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Mos Maiorum : la traque européenne des sans-papiers

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BruxellesSociété

[Opinion] Mos Maiorum est une opération policière qui, du 13 au 26 octobre, vise à renforcer les contrôles de migrants en situation irrégulière dans tous les États de la zone Schengen.

« Nous ne sommes pas des criminels ! » C’est la réponse des Afghans qui vivent dans l’église du Béguinage à Bruxelles lorsque je leur demande ce qu’ils pensent de l’opération Mos Maiorum. Coordonnée par l’Italie, cette initiative mobilise 20 000 policiers du 13 au 26 octobre dans les États de la zone Schengen, pour y renforcer les contrôles d’identité aux frontières et dans les lieux publics.

D’après un document officiel divulgué par l’ONG Statewatch, l’opération vise à « appréhender les migrants en situation illégale », pour les « identifier » et « affaiblir les organisations criminelles de passeurs ». Critiquée par certains partis et par les ONG de protection des migrants, Mos Maiorum ne passe pas aussi inaperçue que prévu. Dans toute l’Europe, la société civile se mobilise pour informer les sans-papiers et protester contre ce qui a été qualifié de « chasse à l’homme ». Sur Twitter, plusieurs élus français Verts relaient ainsi le message « Stop la traque » à coup de photos et de hashtags.

Qui sont les sans-papiers menacés par cette opération ?

Les parcours qui mènent à l’irrégularité sont multiples. Les personnes en situation irrégulière sont des étudiants, des travailleurs, des parents. Ils sont 150 000 à 450 000 (moins de 0,1% de la population européenne, nda) et il leur manque un précieux document : un titre de séjour. Le sésame pour vivre sans peur de la police et de l’expulsion, mais surtout pour bénéficier de leurs droits politiques, économiques et sociaux. Un visa non renouvelé, une demande de titre de séjour ou d’asile qui échoue, et la personne perd son droit au séjour. Certains quittent l’Europe, mais d’autres restent, pour leur famille et leur travail par exemple.

Comment se déroule cette opération policière ?

Pour l'organisation La Cimade, « derrière l’objectif de démantèlement des réseaux de passeurs, l’interpellation massive de personnes en situation irrégulière est visée ». L’an dernier, sur les 10 459 personnes appréhendées, 36% étaient Syriennes, 13% Érythréennes et 6% Afghanes (informations Statewatch, nda). Durant cette précédente opération, l’Italie avait arrêté 4 800 personnes, et l’Allemagne 1 606. La France et la Belgique avaient appréhendé 154 et 127 personnes: des chiffres relativement bas car ces pays organisent des contrôles toute l’année et leurs effectifs ne sont donc pas forcément renforcés pour ces opérations.

Le porte-parole de la police belge a ainsi déclaré à la RTBF qu’il n’y aurait pas de moyens supplémentaires pour Mos Maiorum. Une déclaration confirmée par l'association Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers et par les Afghans de l’Église du Béguinage de Bruxelles: « On n’a pas vu plus de policiers ces derniers jours. On a un peu plus peur que d’habitude, mais la police est de toute façon très présente par ici.»  En France, comme chaque semaine, les contrôles amènent leur lot de placements en rétention. Le site du collectif Sans Papiers Ni Frontières annonce ainsi que « de nombreuses personnes sont arrivées au centre de rétention de Vincennes [région parisienne, nda] ces derniers jours. »

Le fantasme d’une invasion criminelle en Europe

La locution latine Mos Maiorum fait référence à la « coutume des ancêtres » qui devait être préservée face à la décadence et la barbarie du temps présent. En choisissant ce nom pour une opération de police visant les étrangers, l’Italie suggère peu subtilement que ces derniers représentent un danger pour la « civilisation » européenne !

Menées tous les six mois par le pays qui assure la présidence tournante de l’UE, ces opérations assimilent le séjour irrégulier à un délit criminel, renforçant les amalgames entre migrants et délinquants et nourrissant les discours xénophobes. Elles violent par ailleurs la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE qui condamne la pénalisation du séjour irrégulier.

Quant aux réseaux de passeurs, divers ONG rappellent que les États cherchent à les démanteler, alors que c’est le verrouillage de l’accès au territoire européen qui oblige les migrants et réfugiés à y recourir. La meilleure façon de les affaiblir serait donc d’ouvrir plus de voies légales pour venir chercher protection en Europe.

Une opération opaque

Alors que ces milliers de contrôles devraient être effectués de manière aléatoire, ils viseront dans les faits toute personne ayant l’air d'être née en dehors de l'Europe. Ces contrôles au faciès sont discriminatoires et contraires au droit européen, mais les Parlements nationaux et le Parlement européen, exclus de l’opération, peuvent difficilement intervenir. Des craintes demeurent aussi sur l’avenir des personnes interpellées et l’usage des donnés personnelles collectées par la police et partagées avec l’Italie : nationalité, sexe, âge, lieu et date d’entrée dans l’UE, route et moyens empruntés.

Grâce au hashtag #ReportMosMaiorum, des centaines de citoyens signalent sur Twitter et sur un site de crowdsourcing les lieux où ils ont observé des interpellations. Le site recense plus de 200 contrôles, dont 40 en Allemagne et en Italie, 20 en Espagne, et moins d’une dizaine en France, Belgique, Suède et Bulgarie. Partout en Europe, les organisations de soutien aux migrants ont diffusé sur Internet et dans la rue des tracts invitant à une vigilance accrue. Un rassemblement est prévu le 22 octobre à Bruxelles pour protester contre « ces rafles [qui] rappellent les épisodes les plus honteux de l’Histoire européenne ».