My Skinny Sister : l'adolescence décharnée
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Cécile VergnatNous avons interviewé Sanna Lenken, réalisatrice suédoise concernant son premier long-métrage : My Skinny Sister. Un drame intime sur l’anorexie, illuminé par la candeur spontanée des deux jeunes actrices et par une écriture et une mise en scène qui en accentuent la complexité.
Sanna Lenken est une jeune réalisatrice suédoise qui après une série TV à succès et quelques courts-métrages récompensés à l'international, a sorti cette année son premier long-métrage. My Skinny Sister est une œuvre jeune et sincère, qui traite de l’anorexie à travers la relation entre deux sœurs adolescentes. Nous avons rencontré Sanna Lenken pendant son court séjour à Paris pour la présentation du film.
cafébabel : Beaucoup de vos travaux comme le court-métrage Eating Lunch ou la série Double Life sont focalisés sur l’adolescence. Qu’est-ce qui vous amène à souvent préférer ce point de vue ?
Sanna Lenken : Je pense que lorsqu’on devient adulte, on continue aussi à porter en nous les questions de notre première jeunesse, parce que c’est là que tout a commencé. À cette période, chaque rencontre et chaque expérience détermine ce qu’on deviendra et forme notre « moi » adulte. Tout le monde peut en, quelque sorte, se reconnaître en un adolescent et, pour moi, travailler en tant que réalisatrice sur l’adolescence signifie me concentrer sur une partie de moi-même. C’est par ailleurs intéressant parce que les adolescents, contrairement aux adultes qui font souvent semblant de ne pas éprouver de sentiments, expriment fortement ce qu’ils éprouvent. Pour eux, tout concerne l’amour et la mort.
cafébabel : Ce qui est particulièrement touchant dans My Skinny Sister, c'est la représentation et l’interprétation du rapport entre sœurs. Quelle part d’autobiographie y a-t-il dans cette décision ?
Sanna Lenken : Ma sœur est mon assistante, et elle est justement là (elle rit en la désignant dans la pièce). Le rapport entre sœurs est très important pour moi. Tandis qu’avec les petits amis après une grosse dispute on peut rompre, avec ta sœur ou ton frère tu sais que le lien est si fort et unique qu’il perdurera tout le reste de votre vie. C’est un type de relation que tu ne peux avoir avec personne d’autre. Dans le film, il s’agissait d’adopter un point de vue insolite et celui de la sœur m’est apparu comme le plus intéressant. Cela dit, Stella et Katja représentent plus deux parties de moi-même que mon réel rapport avec ma propre sœur. Même si je n’aurais probablement pas pu l’écrire sans cette expérience de sœur.
La bande annonce de My Skinny Sister.
cafébabel : Les deux protagonistes du film vivent toutes les deux une phase de transition dans leurs vies : Stella vient de rentrer dans la période de l’adolescence et Katja s’apprête à rentrer dans le monde adulte. De quelle façon ces deux mondes sont-ils liés et peuvent-ils communiquer entre eux ?
Sanna Lenken : Lorsqu’on est enfant, on essaye toujours d’imiter les adultes et de devenir comme eux parce qu’on a besoin de trouver quelqu’un à qui s’identifier. Ça peut fonctionner ou non, mais les deux mondes se reflètent l’un et l’autre. Mais les adultes -spécialement en Suède - sont trop souvent occupés et concentrés sur eux-mêmes et, en pensant que leurs enfants peuvent rapidement se comporter comme des adultes ils deviennent parfois absents. Non pas parce qu’ils ne les aiment pas, mais parce que parfois ils ne comprennent pas que l’éducation est un processus très, très long.
cafébabel : Le sujet des troubles du comportements alimentaire amène les personnages à entrer en relation avec leur corps. L’une est maigre, l’autre est potelée. Pour vous, la nourriture semble être la porte d’accès à la psychologie des personnes, comme dans le court-métrage Yoghurt, où une recherche de marché sur le yaourt devient une séance de psychanalyse.
