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Nathalie Alony : « Les nouvelles générations ne voient pas tout en noir et blanc »

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Culture

Entretien avec la sculpteur israélienne qui suit le conflit au Proche-Orient depuis l’Italie. La presse y est assez « objective » selon elle, même si en Europe, on ne se rend pas compte qu’ Israël est « frappé dans son sommeil et vit dans la menace constante de l'anéantissement ».

27 janvier, c’est le jour du Souvenir, je pars pour Mantova interviewer Nathalie. Dans le train, deux hommes s’échangent les quotidiens et parlent de l’Holocauste et de Gaza : l’un est pour les Israéliens, l’autre pour les Palestiniens. Ils ne trouvent aucun terrain d’entente, et après un débat serré, l’un des deux s’exclame : « Les gens comme toi ne comprennent rien. »

Entre la gauche italienne et les amis de Tel Aviv

« On combat sur la même terre et pour la même terre, comme des frères »

C’est sans doute cette raison qui me pousse à demander à Nathalie Alony, alors que je la rencontre à peine, comment une artiste israélienne installée en Europe vit le conflit israélo-palestinien. « Avant de m’installer en Italie, mes compatriotes me disaient de ne pas écouter ce que les médias disent à propos du conflit, car l’opinion publique prend position pour les Palestiniens. En vérité, j’ai pu lire dans les journaux des commentaires assez complexes qui semblent tenir compte des deux positions. Par contre, cela devient difficile d’avoir une discussion avec les gens que je connais : en pratique, je me situe entre les idées de mes amis italiens de gauche et celles des gens (connaissances et parents) de Tel Aviv. Les premiers insistent sur les conditions de vie inhumaines dans la Bande de Gaza tandis que les autres me reprochent de ne pas me souvenir de comment est la vie en Israël. »

Nathalie est sculpteur, elle a 34 ans, est née à Tel Aviv et a vécu entre l’Asie, l’Amérique et l’Europe, poursuivant sa passion pour l’art. « Mais l’art, c’est difficile où que l’on soit. En Israël, parce que le marché est petit. À New-York, parce que les artistes sont légion. En Italie, parce qu’elle n’est plus le centre névralgique de l’art », me dit-elle tout en allaitant sa petite Lia. Une fois seulement, elle s’est inspiré du conflit dans son travail : « J’ai sculpté deux enfants placés dans une structure circulaire, tous deux face à face, l’un la tête renversée, se pointant un fusil sur le visage : Caïn et Abel. Cela ne faisait pas seulement référence au Proche-Orient, mais également aux autres pays dans lesquels on combat sur la même terre et pour la même terre, comme des frères. »

Bombes humaines lancées contre Israël

Et comment avez-vous vécu le conflit lorsque vous étiez encore à Tel Aviv ? « Je retourne au moins deux fois par an en Israël, pour la Pâques juive et pour les vacances d’octobre. Ce qui est étrange, c’est que lorsque je suis là-bas, paradoxalement, je ne ressens pas la guerre. Tel Aviv est un centre culturel très important et il semble que les personnes se réfugient dans l’art, dans la musique, dans la vie nocturne pour fuir l’idée et la responsabilité des combats. Ils vivent dans une bulle. »

Elle me montre des lettres écrites en hébreu qu’elle a envoyées à des connaissances israéliennes. Elle m’en traduit quelques lignes : « Il faudrait donner aux Palestiniens qui vivent à Gaza quelque chose à perdre, un travail, une maison. Ils n’ont pas d’eau, ni d’énergie, ils sont désespérés. Ce sont des bombes humaines que la Ligue arabe utilise contre Israël. » La description des conditions de vie inhumaines des Palestiniens semble redondante, superflue si l’on regarde les nombreuses images diffusées à la télévision. « Mais en Israël, ce ne sont pas ces images-là qui parlent de la guerre. Ce sont plutôt lesscènes de la ville tranquille, des lieux bondés, soudainement touchés par des missiles ou par des kamikazes. Israël blessé dans son sommeil. La sensation que l'on éprouve équivaut à celle donnée par des voleurs qui pillent ta maison pendant que tu dors. »

« Mais en Israël,la sensation que l'on éprouve équivaut à celle donnée par des voleurs qui pillent ta maison pendant que tu dors »

Qui sont les meilleurs interlocuteurs possibles en Israël ? Nathalie sort de petites boîtes en fer-blanc avec lesquelles elle travaille : elles deviendront les maisons bombardées de cette dernière phase du conflit et, pendant qu’elle les met en ordre sur sa table de travail, elle répond : « Les meilleurs interlocuteurs sont les nouvelles générations, elles sont plus ouvertes et voyagent plus, et ne voient pas tout en blanc et noir. Même en Italie, certains devraient cesser de prendre des positions trop radicales, comme c’est le cas avec une certaine gauche qui organise des manifestations exagérées sans tenir compte de combien le sujet est délicat. Hier, j’ai reçu un email d’un groupe Facebook qui appelait au boycott des commerces juifs, avec une liste de noms ! Il ne faut pas oublier qu’Israël est un pays qui vit dans la menace constante de l'anéantissement et, en même temps, c’est le bouton de sécurité du monde occidental au Moyen-Orient. » 

Il est l’heure du déjeuner et au journal télévisé, on parle des bombardements qui ont rompu la trêve. « A Rehovot (une des villes touchées par les missiles) se trouve une de mes sculptures, La Donna tartaruga, « la femme tortue ». Devant une assiette de pâtes à la sauce tomate et un verre de bière à moitié vide, la guerre est entrée dans l’art de Nathalie Alony.

Translated from Nathalie Alony: «Bisognerebbe dare ai palestinesi di Gaza qualcosa da perdere»