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Montmartre underground : Paris dans la bouteille

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Style de vie

Montmartre est soi-disant un des sites les plus connus de Paris. Lieu hors norme chargé d'histoire, le Sacré-Coeur et ses environs dominent la ville et un quartier dont les limites dépassent largement la fade Place du Tertre et le parc d'attraction qui l'entoure.

Au delà des bourgeois de Lamarck (Nord), entre le quartier africain à Château-Rouge (Est) et les sex-shops de Pigalle (Sud-Ouest), les abords sombres du Grand Montmartre recèlent d'anecdotes étonnantes.

Visite express pour les novices de quelques spots où cogner le bar et dont les histoires singulières animent la vie des locaux ou autres curieux depuis belle lurette. Elles fondent l'intemporalité d'un Montmartre méconnu. Depuis le Sacré-Coeur, une vue aliénante de Paris permet d'y imaginer toute sorte d'aventures dans la ville. En descendant par les escaliers ouest, l’une d’elle peut dès à présent commencer.

Apéro, c'est beau la vie

« Pour nous, ici, ça a toujours été le B.A.V, le Bar à Vieilles »

Au croisement rue Clignancourt-rue Muller, on se jette une pinte avec de la bonne musique au Clair de Lune, ancien bar à cougars. L'accueil y est chaleureux. De grandes baies vitrées saluent la lumière du jour pour ensuite laisser place aux feux de la nuit. Le bar arrondi a des airs de bonhomme sympathique. Le rosé des néons s'y reflète dans le zinc. Des vieilles affiches de films et concerts décorent les murs. Sans trop insister sur le vintage, les tenanciers ont préservé l'authenticité du lieu.

Judith, serveuse au charme certain, décline une journée type. Le matin, à l'ouverture, un expresso et la presse pour ceux qui ont besoin de souffler 5 minutes entre le foyer et le boulot. Puis les parents qui viennent de déposer leurs enfants à l'école se retrouvent entre eux, parfois avec le cadet, trop jeune pour l'école mais à point pour les bars ! Le midi, quelques rares touristes se sont hasardés dans le coin. Les habitués sont toujours un peu là, le temps d'une bavette avec le patron, pendant que d'autres cherchent le calme d'un lieu apaisant. En fin de journée, les amateurs d'apéro remplissent le bar pour se transformer en fêtards du soir. Le Clair de Lune connait ses clients et s'y adapte. C'est ce qui plait. Un des vieux habitués, né dans le quartier, ancien punk aux restes évidents, raconte : « Pour nous, ici, ça a toujours été le B.A.V, le Bar à Vieilles. Quand on était gamins, il y avait plein de vieilles femmes qui y attendaient les jeunes pour leur payer un sandwich, une bière et ... »

Inglourious Basterds

Quelques rues plus loin, La Renaissance semble être un bistrot de quartier tout ce qu'il y a de plus classique. Pourtant, il inspira de nombreux cinéastes. Créé en 1905, La Renaissance n'a pas changé. Presque pas. Dans les années 30, des vitraux Art-Déco ont été rajoutés. Les miroirs au mercure ont perdu leur éclat. On se demande si le jaune moutarde des murs a été voulu. Blancs cassé à l'origine, ils portent en eux la trace des clopes fumées pendant un siècle. L'accent de titi parigot et la gouaille cavalière du barman contribuent à l'atmosphère du café. Quand les réguliers sont là, il lance grossièrement le débat et s'amuse des joutes verbales passionnées autour du bar en marbre - où le café coûte 1€. Cette vie de quartier épanouie et intemporelle, a récemment conquis Tarantino qui y a tourné quelques séquences de Inglourious Basterds (2009). Sans prétention, La Renaissance est un vestige des coulisses de Montmartre.

Cette vie de quartier épanouie et intemporelle, a récemment conquis Tarantino qui y a tourné quelques séquences de Inglourious Basterds

Connues pour les sexshops et les prostituées, les rues qui bordent le sud de la butte Montmartre constituent un espace culturel et festif vivant. Pigalle est un lieu musical où de nombreux musiciens viennent y acheter leur matos. Un public éclectique y fréquente les salles de concerts. La Cigale est la scène mythique du coin. Led Zeppelin, David Bowie, Iggy Pop, Prince, Radiohead ou les Red Hot Chili Peppers s'y sont produits. Dos à la salle, rue des Martyrs, La Fourmi, contrairement à la fable de La Fontaine, ne nargue pas son acolyte. En place depuis 15 ans, ce lieu atypique à l'espace déconstruit est festif ou calme, souvent bien rempli. Ornant un haut plafond, un grand lustre détourné avec des bouteilles de vins domine l'ensemble. La bière n'y est pas trop chère et la musique y résonne jusqu'à 3h du matin, chose rare, les voisins étant de plus en plus délateurs. Certains disent avoir vu Radiohead incognito y boire un coup. Avec la complicité de La Cigale, le groupe n'a pas été le seul à y picoler. Très fréquenté, l'accueil est moins intimiste qu'au Clair de Lune ou à La Renaissance. Les barmans savent qu'ils travaillent dans un endroit branché. Toujours est-il que pour s'en mettre une, le bar est agréable, cosmopolite et proche des commodités locales pour ceux qui repartent la queue entre les jambes.

Montmartre est encore bien plus. Il suffit d'y flâner, au risque de s'y perdre. C'est d'ailleurs la meilleure chose qui puisse y arriver. Il y a des récits qui dépassent les grandes histoires connues de tous. Moins visibles. Ce sont ces récits qui forgent l'identité d'un lieu. Et comme en témoignent ces lignes, il ne faut jamais hésiter à fouiller un peu.

Photos : Toutes © Thomas Laborde