Moi, scrutateur (italien) en Espagne
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Nous recevons et publions le témoignage de Fabio De Franceschi - un de mes vieux amis, membre de cafebabel.com. Si toi aussi tu as une histoire à raconter sur ton expérience à l'étranger, envoie-la nous et nous la publierons.
Désormais à ma septième année de résidence à Barcelone, les diatribes sur les réussites ou ratés présumés de l'Espagne aux dommages de notre pays embourbé, l’Italie, me font sincèrement un peu rire.
Au delà des statistiques prises en considération qui font vaguement osciller le moment où l’Espagne aurait dépassé l’Italie, faire une comparaison entre deux pays reste souvent un processus embarassant.
Evidemment, vu que cette affirmation peut facilement être taxée de xénophilie, apporter des preuves est pour le moins une nécessité. Ce que je vous raconte, plus qu'une preuve est une anecdote, mais elle a un but fonctionnel.
Somme toute, montrons le hasard qu'aux dernières élections municipales de Barcelone (il y a un an et demi environ), en tant que résident, je fus inscrit sur les listes électorales, bien que « sale » immigrant. En outre, par un jeu de l'aveugle destin ou de n'importe quelle main invisible qui voyait très bien, je fus même choisi pour dépouiller les bulletins aux élections, avec un modeste remboursement des dépenses de quarante euros voire moins.
Le jour des élections arrivé, je me présente donc, la carte électorale à la main, et me rends au bureau électoral avec une légère pointe d'appréhension. C'est probablement à cause des histoires d'amis italiens qui ont passé des nuits entières à lutter pour des bulletins recomptés, contestés, discutés, défendus jusqu'aux dents avec les représentants des partis juste derrière l'épaule, et certainement aussi le climat qui annonçait une avance du centre-droit barcelonais, mais je m'attendais à une longue journée qui se serait finie dans le meilleur des cas au bout de la nuit, sans possibilité d'évincer visas, procès verbaux et autres enfers bureaucratiques.
Quoi qu'il en soit, après avoir formé le trio de scrutateurs, la journée a commencé calmement. Peu d'électeurs s'affichaient au bureau, certains ayant à peine pris le petit-déjeuner, d'autres ayant à peine fini la „tapa“ (et le vermouth) d'un dimanche matin ensoleillé.
En milieu de matinée un des représentants de liste, justement issu du fatidique centre-droit vint nous voir, affamé de prendre enfin le contrôle du conseil municipal.
L'homme, qui s'il n'était pas encore à la retraite n'en était pas loin, nous tint la jambe parlant de temps et de politique abstraite. Que veut-il, celui-là ? Nous amadouer pour pouvoir ensuite nous surprendre lors du compte-rendu final des votes ? Quel bienheureux !
Mais rien de tout cela. L'aimable homme devint en peu de temps un interlocuteur indispensable de discussions attrayantes sur l'indifférence des citoyens par rapport à la politique et sur la façon dont les mêmes représentants de liste étaient désormais de pauvres volontaires soucieux et exploités par leurs partis. Et il s'entretenait également avec les autres représentants dans des discussions tout aussi tranquilles et pacifiques sur l'avancée des élections et de la Ligue. Imaginable dans notre pays, en Italie ? ...
La chose la plus surprenante du système électoral espagnol est que chaque électeur a à sa disposition un isoloir pour voter, mais qu'il n'est pas obligé de le faire : il peut très bien prendre la liste sur la table parmi celles de tous les partis (les listes sont bloquées) et la mettre en public dans l'enveloppe puis dans l'urne. Même plus : les partis envoient les listes aux électeurs avant les élections, comme ça l'électeur peut très bien la mettre dans une enveloppe chez lui (pourquoi perdre son temps au bureau?) pour ensuite la poster au vol et aller plutôt se balader en ville. Il est difficile de penser qu'en Italie la secret du vote puisse être garanti par un système similaire, et pourtant en Espagne personne ne soulève d'objections. Qui sait comment c'est.
A la fermeture des bureaux de vote, vient le tour des personnes qui dépouillent les bulletins de voter. Je me lève, tout comme mon camarade, pour aller chercher la liste, déchiré entre la crainte d'un vote presque inutile et l'obligation têtue du devoir citoyen. Face aux listes, la pudeur du secret du vote fut tranquillement envoyée au diable
- aaah, je savais que tu voterais pour XXX
- et moi j'imaginais que tu étais de YYY
- oui, bon à la fin, ce sont les moins pires...
Le scrutin fut un jeu joyeux au cours duquel les personnes qui dépouillaient les bulletins et les observateurs s'entraidaient à faire des piles de listes, commentant le relatif succès du parti „anti-taurino“ et essayant de comprendre qui était le type sympathique qui avait voté pour le parti phalangiste. Le tout fut conclu en une demi-heure; les bureaux avaient été fermés à 20h et avant 21h tout le monde était déjà prêt à rentrer chez soi. Avant minuit les résultats définitifs étaient déjà publiés. Une nuit électorale tranquille, un plat de pâtes au thon, et ainsi de suite.