"Obama et les Européens" au Burgtheater
Published on
Article d'Alexandra Skwara Traduction de l'anglais: Perrine Recours
Le nouveau volet de la série de conférences “Debating Europe" au Burgtheater de Vienne a été l'occasion d'étaler des points de vue atlantistes sans fournir de vrai débat.
La série de conférences “Europa im Diskurs – Debating Europe” est un projet de coopération entre le Burgtheater de Vienne, la fondation Erste, l'Institut des sciences humaines (IWM) et le quotidien Der Standard. Ces événements réunissent à l'occasion d'éminentes personnalités internationales des domaines politique, économique, universitaire et journalistique afin de débattre en anglais de questions centrales à l'identité européenne et des affaires publiques européennes, devant un public large et enthousiaste.
Le dernier débat a eu lieu le dimanche 28 février 2010, et a rassemblé deux Américains et trois Européens afin de traiter la question suivante: “Obama et les Européens – qu'est-ce qui a changé?”. Parmi les intervenants, Stanley Greenberg, spécialiste américain de l'opinion publique et conseiller politique (de Bill Clinton et de Tony Blair, entre autres), Robert Kagan, chroniqueur américain, auteur et conseiller politique qui a notamment conseillé la campagne présidentielle de John McCain, Michael Spindelegger, ministre autrichien des Affaires étrangères issu du parti populaire autrichien (ÖVP), Karel Schwarzenberg, ancien ministre des Affaires étrangères de la République tchèque et dirigeant du nouveau parti de centre-droit TOP 09, ainsi que Ivan Vejvoda, directeur exécutif du Balkan Trust for Democracy et ancien conseiller de la présidence serbe.
Le débat a été présidé par Alexandra Föderl-Schmid, rédactrice en chef du journal Der Standard, dont la modération était bonne, mais parfois trop passive. Son insistance auprès de Spindelegger sur la présence autrichienne (ou plutôt l'absence autrichienne) en Afghanistan a par ailleurs semblé déplacée et politiquement orientée, en contraste avec l'attitude respectueuse adoptée envers les autres intervenants, les laissant s'exprimer librement.
Compte tenu de leurs orientations politiques et de leurs carrières respectives, il n'est pas surprenant que, malgré quelques désaccords sur la politique et les efforts d'Obama à ce jour, les invités ont adopté un front atlantiste uni. L'hypothèse que les intérêts et les valeurs européennes et américaines sont toujours les mêmes a été acceptée par tous sans aucune remise en cause et les intervenants ont convenu que l'Europe devait en faire davantage pour gagner le respect de l'Amérique. Le "soft power" européen fut rejeté, considéré comme peu opérationnel face au “hard power” américain et au poids économique de l'Asie. Le fait que la rédactrice en chef du journal le plus à gauche de l'Autriche semble préconiser l'envoi de troupes de son pays pour combattre en Afghanistan, et admire et approuve en toute évidence les idées de Kagan, l'un des plus grands néo-conservateurs américains, est plutôt surprenant.
Les deux conférenciers les plus intéressants étaient probablement Ivan Vejvoda et Karel Schwarzenberg. Le premier a parlé avec passion de ses espoirs que les Balkans occidentaux fassent bientôt partie de l'UE et a évoqué sa propre expérience dans l'opposition démocratique yougoslave pour plaider en faveur d'actions plus mesurées et ciblées contre l'Iran. Il a été le seul à reconnaître explicitement la dimension historique de l'élection d'Obama et du succès de l'UE à garantir la paix dans le monde.D'autre part, Schwarzenberg a soulevé quelques rires au début et ne craignait pas d'exprimer certaines opinions controversées, comme l'idée que les gouvernements devraient être plus disposés à agir en opposition avec les souhaits de l'électorat.
Spindelegger, quant à lui, a ilustré le risque d'inviter des hommes politiques encore en fonction à de tels débats: il n'a fait guère plus que de répéter les lignes officielles du gouvernement autrichien et de l'UE, parfois mal à l'aise. En outre, les intervenants américains semblaient plus s'adresser aux préoccupations d'un public américain, et Kagan, en particulier, semblait plus intéressé à marquer des points supplémentaires face à son adversaire politique qu'à débattre des relations transatlantiques.
Pendant plus de 90 minutes, le public a assisté à un échange d'idées intéressant et parfois même stimulant, mais finalement sans aucun vrai débat.Face à la question majeure, titre de cette rencontre “Obama et les Européens - qu'est-ce qui a changé?”, les intervenants ont généralement admis que la réponse était: “pas grand chose”, et il y a eu également un large consensus sur presque tous les autres points importants de la discussion. En conclusion, les intervenants ont considéré que l'Europe devait en faire davantage pour être traitée d'égal à égal avec les Etats-Unis. Cet objectif pourrait être atteint grâce à une plus grande unité politique, mais surtout par un renforcement de la puissance militaire.
Par ailleurs le fait que les conférenciers étaient tous au minimum quinquagénaires explique peut-être pourquoi personne n'était disposé à proposer une alternative au traditionnel “front occidental” face aux défis globaux. Il aurait été nécessaire qu'une voix soit disposée à évoquer le “soft power” européen, à remettre en question la situation actuelle en Afghanistan, et, plus fondamentalement, l'hypothèse que les valeurs et les intérêts de l'Europe et des Etats-Unis coïncident toujours. Malheureusement, du fait de l'absence d'une telle voix, “Debating Europe” a raté l'occasion d'accueillir un vrai débat.
Les prochaines rencontres de la série "Debating Europe" sont prévues les jours suivants
- 21 mars 2010: “Les autres parmi nous: opportunités et dangers de l'immigration”
- 18 avril 2010: “Sécurité vs. vie privée”