Sanna Lenken : C’est en effet une bonne manière de poser la question, parce que l’anorexie, comme la boulimie, est étroitement liée à la psychologie. L’important est de comprendre ce qui se cache derrière notre rapport avec la nourriture, si elle nous fait par exemple nous sentir plus calmes ou plus anxieux. Dans certains cas, un peu comme l’alcool, il s’agit d’introduire quelque chose dans notre organisme pour oublier à quel point notre vie est horrible. L’anorexie est comme la dépendance à la drogue : au début elle peut nous donner l’impression d’exercer un contrôle sur nous-mêmes ainsi que sur le chaos à l’extérieur et en nous, mais comme tout abus, elle finit par causer tout le contraire de l’indépendance.
cafébabel : Pensez-vous que le fait d'avoir choisi une vraie star locale pour le rôle de Katja – la chanteuse Amy Diamond - a aidé le public suédois à l’identifier à une jeune célébrité, avec ses ambitions de carrière et ses fragilités personnelles ?
Sanna Lenken: À vrai dire, au début, je ne l’avais pas choisie ! (Elle rit). Je cherchais des personnes qui n’étaient pas célèbres. Puis Amy est venue au casting et je ne l’ai pas reconnue, car elle était connue lorsqu’elle avait tout juste douze ans. Mais elle s’est révélée être la meilleure, je l’ai donc choisie et j’ai effectivement pensé que son expérience pouvait faciliter l’identification du public ainsi que son travail pour le personnage. En tant que jeune chanteuse elle a vécu des problèmes en partie similaires à ceux de l’anorexie. C’est une jeune femme forte, elle a surmonté tellement de choses. Le public a apprécié qu’elle ait fait quelque chose de totalement nouveau et de façon si honnête et authentique. Cette expérience l’a un peu changée, elle vient de déménager à Stockolm et elle veut continuer à être actrice. Et elle est encore très amie avec la jeune fille qui a interprété Stella.
cafébabel : Vous avez également travaillé pour la TV avec la série Double Life : qu’avez-vous retiré de cette expérience et quelle est la différence par rapport au cinéma ?
Sanna Lenken : À la télévision, on se sent plus « en sécurité », parce que tu sais que ce que tu fais sera inséré dans la grille des programmes, la production est plus rapide et tu as moins de responsabilités. Lorsque tu travailles pour le cinéma et que tu réalises ton premier long-métrage, tu ressens en revanche beaucoup plus de pression. Le projet dure des années et devient un pari : je me suis investie corps et âme dans ce film et je ne sais pas comment les gens le jugeront. Et s’il ira ou non à la Berlinale ! (le Festival international du film de Berlin, ndlr). C’est également amusant et la troupe est plus unie et volontaire, tandis que ceux qui travaillent pour la télévision sont des professionnels qui détestent depuis quarante ans ce qu’ils font et qui ont hâte de prendre leur pause café !
cafébabel : L'année dernière, dans un autre film suédois, Snow Therapy, de Ruben Ostlund, on retrouve la même attention envers les dynamiques délicates et instables au sein de la famille qui rappelle par exemple le regard de Bergman. Que penses-tu du cinéma suédois contemporain et se son rapport avec le passé ?
Sanna Lenken : Oui Ruben a accompli un grand travail, il est en train de s’affirmer à l'international et je pense que ses influences sont multiples. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir été d’avantage inspirée par des personnalités comme celle de Bo Widerberg, réalisateur de la même époque qu’Ingmar Bergman, mais plus radical. À vrai dire, j'avais un peu délaissé Bergman, mais je me replonge actuellement dans toute sa cinématographie. Roy Andersson est un autre auteur important pour tous les réalisateurs suédois. Je trouve en général que le cinéma contemporain suédois a pris une direction plus explicitement politique, un sujet qui était majoritairement tût quelques années auparavant est désormais devenu une priorité, notamment à cause de tout ce qui se passe dans le monde.
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À voir : My Skinny Sister de Sanna Lenken (en salles depuis le 16 décembre 2015)
Translated from My skinny sister: la forza di due sorelle per superare l'anoressia