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Ne t'inquiète pas, Mirek !

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Babel Sofia

Sofia

. « Mon cher Mirek, Ton pays prend donc la présidence tournante de l'UE. Tu n'as pas de chance. Tu aurais pu succéder à un Grec, empêtré dans des combats de rue ; à un Italien, traînant trente-six casseroles ; ou même à une Allemande têtue, manquant totalement de charisme.

Mais le sort a voulu que tu viennes après moi, qui ai changé l'Europe, et peut-être le monde »

C’est ainsi que l’humoriste Robert Solé, chroniqueur au Monde, s’imagine la lettre par laquelle le président Sarkozy cède la présidence tournante de l’UE au premier ministre tchèque Mirek Topolanek.

En France, une part non négligeable de l’auditoire télé s’informe de l’actualité des affaires politiques par les Guignols de l’info avant le journal de Canal +, évitant ainsi les messes journalistiques de 20 heures. Souvent, la parodie est plus riche de contenu que l’information lisse vêtue de costume du soir, pour cela, agissons à la française et finissons la lecture de la lettre.

« Ton petit pays n'a adopté ni l'euro ni le traité de Lisbonne. Ton président de la République est un eurosceptique proclamé et ton gouvernement de coalition ne tient qu'à un fil. Mais tu peux compter sur mon aide. Lundi, je pars au Proche-Orient régler la question israélo-arabe. A mon retour, je prendrai plusieurs initiatives pour mettre fin à la crise économique mondiale. Ce qui ne m'empêchera pas, ensuite, de supprimer les gaz à effet de serre et d'arrêter définitivement le réchauffement climatique. Ne t'inquiète pas, Mirek. Tu ne verras même pas passer ces six mois de présidence. Courage ! Et mes respects à Mme Topolanek.(la blonde sympathique pour laquelle le premier ministre a quitté sa première épouse, note de l’auteur).Nicolas Sarkozy, président honoraire de l’Union européenne »

Sarkozy, bien entendu, n’est pas « président honoraire de l’UE », ce poste n’existant pas, mais pendant les mois de la présidence française, l’omniprésent Nicolas s’est affirmé comme le leader incontestable de l’Union. En juillet, à son initiative, a été créée l’Union pour la Méditerranée. En août, la France a réagit à une vitesse éclair à la guerre en Géorgie. En décembre, elle a réussi, dans des délais courts, à proposer des mesures pour sauver l’économie européenne à l’aube de la crise financière mondiale. Bien que leur portée et leur aspect soient l’objet de quelques critiques, la réactivité de l’administration française a été saluée par tous.

Sarkozy a sorti l’UE de l’état de vertige qui a suivi le « non » irlandais au traité de Lisbonne. Cependant, l’énergie du président français n’est pas suffisante pour surmonter les « défauts de construction » de l’UE. Si, grâce à son autorité, la France, traditionnellement une locomotive en Europe unie, est en mesure de surmonter les doutes de certains et de tirer le train commun en avant (vers où, d’ailleurs ?), la Tchéquie, elle, représente une somme de qualités et de défauts qui font qu’elle n’est pas adéquate pour assumer la présidence tournante de l’UE. Même le bon sens et la franche finesse d’esprit de Chvéïk, toutes deux des vertus sur le plan humain, sont perçues comme de l’ « euroscepticisme » en Europe unie, voire comme de l’ « europhobie ».

« Topo est un menteur et un imbécile »

Ce texto amusant est enregistré par une caméra tchèque en 2002. Le problème, c’est que le texte est inscrit sur l’écran du téléphone portable de Vaclav Klaus et concerne Mirek Topolanek. Aujourd’hui, le premier est président et le deuxième premier ministre de la République tchèque. Ces partenaires malgré eux sont voués à dicter l’ordre du jour de l’Union pour les six mois à venir. Leur mépris réciproque est légendaire même s’ils sont issus du même parti. Klaus est le père idéologique du Parti démocratique civique, dirigé aujourd’hui par Topolanek. Klaus, homme de la capitale, ne cache pas ses manières hautaines envers le provincial Topolanek. Le premier a un passé académique en tant que professeur d’économie, le deuxième est un ingénieur de Brno, issu de la classe politique de la transition.

Topolanek est à la tête d’une majorité fragile, qui ne tient qu’à une voix. De plus, elle est divisée sur la question du traité de Lisbonne. Le République tchèque est le dernier pays de l’UE, aux côtés de l’Irlande, à ne pas avoir ratifié le document de base de l’Union. En ce sens, elle sera à la tête d’une union, dont elle n’a pas encore reconnu le principal traité. La reconnaissance même du traité est incertaine. Les deux chambres du parlement devraient l’approuver officiellement début février mais pour l’instant les comptes ne sont pas bons. Les socio-démocrates de l’opposition sont en faveur du traité mais opposent une objection contre l’installation de radars américains pour le projet de bouclier antimissiles sur le territoire tchèque. Une grande partie des membres du parti de Topolanek salue le radar avec l’américanophilie extatique propre à certains hommes politiques de l’Est, tandis qu’ils voient d’un mauvais œil le traité de Lisbonne. Le premier ministre est à la recherche d’une majorité pro-européenne à géométrie variable. On parle de marchandages secrets avec les leaders de l’opposition et d’un contrat « radar plus traité de Lisbonne » pour qu’il n’y ait pas de lésés. Si le traité est approuvé, reste l’étape la plus délicate : sa promulgation par le président Klaus. 

