Minorités hongroises en Slovaquie : petits arrangements entre ennemis
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Lors de son investiture samedi 29 mai au poste de Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, président conservateur du Fidesz, a annoncé une nouvelle ère d' « unité nationale ». Avec l'annonce la semaine précédente d'une loi proposant la nationalité hongroise aux minorités hongroises de l'étranger, la Hongrie choisit la voie du nationalisme hostile… Pour le bonheur des populistes slovaques.
Mercredi 26 mai, le Parlement à Budapest a décidé d'accorder la nationalité hongroise aux populations d'ethnie hongroise de l'étranger, c'est à dire à près de 2,5 millions de personnes dispersées en Roumanie, Slovaquie, Serbie et Ukraine. Parmi ces États, seule la Slovaquie s’est dite consternée et furieuse d’une décision qu'elle considère comme une attaque à sa souveraineté. Pas moins de 500.000 Hongrois vivent en Slovaquie, l’équivalent de 10% de la population. La réponse slovaque ne s'est pas fait attendre : tout Slovaque recourant à cette offre perdra automatiquement sa première citoyenneté.
Pourquoi un tel ressentiment entre les deux pays ? La minorité hongroise aurait-elle des désirs sécessionnistes à prendre au sérieux ? En réalité, bien que cette minorité ait effectivement des craintes quant au respect de sa langue et de sa culture, ce n'est pas elle qui a exigé de Budapest la nationalité hongroise. Serait-ce alors le peuple hongrois qui aurait des tendances expansionnistes et rêverait de faire revivre la « Grande Hongrie » ? Rien n'est moins sûr. En 2004, la participation à un référendum sur l'octroi de la double nationalité aux Hongrois de l'étranger fut si faible (37%) que, même si le oui l’emporta à 51%, le résultat ne fut pas pris en compte.
Le problème a sa source dans la classe politique actuelle qui cherche à éluder une réalité économique compliquée. En effet, la Hongrie a vu Viktor Orbán propulsé au poste de Premier ministre avec une majorité des deux-tiers. La Slovaquie, elle, se prépare aux élections législatives du 12 juin, où la coalition au pouvoir des sociaux-démocrates (Smer) de Robert Fico, des libéraux du HZDS et des extrémistes de droite (SNS) de Ján Slota va certainement éclater.
D'un côté, Orbán a obtenu un soutien incomparable mais fragile en faisant des promesses à long terme (un million d'emplois en dix ans) ou difficilement tenables (en finir avec la corruption). De l'autre, Fico à la tête d'un gouvernement usé, n'a pas les moyens de remédier à la crise et n'ose pas aborder la mauvaise négociation de la part slovaque au plan d'aide à la Grèce avant les élections. Dans de telles conditions, le fait de déposer un peu d'huile populiste sur le feu nationaliste ne peut qu'aider à resserrer les troupes, et ce, dans les deux camps. Orbán joue la carte de la regrettée « Grande Hongrie », Slota et Fico les victimes de ses volontés hégémoniques.
Les racines d'un conflit
Le traumatisme de la perte de plus des trois-quarts des territoires du Royaume de Hongrie suite à la défaite de la Première Guerre mondiale est toujours d'actualité pour les Hongrois réactionnaires. Les frontières rétrécies furent cimentées après 1945 par les décrets Beneš qui contraignirent de nombreux Hongrois à quitter la Tchécoslovaquie. Un état de fait que les déclarations d'Orbán remettent aujourd’hui en cause, sans que ses adversaires slovaques cherchent à désamorcer la situation. Bien au contraire.
Ainsi, divers incidents viennent fréquemment attiser les flammes, de la reconnaissance définitive des décrets Beneš par le Parlement slovaque à l'arrestation de militants d'extrême-droite hongrois en Slovaquie, en passant par le problème linguistique de la minorité hongroise slovaque. Dernier heurt en date ? Le refus par la Slovaquie en août 2009 de laisser le président hongrois pénétrer sur le son territoire. László Sólyom était venu visiter la minorité hongroise. Résultat : lancer de cocktails Molotov sur l'ambassade de Slovaquie à Budapest...
Silence mesuré en Roumanie
Contrairement à la Slovaquie, la Roumanie est restée muette face à la décision hongroise, bien que la nouvelle loi touche une minorité hongroise d’1,5 millions de personnes en Roumanie, soit presque 7,5% de la population. Est-ce la preuve que l'excitation slovaco-hongroise est purement populiste ? Pas si sûr. La Roumanie a aussi ses raisons. Suite à la réélection houleuse des communistes en avril 2009 en Moldavie, les Moldaves mécontents du résultat étaient sortis dans la rue durant trois jours et avaient pris d'assaut le siège du gouvernement. En signe de soutien, Traian Băsescu, président roumain, avait alors simplifié les demandes de naturalisation pour les Moldaves de culture roumaine et reçu ainsi jusqu'à un million de demandes. Menant une politique comparable à celle d'Orbán, Băsescu aurait peu de marge de manœuvre pour critiquer les mesures hongroises.
Et l'UE dans tout ça ?
Si la situation ne risque pas de dégénérer comme elle le fît entre la Russie et la Georgie en août 2008, une déclaration de l'UE dans cette affaire serait tout de même intéressante. Les autorités russes avaient généreusement octroyé la nationalité aux russophones d'Abkhasie et d'Ossétie du Sud, permettant ensuite de légitimer la guerre de 2008 en tant qu'action de protection de ses ressortissants. L'UE vient d'un coup de baguette magique d'Orbán d'obtenir 450.000 nouveaux citoyens, les Hongrois de Serbie et d'Ukraine, sans provoquer la moindre réaction du côté de l'UE.
En période de crise, économique ou politique, les minorités constituées depuis des siècles sont des motifs populistes de prédilection. Les exemples ne manquent pas à l’intérieur des frontières de l’UE : Les Turcs en Bulgarie, les Polonais en Lituanie en font également l'expérience. Woodrow Wilson se retournerait dans sa tombe s'il apprenait que, plus de 90 ans après son énoncé du principe de l'autodétermination des peuples, de telles questions attisent encore la haine en Europe.
Photos : Une + défilé devant le château de Versailles: ©Only Tradition/Flickr; Affiche électorale: ©jemufo/Flickr VISA: ©gabyu/Flickr