Migration : l'Europe continue de fuir ses responsabilités
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OPINION - Alors que les leaders européens se sont réunis hier pour discuter une nouvelle fois des questions migratoires, un constat s'impose : aucune avancée n'a été faite. Malgré l'alerte donnée avant l'été par 139 ONGs travaillant sur les droits humains, les chefs d'État et de gouvernement persistent dans leur déni d'humanité en matière de politique migratoire.
Malgré l'alerte donnée avant l'été par 139 ONGs travaillant sur les droits humains, les chefs d'État et de gouvernement persistent dans leur déni d'humanité en matière de politique migratoire. Comme l'a déclaré François Hollande, le président de la République française, les leaders européens ont attaqué la question des migrations sous deux angles : le « contrôle des frontières » et « les sources qui provoquent les migrations ».
UE-Turquie : Un accord contraire aux valeurs européennes au bord de l'explosion
Dans la perspective de lutter contre le franchissement irrégulier des frontières, les États européens ont demandé la mise en place de nouveaux éléments de terrain pour l'application de l'accord passé avec la Turquie en mars dernier. Les États considèrent en effet que le processus est « maîtrisé », dans la mesure où il a permis de nettement réduire les arrivées de migrants par la mer Égée.
Ce que l'on oublie de dire, c'est que cet accord contribue à l'aggravation d'une crise humanitaire exceptionnelle sur les côtes turques et les îles grecques. Des milliers de personnes, qui pour la plupart fuient les persécutions dans leur pays d'origine - en partie liées aux politiques occidentales - au Proche et Moyen-Orient, se sont retrouvées bloquées et rencontrent d'importants obstacles dans leur droit de demander l'asile. Ce même droit que tous les États européens se sont engagés à respecter dans les textes de droit international.
Il faut aussi avoir en tête que l'accord UE-Turquie est sur le point de partir en fumée. Alors qu'il était convenu qu'en échange de sa coopération, la Turquie obtiendrait une libéralisation du régime des visas appliqué à ses ressortissants, l'UE refuse encore à ce jour de remplir sa part du marché. Les Européens souhaitent en effet qu'un certain nombre de conditions soient remplies, notamment vis à vis de la politique anti-terroriste du président Erdogan qui se montre peu respectueuse à l'endroit des droits humains. Ce dernier a quant à lui précisé en mai dernier : « L'UE nous demande de modifier la loi antiterroriste. Mais alors dans ce cas nous dirons : 'Nous irons de notre côté et vous du vôtre'. » Une impasse et un air de déjà-vu au regard des nombreux sommets européens où cette question n'a pas été réglée.
La politique étrangère européenne au service des objectifs migratoires
Malgré l'échec programmé de cet accord, les Européens veulent élargir ce genre de pratiques, et notamment permettre la mise en place de partenariats avec les pays africains. Appelant à utiliser « tous les instruments, outils et politiques » pour lutter contre le franchissement irrégulier des frontières, les leaders européens ne se cachent plus de vouloir détourner les politiques traditionnellement séparées des questoins migratoires pour empêcher les personnes d'arriver. Ces accords ont pour objectif d'octroyer aux pays africains des avantages notamment commerciaux en échange de leur coopération en matière migratoire. On parle aussi d'utiliser les fonds de développement envoyés à ces pays afin de créer de bonnes conditions économiques et sociales dans ces pays pour inciter les populations à rester sur place.
Cette attitude est extrêmement problématique. D'abord, rien ne prouve qu'elle sera efficace. Au contraire, les études ont tendance à montrer que ce ne sont pas les franges les plus défavorisées de la population qui migrent, mais celles qui possèdent un minimum de moyens. Migrer est un droit, mais il peut également s'avérer être une contrainte : lorqu'elle s'impose aux individus, il est évident que l'UE doit contribuer à améliorer leurs conditions de vie pour qu'ils puissent également exercer leur droit de rester dans leur pays d'origine. Mais le moteur de la politique de développement des pays occidentaux ne devrait pas être la perspective d'empêcher la mobilité des personnes. Elle devrait au contraire être basée sur une solidarité internationale entre les peuples dans un monde globalisé.
Ensuite, cette politique est irresponsable : les États européens rejettent ouvertement leur responsabilité d'accueillir les personnes migrantes sur des États plus pauvres et plus vulnérables. Il faut enfin préciser que ce genre d'accord peut s'avérer dangereux pour les populations des pays concernés. Certaines ONGs ont en effet alerté les décideurs sur le risque de détournement des fonds alloués dans le cadre de ces partenariats migratoires à des fins contraires aux droits humains. On avait notamment critiqué l'octroi de fonds européens au Soudan dont les violations des droits humains ont été dénoncées par Amnesty International.
Cette prise de position du Conseil européen, qui n'a rien de nouveau, vient s'ajouter à la longue liste des mesures européennes visant à réduire le nombre d'arrivées et augmenter le nombre d'expulsions - parmi elles, le corps de garde-frontières et garde-côtes européen en activité depuis le 6 octobre. Les objectifs sont clairs : il s'agit de recevoir le moins de personnes possible, même s'il faut pour cela bafouer les valeurs que l'on revendique.
À quand une véritable politique migratoire européenne enfin basée sur la solidarité - des Européens entre eux et des Européens envers le reste du monde ?