Noëlle Lenoir : « L’Europe n’est pas sortie du tunnel »
Published on
31 % des lecteurs de cafebabel.com qui ont participé à un sondage en ligne sur notre site souhaitent que l’UE pense aux 35 heures comme solution à la crise économique. L’ancienne ministre française aux affaires européennes, Noëlle Lenoir, commente ce résultat.
L’UE doit se retrousser les manches pour combattre le chômage. Le constat est clair, mais comment ? Nous avons posé la question aux lecteurs de cafebabel.com. Généraliser la flexicurité danoise (33 %) arrive en tête des solutions préconisés par nos sondés, talonnée par les 35 heures. 17 % estiment qu’il faut freiner l’arrivée des travailleurs non communautaires… Noëlle Lenoir analyse ces réponses.
Ces résultats sont-ils réalistes ?
Ce sondage est intéressant en ce qu'il montre des Européens moins frileux qu'on n'aurait pu le craindre face à leur avenir. D'une part, le fait que l'immense majorité des internautes estime que la crise n'est pas passagère, traduit une grande clairvoyance et une indéniable prise de conscience de la dimension systémique de cette crise. Même si les banques d'investissement sont de nouveau sur le pont pour impulser et financer des projets, il est difficile de considérer que l'Europe est sortie du tunnel. Chacun est conscient que la spirale du chômage n'a pas fini sa course, et que les plus jeunes seront parmi les plus touchés. Donc l'inquiétude est là. Et l'Europe a l'air d'être invitée à y répondre, même si ses compétences sont extrêmement limitées en matière de lutte contre le chômage. L'action des fonds tels que le FSE ou le Fonds d'adaptation à la mondialisation ne peut être que marginale. Et pourtant, l'Europe est appelée à bouger !
D'autre part, et c'est rassurant, les Européens ont fini de croire que la solution, c'est de fermer la porte au nez des travailleurs d'autres pays. On se souvient du slogan sur l'envahissement de la France par des « plombiers polonais » venant en nombre accaparer nos tuyaux et prendre nos emplois ! Ce slogan avait fait florès lors de la de la campagne référendaire de 2005 et avait contribué à mon avis au retentissant « non » français de triste mémoire. Eh, bien, ce « non », ou plutôt les raisons du « non » s'estompent. C'est en effet rassurant, car cela signifie que les tendances nationalistes - qui se sont manifestées dans certains pays, dont les Pays-Bas, la Hongrie et même la Grande-Bretagne - sont finalement bien contenues.
En troisième lieu, les solutions proposées par les uns et les autres reflètent des hésitations et de la diversité, c'est normal, mais beaucoup de citoyens européens sont d'accord pour accepter des solutions pragmatiques avec à la clé plus de souplesse dans le fonctionnement du marché du travail.
- une minorité (10 %) ne pense pas que travailler plus permettra de lutter contre le chômage. Certes, la crise financière qui a révélé les profits de la spéculation à une grande partie de la population européenne, a fait perdre son attractivité au « travailler plus pour gagner plus ». Cela veut dire aussi que la société dans laquelle nous vivons n'a pas l'intention de se passer de son « droit aux loisirs ».
- moins d'un tiers (29 %) - quand même... - voudrait encore diminuer les horaires de travail. Doit-on y voir la conséquence des problèmes de transport et d'urbanisation qui obligent les salariés à faire des trajets insensés pour aller de leur logement à leur lieu de travail ? Doit-on y voir une revendication familiale de ceux qui souhaitent avoir davantage de temps pour leurs enfants ? Doit-on y voir - ce serait fâcheux - la volonté de s'ancrer dans une société de loisirs, refusant la contribution de chacun à la richesse de tous ? Comment le savoir ? Vraiment, cette réponse me laisse perplexe.
- en sens inverse, les 37 % d'internautes qui sont prêts à la flexicurité à la danoise augurent d'une évolution très porteuse quant à l'idée qu'il faut davantage de pragmatisme dans la vision que l'on se fait du marché du travail. J'y vois la prise de conscience qu'il sera de moins en moins fréquent de garder le même emploi pendant toute sa vie. Les Européens se préparent donc au changement. Il est temps en effet, car le reste du monde et notamment les pays émergents ne nous attendent pas!
La réponse par oui ou par non à un sondage tel que celui-ci ne se prête pas à des réflexions globales. Mais je trouve très rassurant que transparaisse l'idée d'une meilleure adaptation aux changements, et d'une acceptation également de l'ouverture des frontières de l'Europe. Cela est indispensable, si nous voulons ne pas être les grands perdants au grand jeu de la mondialisation.
Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat avec le Cercle des Européens dont Noëlle Lenoir est présidente.