Mommy : la consécration de Dolan
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Vincente MorletLa première critique de notre nouvelle rubrique consacrée au septième art concerne l’un des films du moment. Lauréat du Prix du Jury au Festival de Cannes 2014, le nouveau film de Xavier Dolan est une consécration pour le jeune cinéaste québécois.
Lancé de la même manière qu’une bombe lacrymogène est lancée à la foule, le nouveau film de Dolan ne pouvait pas passer inaperçu. La stratégie de distribution était déjà claire dès la sortie de la bande-annonce qui, en France, inclut le désormais célèbre discours du cinéaste à Cannes, dans lequel il incite la nouvelle génération à croire en ses rêves et à valoriser les rôles féminins, et qui se termine par une longue étreinte avec la présidente du jury, Jane Campion. Mommy est la consécration d’un nouveau chouchou aux yeux du grand public, en dehors du cercle des cinéastes auprès desquels il s’était déjà fait remarquer avant même le Prix du Jury, prix qu’il a obtenu ex aequo avec l’un des plus grands auteurs du cinéma, Jean-Luc Godard.
Et, en effet, ce film est une claque : d’un côté, par l’interprétation exceptionnelle du trio d’acteurs. De l’autre, par la grande force de concertation et d’empathie qui en ressort. Si J’ai tué ma mère mettait en exergue la relation répulsive et hystérique entre une mère et son fils, Mommy met en scène, par le biais de la dépendance morbide qui lie les deux personnages, la relation inverse. Comme dans Les amours imaginaires et Tom à la ferme, l’importance de la liberté évolue de manière ambiguë dans les failles d’une relation oppressante mais inextinguible. Dolan exploite ainsi à merveille ces instants entre la domination sans limite et l’expression de soi. L’amour complice, protecteur et exclusif entre Diane et son fils Steve ne peut suffire et finit même par briser leur vie ingérable et à la marge, comme l’illustre avec brio le format d’images 4:3 qui ne fait entrer qu’un personnage dans le plan. Le thème de l’adolescent touché par des troubles du comportement, avec pour fond – et sans stéréotype – la périphérie canadienne, révèle aussi une certaine sensibilité dans la description de l’environnement et des caractères sociaux.
Bande-annonce de Mommy.
En bref, Mommy est, comme annoncé, émouvant mais il est surtout la preuve de la conscience cinématographique toujours plus mature de Dolan : si l’on parlait jusque-là d’un talent, l’on peut désormais le qualifier d’auteur. Avec déjà cinq longs métrages à son actif, le jeune réalisateur canadien amène en effet sa carrière prometteuse sur la voie du succès mais aussi sur celle plus prétentieuse d’auteur de cinéma grâce à un style marquant et reconnaissable. Si l’on peut dire que chaque auteur se caractérise par ses thèmes récurrents et ses obsessions, la filmographie, pour l’instant courte, de Dolan fait d’ores et déjà ressortir des éléments clés constants. En plus de retrouver les mêmes thèmes (la déviance sociale et sexuelle, les rapports affectifs et conflictuels) reviennent également les mêmes acteurs (outre Dolan lui-même, Anne Dorval, Suzanne Clément, Niels Schneider, Monia Chokri), les mêmes phrases (« ils me disent que je suis spécial » dans J’ai tué ma mère et Lawrence Anyways), et les mêmes chanteurs pour la musique du film (The Knife, Céline Dion).
La puissance et le courage d’exprimer n’importe quel sentiment
Bien que quelques longueurs narratives, quelques ralentis de trop et une certaine naïveté dans la façon de traiter l’un ou l’autre aspect mélodramatique trahissent son manque d’expérience, c’est son énergie et sa jeunesse (qui n’excluent pas pour autant sa maestria) qui rendent ses œuvres intéressantes et incisives. Entre l’obstination presque fébrile de vouloir faire du cinéma et un caractère à la fois rebelle et fragile. Sa signature est reconnaissable dans le scénario : de nombreux dialogues construits pour apparaître les plus spontanés possibles, capables d’affronter avec franchise la réalité, presque en forme de confession, de déclaration publique (une certaine qualité théâtrale que l’on remarque dans ses films comme dans son discours à Cannes), mais également une mise en scène qui permet de découper et de faire émerger de la réalité des moments surréels, dans lesquels musique (indie, pop, classique) et montage jouent avec des effets venant parfois du clip vidéo. Le tout se traduit par des explosions fréquentes de colère, de dispute, d’injustice, d’incompréhension, de petits moments de joie, de grands moments de névrose. C’est la puissance et le courage d’exprimer n’importe quel sentiment.
Tout en regardant ces instants stimulants du cinéma pour la « nouvelle génération », il ne reste plus qu’à attendre la prochaine œuvre de Xavier Dolan et, peut-être, son prochain prix.
Voir : Mommy de Xavier Dolan (en salles depuis le 08 ocotbre 2014)
Translated from Dolan, un nuovo autore per le future generazioni