« Niqabitch » : l'entretien LOL qui dénonce
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Elles portent un niqab en haut et un minishort en bas. Deux « drôles de filles » se sont baladées en septembre devant plusieurs monuments du pouvoir français en terminant par le ministère de l’Immigration et de l'Identité Nationale.
Elles s’appellent « niqabitch » et ont choisi le web pour protester contre la loi qui interdit de porter la burqa dans l'espace public, parce qu'aujourd'hui, « c’est ça la démocratie ». Entretien « sous couvert » d'anonymat.
cafebabel.com : Pour qui avez-vous décidé d'être des« Niqabitch » ?
N : Pour les Français (rires). En réalité, on l’a fait spontanément, sans trop se poser de questions. On ne s’attendait pas du tout à ce qui s’est passé par la suite.
cafebabel.com : Et pourtant votre action a fait moins de bruit en France qu’ailleurs...
B : C’est vrai qu’au fur et à mesure, soit la presse n’y voyait pas d’intérêt soit notre action était critiquée. Puis pendant qu’on tournait notre vidéo, on a croisé un journaliste régional. Au lieu de s’y intéresser, il nous a conseillé de contacter des journalistes anglo-saxons ; c’est le genre de sujet qui leur parle.
cafebabel.com : Pourquoi anglo-saxons ?
N : Parce que le rapport entre religion et Etat est différent là-bas. Il est en fait plus tolérant. En France, beaucoup de personnes ont dit qu’on voulait juste faire un buzz. Pour moi, c’est un bon moyen de se débarrasser de la question. Probablement parce qu’on est trop jeunes et qu’en France on n’écoute pas les jeunes ; on,ne les trouve pas crédibles. Et pourtant, je trouve vraiment dommage que seuls les hommes politiques aient pris la parole sur la question de la burqa, parce que contrairement à notre génération, ils n’ont pas grandi avec des musulmans.
Mais si on nous refuse la parole, on peut la prendre autrement, avec le web, pour faire plus de bruit qu’eux. C’est ça la démocratie. Si les gens ne prennent pas la parole ce n’est pas parce que la loi les en empêchent ; ils s’autocensurent. Nous, on s’en fout ! On ne va pas mendier pour une audition. Si notre vidéo encourage des jeunes à faire pareil, ça sera génial !
cafebabel.com : quelle est votre message?
B : Disons que le niqab ne nous attire pas du tout, mais tout de même, beaucoup de femmes l’ont choisi. On a reçu la réaction d’une femme qui porte le niqab et dont le mari nous a vu dans la rue. Elle nous a retrouvé sur Internet, nous a expliqué qu’elle avait décidé de porter le niqab et nous a proposé de répondre à nos questions. Selon nous, la loi contre le niqab est assez dure car elle enferme des femmes chez elles, pourtant citoyennes normales… En plus, c’est cette loi n’est pas constitutionnelle. Dommage...
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N : C’est comme pour la loi qui protège les femmes battues. On ne va pas mettre une amende aux femmes battues ?
B : C’est vrai que voir une femme vêtue d’un niqab peut être choquant. Mais par cette loi, la seule chose que fait le gouvernement est de s’en débarrasser, se débarrasser de ces images en se cachant dernière l’idée de protection de la femme. Il y aurait plutôt besoin d’un travail de long terme dans des milieux où des femmes sont forcées à porter le niqab.
cafebabel.com : Dans votre article sur rue 89 vous avez dit que le gouvernement ne devrait pas dire quel genre de vêtement on porte. Mais le niqab n’est pas qu’un vêtement, il a une dimension symbolique. J’étais récemment dans une mosquée en Turquie où l’on trouvait une section ajourée réservée aux femmes. J’ai alors pensé à la grille d’un niqab.
N : Oui, mais cette idée de séparer les hommes et les femmes a existé partout. En France, les femmes peuvent porter des pantalons depuis si peu et on veut nous faire croire que les musulmans sont les seuls à être « macho » ? Bien qu’il y ait un message derrière le niqab, ça ne devrait pas inspirer les gens à la haine.
cafebabel.com : Des réactions à votre performance étaient-elle différentes par rapport au pays ?
N : Oui, chaque pays a son contexte. Certains nous ont dit : « N’oubliez pas qu’en Arabie Saoudite par exemple les femmes sont forcées à porter le niqab ». Bah oui, mais nous on est en France, dans un contexte différent. D’ailleurs, on n’est pas pour le niqab, on a plutôt voulu déclencher le débat. Mais d’autres nous ont très bien compris : des Allemands, Belges, Hollandais ou encore des Anglais.
B : La plupart des orientaux ont bien réagi. Les extrémistes musulmans l’ont évidemment mal pris. On nous a même accusées de faire de la pornographie.
N : Il se trouve que notre vidéo a fait penser aux films pornographiques avec des femmes qui portent un voile. Bah, dans notre vidéo il y a quand même un message derrière.... C’est vrai qu’il y a tellement de tension intercommunautaires en France que les gens pensent directement en terme de provocation, de manque de respect. Mais associer des minishorts à la pornographie.... c’est un truc auquel on n’aurait jamais pensé.
cafebabel.com : Etes-vous féministes ?
N : Oui, après on a peut-être notre propre façon de voir de choses. On est des féministes de 2010. Bon, une féministe nous a tout de même dit que la vrai révolution serait de ne pas nous épiler et de ne pas offrir à l’homme occidental cette vision de la femme orientale désirable en lui montrant nos jambes. Nous sommes en désaccord avec ce modèle féministe. Nous défendons une autre liberté de la femme, qui leur permette de traiter leur corps comme elles le veulent.
B : Si elle veut le montrer, elles ont le droit de le montrer, si elles veulent le cacher, elles ont droits de le cacher. Ce qu’on ne comprend pas, c’est que les féministes n’acceptent ni l’un ni l’autre. Les deux les dérangent, alors qu’est-ce qu’on est censées faire ? On ne va pas retomber aux femmes des années 1960 sans soutien-gorge ?
N : En s’habillant en niqab et mini-short, on affirme qu’une femme en niqab et une femme en mini-short peuvent coexister dans la même société.
* Les « niqabitch» ont requis l'anonymat pour cet entretien
Photo : Une : impression d'écran de la ballade des Niqabitch à Paris (courtoisie de You Tube) ; graffiti féministe : biphop/Flickr