Le génie méconnu

A soixante-sept ans, Vaclav Klaus est le favori de beaucoup de ses compatriotes (60 % d’approbation) et son entêtement est connu de tous. La presse tchèque a sorti au grand jour des renseignements d’un agent secret des années 1980 qui caractérise ainsi l’objet Klaus : « De par son comportement et ses manières on voit bien qu’il se considère comme un génie méconnu. Tous ceux qui ne partagent pas ses opinions se voient taxés d’incompétents et d’imbéciles ». Le président tchèque s’est autoproclamé « dissident dans l’UE » et est l’opposant de front de toutes les thèses populaires de l’Union. Il jette l’opprobre sur le « mythe du réchauffement global », compare les écologistes aux communistes d’antan et refuse d’agiter le drapeau européen au dessus de Hradcany. En août, Klaus a désigné Saakashvili comme le coupable de la guerre avec la Russie, vérité que l’Europe n’a avoué que quelque mois plus tard, quoiqu’à demi mot. 

A la question de savoir ce qui se passera pendant la présidence tchèque Klaus répond avec candeur « Rien, parce qu’un petit pays n’a pas de poids ». Pourtant, dans son message pour la nouvelle année, le président a déclaré que « la présidence tournante est l’occasion d’avoir de l’influence », troublant ainsi la sieste des eurocrates qui se sont mis à sonder quelles étaient ses intentions.

Avec son éternel goût du scandale et de la provocation intellectuelle Klaus passe dans les yeux des conformistes pour un prétendu fou sur la scène européenne, mais n’est-ce pas justement au fou qu’incombe la noble mission de formuler les vérités gênantes ? Le président tchèque, stratège de la transition économique dans son pays, définit l’UE comme soi-disant démocratique, en réalité une union technocrate. De telles déclarations coûtent généralement à leur auteur une isolation dans le ghetto du radicalisme europhobe de gauche ou de droite pour faire s’éteindre la résonnance des mots. Pourtant, l’autorité et le passé de Klaus confèrent un tout autre poids à de tels raisonnements que les élites conformistes rejettent mais que beaucoup de citoyens partagent.

Evropě to osladíme

Par ce slogan, le gouvernement tchèque essaye de faire adhérer ses citoyens à la cause que Prague s’en sorte dignement de cette première présidence tournante. Les Tchèques étaient les premiers à introduire le sucre en morceaux. L’expression « Adoucir l’Europe », dit-on, est à double sens et peut tout aussi bien signifier « rendre amère » la vie de quelqu’un (dans le cas présent, celle de l’Europe). Par ailleurs, l’expression s’utilise uniquement parmi les Tchèques, puisqu’à l’extérieur la présidence s’affiche avec le slogan, désespérément banal, « Une Europe sans barrières ». Quand l’originalité devient victime du politiquement correct, il y a quelque chose de pourri dans l’UE. La langue est un test de diagnostic politique tout aussi bon que les chiffres.

Le cabinet Topolanek a annoncé trois priorités pour le premier semestre de 2009 : économie, énergie et relations extérieures. Mais le destin a décidé de se jouer des bonnes intentions de Prague en lui présentant trois défis disproportionnés : crise financière mondiale, conflit du gaz entre la Russie et l’Ukraine et crise au Proche-Orient. Ainsi, l’agenda de Prague a été modifié par un ordre du jour de force majeure.

Trois points restent cependant inchangés.

Au printemps, Prague a l’intention d’organiser un sommet du Partenariat oriental qui établirait un plus haut niveau de coopération avec l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie, la Moldavie, l’Azerbaïdjan et selon la conjoncture politique avec la Biélorussie. L’initiative a pour but de calmer les élites europhiles dans les républiques postsoviétiques, de civiliser la périphérie de l’UE mais va certainement mettre en colère Moscou qui considère ces mêmes États comme appartenant à son aire avec de nombreuses minorités russes à l’intérieur de chacun d'entre eux.

A la fin du printemps Prague accueillera le sommet UE-Etats-Unis. Les Tchèques ont la formidable intention de faire participer cette fois-ci tous les chefs d’Etats et de gouvernements des vingt-sept qui établiraient alors un contact personnel avec le président Obama et la nouvelle administration américaine. Mais sans doute Sarkozy, Merkel, Brown et Berlusconi trouveront-ils un moyen de devancer la foule de Prague.

Enfin, au mois de juin auront lieu les élections européennes, événement de routine mais massif avec des projets politiques à long terme pour l’Europe.

La présidence tchèque a commencé par une gaffe : le ministre des Affaires étrangères Schwarzenberg a défini l’opération israélienne à Gaza comme « défensive » à la grande horreur des minorités arabes en Europe. Son intervention a jeté la confusion au ministère des Affaires étrangère français qui plus tôt le même jour avait désapprouvé l’offensive.

Lundi dernier, un groupe hétéroclite de pacificateurs s’envolait vers le Proche-Orient, symbolisant à lui seul le manque de mécanismes et de vision de la politique extérieure de l’UE. Dans l’avion de Bruxelles partaient les envoyés européens au nombre de trois : Karel Schwarzenberg, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, Bernard Kouchner (France) et Carl Bildt (Suède). Devraient les rejoindre Javier Solana et Benita Ferrero-Waldner. Les acteurs du Proche-Orient reçoivent et reconduisent vraisemblablement la troupe avec la perplexité des personnages de la vieille comédie Look who’s talking  ! 

Soudainement le même jour, de son propre chef partait pour le Caire, Tel-Aviv et Damas l’infatigable Sarkozy. Sa voix a plus de chances d’être entendue. Alors, vraiment, Mirek, ne te tracasse pas, les choses suivent leur cours.

Ivo Hristov

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