Nawal El Moutawakel : « Les filles perçoivent trop souvent le sport comme un monde macho »
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Les femmes ont-elles leur place dans le monde du sport, et au cœur de ses instances dirigeantes ? Réponses de Nawal El Moutawakel, actuelle ministre de la jeunesse et des sports au Maroc.
Comment aborder la thématique des femmes et du sport sans parler de Nawal El Moutawakel ? Cette marocaine de 46 ans fut en effet la première femme originaire d’un pays musulman à remporter une médaille olympique et la première athlète, femmes et hommes confondus, à obtenir l’or pour son pays. Une légende ! Mais Nawal El Moutawakel aime définitivement les symboles : en 1995, elle intègre le Comité International Olympique (CIO) et devient, en 2008 à Pékin, la première femme musulmane à siéger à la commission exécutive du CIO. Elle est également depuis octobre 2007 ministre de la jeunesse et des sports du Maroc. « L’impossible est impossible », aime-t-elle rappeler. Interview réalisée par l’association Sport et Citoyenneté dans le cadre de sa revue scientifique « Femmes et Sport ». Cette association milite pour que le sport et ses différentes valeurs soient considérés comme des vecteurs incontournables d’éducation et de citoyenneté.
Comment le sport peut-il favoriser à vos yeux l’égalité entre les hommes et les femmes dans notre société ?
Parce qu’il touche toutes les populations du monde, le sport est avant tout un réel moyen de promotion et de développement. C’est un droit fondamental où la discrimination et la ségrégation n’ont pas leur place. Le sport a des qualités phénoménales tant pour les hommes que pour les femmes : il les rapproche en toute solidarité, en toute fraternité, en toute équité, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, malheureusement. Mais de nombreuses institutions travaillent dans ce sens, ainsi que de nombreux gouvernements, pour refléter les réelles valeurs véhiculées par la pratique du sport : le rapprochement, l’excellence, la détermination et l’effort dans la joie.
Quels pourraient être les efforts à un niveau national et international pour favoriser l’accès des femmes aux postes de haute responsabilité ?
C’est un perpétuel combat que livrent les femmes pour trouver leur place parmi leurs confrères masculins. Aujourd’hui, les instances essaient de favoriser la cause des femmes jusqu’à l’obtention de ce genre de responsabilités. Généralement, le changement est réclamé par tout un chacun ; or, tout le monde veut le changement mais personne ne veut changer…
Néanmoins, depuis le début des années 90 de nombreuses instances organisent des conférences mondiales sur le thème « Femmes et Sport » et le débat du Congrès Olympique du Centenaire en 1994 à Paris était consacré en grande part à l’élément féminin. Ce mouvement est en train de faire bouger les choses et de faire entendre la voix des femmes un peu partout.
« J’ai l’intime conviction que le futur du sport est féminin »
Sur les terrains, elles ont démontré qu’à force de détermination, de persévérance et de courage, elles pouvaient battre des records et pulvériser des performances jadis réalisées par les hommes. En coulisses, elles aspirent désormais aux mêmes responsabilités. La représentation des femmes au sein du mouvement sportif est ainsi passée de 10 % dans les années 90 à 20 % quelques années plus tard. Certaines institutions maintiennent ce taux, d’autres sont à la traîne, mais on sent actuellement un vent de modernisation et de changement au sein des instances de décision.
Ce changement de cap est très important, notamment pour les jeunes filles, car elles perçoivent encore trop souvent le sport comme un monde « macho », où la mainmise est masculine. Les femmes sont pourtant de plus en plus nombreuses à siéger dans les exécutifs, à assurer la présidence de diverses commissions ou groupes de travail, à devenir ministres. On sent que ce changement apporte un réel baume au cœur pour les femmes comme pour le monde sportif et j’ai l’intime conviction que le futur du sport est féminin. Et j’espère qu’il en sera de même pour notre société…
Justement, les Institutions européennes sont particulièrement actives sur ces questions, à travers différents instruments politiques et juridiques comme le Livre Blanc sur le sport ou encore l’article « sport » du traité de Lisbonne. D’après le Livre Blanc, « la Commission européenne doit encourager l’intégration, l’égalité entre les sexes, l’accès au sport pour les femmes, notamment celles appartenant à des minorités ethniques et l’accès des femmes aux postes de décisions ». En tant que ministre de la jeunesse et des sports du Maroc et membre du CIO, suivez-vous ces questions ? Quel est votre sentiment sur ces travaux ?
Même de loin, nous suivons de très près ce qui ce passe en Europe et nous encourageons toutes les innovations et toutes les initiatives. Quand il s’agit d’une coopération Nord-Sud, nous sommes un peu obligés de suivre ce qui se passe au Nord, et nous nous inspirons de ces initiatives et de ces exemples pour insuffler un sang nouveau à tout ce qui s’entreprend dans nos régions. Aujourd’hui, développer un projet en marginalisant la femme est voué à l’échec.
Le Livre Blanc sur le sport constitue donc un exemple à suivre pour de nombreuses organisations, de nombreux gouvernements, de nombreuses entités… afin de démontrer que tout est possible, que l’impossible est impossible. Aujourd’hui, lorsqu’on regarde les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), nous voyons l’importance que les institutions internationales accordent aux femmes. En éliminant la marginalisation, la pauvreté, le misérabilisme et de nombreux autres fléaux, en encourageant l’insertion et la confiance en soi, le sport participe à l’émancipation des femmes, qui sont souvent touchées par ces problématiques : à la fois épouses, mères, femmes… elles peuvent facilement connaître la pauvreté, l’exclusion ou la marginalisation. Le sport a cette faculté de repousser ces différents points. Il est donc nécessaire d’encourager le développement du sport : le Livre Blanc constitue à ce titre une excellente feuille de route, susceptible d’être adoptée par de nombreuses sociétés.