« On ne peut plus vivre sur notre réputation »
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Certains producteurs français jugent que la mondialisation est un fait, non une fatalité. Leurs armes : la qualité et le marketing.
Chercheur en physique fondamentale à la retraite, Robert Deloche, 70 ans, consacre son nouveau temps libre à la remise en état de la propriété viticole familiale, dans le Bordelais. Convaincu que modernité et savoir-faire ancestraux se sont pas incompatibles, ce novice des cuves affirme cultiver une attitude pragmatique.
Comment passe-t-on des laboratoires de physique à la vigne ?
‘Château Gontier’, la propriété que je gère, appartient à ma famille depuis 1865. Le cadre est exceptionnel : vingt hectares de vignes sur une colline dominant l’estuaire de la Gironde, nichés dans le Bordelais. J’ai vu mon grand-père, puis mon père, travailler cette terre pour en tirer l’un des meilleurs crus AOC [Appellation d’origine contrôlée] de la région. Malheureusement, en 1954, nous avons été contraints de mettre la propriété en fermage. Quand j’ai récupéré le vignoble cinquante ans plus tard, il était en très mauvais état. Y étant très attaché sentimentalement, j’ai voulu lui rendre sa splendeur d’autrefois. Un travail colossal, auquel je me consacre depuis 2002.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, le charme du métier ?
C’est un métier assez sensuel, physique et très prenant. En ce moment, je peux passer jusqu’à dix heures par jour dans le cuvier. Quand on arrange les rangs de vignes pour faire en sorte qu’elles respirent bien, qu’elles ne soient pas trop chargées en grappes afin d’éviter le pourrissement des fruits, cela fait appel à un certain sens esthétique. On a parfois l’impression de modeler un jardin botanique. Je me considère comme un artisan. Mais fabriquer un bon vin relève parfois de l’art !
Quel est, selon vous, l’état d’esprit actuel des producteurs de vin en France ?
Beaucoup de producteurs sont très inquiets. Et moi aussi, je me fais du souci : vais-je réussir à écouler ma production en ces temps de crise ? J’ai cependant l’impression que les viticulteurs français ont de plus en plus conscience des nouvelles exigences qu’impose l’état actuel du marché. En France, et particulièrement dans le Bordelais, on a longtemps cru que l’on pouvait vivre sur notre seule réputation. Maintenant, on admet que ça ne suffit plus.
A quels défis la profession doit-elle aujourd’hui faire face ?
Le secteur souffre d’une surproduction globale. Or, je suis le premier à reconnaître la qualité de nos concurrents du ‘Nouveau Monde’. Le Chili ou la Californie, entre autres, produisent des nectars de très grande qualité. J’accepte la mondialisation, la concurrence induite par le libéralisme mondial. C’est pourquoi j’ai le souci, non seulement de produire du vin de qualité, mais aussi de lui trouver des débouchés. J’ai ainsi réfléchi à plusieurs méthodes de vente. Je cherche à créer des points de vente à l’étranger, notamment en Chine. J’ai contacté des comités d’entreprises. Je suis également favorable à la simplification des étiquettes, pour qu’elles restent compréhensibles pour les étrangers. Qui, au Texas, a entendu parler des cinquante-sept appellations du Bordelais ? Indiquer le cépage, en complément de l’origine géographique, participe de cette accessibilité.
Le projet de réforme de Bruxelles envisage notamment l’arrachage de 400 000 hectares de vignes en Europe -soit 12% de la surface viticole totale- sur les cinq prochaines années. Est-ce une solution pour sortir de la crise ?
Je suis favorable aux mesures d’arrachage quand elles concernent des mauvais vins - car malheureusement, il en existe. Ce sont eux qui gonflent la production globale et pèsent sur le marché. Sans même parler de « grands crus », je pense qu’il serait bien d’arracher les vignes qui ne sont pas capables de fournir des vins dignes de la simple consommation de table. Il est néanmoins important de distinguer les mauvais pieds plantés sur de mauvais sols et les mauvais plants enracinés sur de bons terroirs. Dans ce dernier cas, ils devraient plutôt être remplacés, comme je l’ai fait sur ma propriété.
Le vin européen a-t-il un avenir ?
Si je n’y croyais pas, j’aurais vendu ma propriété au lieu de lui consacrer ma retraite ! Simplement, il ne s’agit plus seulement aujourd’hui de savoir produire du bon vin. Il faut aussi être capable de communiquer. Les vignerons doivent en priorité faire connaître la culture européenne du vin. L’Italie, l’Espagne, l’Alsace et bien d’autres partagent un même amour historique de la vigne. Mais cette civilisation est en train de se perdre, au profit de la commercialisation de masse. Dans les grands domaines américains, d’une année sur l’autre, on produit un vin identique par dizaines de milliers d’hectolitres - un peu comme des meubles Ikéa. Dans le Bordelais, des terroirs distants de 800 mètres peuvent donner des vins radicalement différents. Cela relève de l’art : il faut savoir le faire. Et le faire savoir.