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Montesquieu le supranationaliste

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Maitre Sinh

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Un post précédant s'était deja penché sur la définition de nation au XIXeme siècle, en montrant non seulement que celle-ci n'est pas contradictoire avec la construction européenne, mais qu'elle en est aussi le fondement logique dont l'Union Europeenne est le continuateur, comme le prévoyaient explicitement Renan et Renouvier au XIX eme siècle.

Untitled-2.jpg Devant la récupération et le détournement récurrent de l'héritage des lumières par ceux qui les brandissent comme des icônes, il convient de faire un voyage en arrière, avec les pensées de Montesquieu, fondateur des principes de séparation des pouvoirs, l'une des bases des régimes démocratiques modernes :

"Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose d'utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier"

Et il poursuit :

"Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fut utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime"

La modernité de Montesquieu est remarquable.

Alors que certains "souvernainistes" et "antimondialistes" auto-proclamés se prétendant héritiers de l'esprit des lois et champions de la démocratie voudraient momifier l'etat-nation et en faire l'horizon indépassable de la démocratie et de l'organisation humaine...Montesquieu, l'un des fondateurs de ces même principes, avait en réalité mis au cœur de ceux ci le droit international et la "supranationalité" européenne.

Le philosophe des lumières ne définit en effet rien de moins par cette maxime célèbre qu'un "intérêt général européen" en creux, supérieur aux intérêts nationaux avec au dessus de lui, celui de l'humanité.

Et c'est la construction européenne, bien que par nature imparfaite car inachevée, qui met en œuvre, pour la première fois dans l'histoire humaine, ce double principe, sans lequel toute action politique pourrait se transformer en crime.

L'histoire, du vivant de Montesquieu lui donnait déjà raison, mais le XXème siècle fut plus édifiant encore.

La poursuite des intérêts exclusifs des États-nations conduisit l'Europe à la course au saccage colonial, puis, dans un paroxysme, à deux guerres fratricides sans précédant qui engloutirent des millions de vies.

L'Europe nouvelle née de cette année zéro plaça enfin l'intérêt européen au dessus des intérêts nationaux: ce n'est rien de moins que la méthode Monnet, fusionnant à travers la Communauté Europeenne du Charbon et de l'Acier puis la CEE les intérêts de nations autrefois rivales.

Mais cela ne s'arrête pas là. Dans les différents traités fondateurs de l'Union Européenne, notamment les derniers, le respect du droit international est central. Toute politique étrangère, et notamment toute intervention militaire sous mandat de l'Union Européenne, ne peux ainsi se faire sans un mandat de l'ONU.

L'Union Europeenne elle-même est devenue le premier promoteur du droit international dans lequel elle s'insère tout en demeurant une entité propre. Cela s'illustre par sa politique internationale: l'UE est la seule entité à promouvoir activement la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce n'est pas non plus un hasard si, même avec les lacunes de la PAC, l'UE prend bien plus en compte les intérêts des pays en developpement que n'importe quelle autre puissance ( les accords Afrique Caraibes Pacifique par exemple établissent des rapports commerciaux dysimétriques , en vertu du principe d'equitabilité, au bénéfices des pays signataires !)

Tout est loin d'être parfait. L'UE reste faible et dépendante des égoïsmes nationaux.

Mais les principes de Montesquieu après trois siècles, vivent enfin en son cœur, et en font un modèle pour notre avenir, mais aussi pour l'organisation de l'humanité toute entière. Certains ailleurs dans le monde en sont conscients, comme l'américain Rifkin qui pense que le "rêve européen" est en train d' éclipser définitivement le rêve américain.

Les momificateurs et autres intégristes de la souveraineté "nationale" ferraient bien de regarder en dehors de nos frontières nationales et européennes et se pencher sur la vraie portée des idéaux des lumières, dont le projet européen est, n'en déplaisent à leurs monomanies, l'authentique continuateur.

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