso modo, une sorte de réaction à un monde trop aseptisé, trop policé. De là où naissent la teinture dorée et le look électrique. De là ou naissent les envies de liberté. A commencer par le nom. Car si Ornette s’appelle ainsi, c’est en hommage à une grande figure de la musique, Ornette Coleman saxophoniste d’avant-garde et précurseur du free jazz.
« Dans une chanson, j’ai mis des violons parce que ça me faisait tripper. »
« Je suis passé par le jazz et à l’improvisation libre en réaction au conservatoire. Après je me rends compte que cela m’a apporté beaucoup de choses, pas forcément humaines mais artistiques. J’ai quand même des réflexes dans les harmonies classiques. Dans une chanson comme The Lion and The Doll, j’ai mis des violons parce que ça me faisait tripper. » Un délire supporté par 12 morceaux dont aucun neressemble à l'autre. Les influences, de Regina Spektor à Peter Von Poehl, en passant par La Roux, font de l’album un disque éclectique, profond mais surtout courageux. Et souvent cela passe par la simplicité : « Je n’avais pas pour but de révolutionner quoi que ce soit. J’ai fait des trucs très simples, avec des paroles et des mélodies très simples sur lesquelles j’ajoute des paroles simples qui parlent de ma vie. » Sobre quoi.
« Je jouais La Javanaise pendant qu’ils chantaient tous à moitié faux. »
Bon. Et le côté perché alors ? Pourquoi Crazy, bordel ? Et bien, il faut aller chercher tout ça, dans les souvenirs, à la maison, ou l’époque durant laquelle Ornette n’était encore que Bettina Kee. Soit le contraste parfait avec l’ambiance du conservatoire : « Je viens d’une famille d’artiste un petit peu tapée. A la maison, je voyais beaucoup de fêtes. Comme j’étais celle qui savait lire la musique, on me mettait le song-book de Serge Gainsbourg. Et il fallait que je joue Gainsbourg. Du coup, j’ai détesté pendant des années. J’avais 10 ans, et quand mes parents faisaient la fête, ils avaient tous un petit peu bu. Je jouais La Javanaise pendant qu’ils chantaient tous à moitié faux. Donc ça fait des souvenirs assez rigolos au final. » En effet. Ornette grandit entre une mère comédienne qui écoute de la musique contemporaine en fermant sa porte à clef pour faire des vocalises et un père qui aime « les trucs polyphoniques » et fredonne du chant lyrique.
De la pop-cornes
Le décor est planté. L’univers corseté au sein duquel la jeune étudiante faisait ses gammes se diluait intégralement le soir dans une atmosphère festive où, celle qui passe désormais pour une fille délurée, était en réalité incroyablement sage. « Par rapport à mes parents, je suis très sage, très docile. Mais ils ont de suite compris mon choix. Je ne leur ai jamais vraiment dit en réalité. J’ai toujours fait de la musique. Donc c’était évident. » Évident aussi qu’Ornette fasse une carrière sur scène, au cinéma. Elle a déjà tourné avec Jacques Rivette dans Histoire de Marie et Julien et Pascal Bonitzer dans Petites Coupures aux côtés notamment de Daniel Auteuil, Emmanuel Devos et Kristin Scott Thomas.
Bref, finalement Ornette c’est tout ça. Crazy est un mélange de gammes, de fêtes, de piano, de cuivre, de teinture et de vernis à ongles. Pas un truc révolutionnaire, ok, mais un truc nouveau, sympa et rafraichissant. C’est de la pop avec des cornes. Un genre d’album qui nous pousse à faire des bêtises, mettre les doigts dans la peinture après une bataille d’oreiller. En pleine discussion sur les smartphones et Internet, elle pose son portable sur la table. Il n’en reste qu’une carcasse dont le boitier tient miraculeusement par l'adhésion de deux pansements d’écolier. « J’ai deux enfants et il vaut mieux pas avoir de téléphones…Il y a deux jours mon fils a cassé le clavier de mon ordi. Il a décrété qu’il allait lui faire un lavage nasal avec un brumisateur plein d’eau de mer. C’est très propre, mais il marche plus. » Des bêtises quoi. C’est sûr. Il écoutait l’album de sa mère.
To be Ornette to be, voici sa playlist en exclusivité :
Bobby Mc Ferin (la discographie complète)Jay-Z & Kanye West - Gotta Have itLa Roux - Quicksand
« Et un truc français que j'écoute tout le temps mais dont je me souviens plus. » Alors c'est peut-être ça, ça ou ça.
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Photos : Une et visuel ©discograph Ornette-foulard et Ornette-chapeau ©vittoriobergamaschi, Vidéo ©Discograph