Migrants : l'Europe sortirait-elle la tête de l'eau ?
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À la mi-avril, toute l'Europe entrait en émoi suite aux naufrages de plusieurs embarcations de fortune en Méditerranée, faisant successivement 400 et 700 morts en l'espace d'une semaine. Les regards se tournaient dès lors vers l'Union européenne, sommée d'agir. Mais où en est-on réellement aujourd'hui ?
Il aura tout de même fallu atteindre un total d’environ 22 500 morts en Méditerranée en 15 ans pour que les dirigeants européens se mettent enfin autour de la table. Du côté du Conseil européen, les minutes de silence se sont succédées et les Italiens, premiers Européens touchés par cette énième tragédie, ont encore une fois crié haut et fort leur désarroi face au manque de solidarité de leurs partenaires. C’est vers l’Union européenne que tous les regards se sont naturellement tournés.
En écho à leurs appels à l’aide, les Italiens n’ont pu entendre que les blâmes des chefs d’État et de gouvernements européens envers « l’épouvantail bruxellois » critiquant l’Europe, dont ils ont en réalité les commandes, de ne pas avoir de politique commune d’immigration. La faute à qui ? Ceux-ci, précisément, qui se retrouvent confrontés aux résultats d’années de manque de courage politique ayant conduit à la double absence de politique commune d’immigration et de relations extérieures.
À l’issue du Conseil européen, il a été acté que le budget de Triton serait triplé, le ramenant en réalité à l’équivalent du budget de la défunte opération militaire de secours italienne Mare Nostrum. De leur côté, la France et le Royaume-Uni ont proposé de déposer une résolution à l’ONU pour pouvoir détruire les embarcations des passeurs et intervenir le long des côtes libyennes.
Au Parlement européen, les différents groupes politiques se sont également exprimés au sein de l’hémicycle lors d’une session plénière à Strasbourg. Outre l’émotion générale perceptible dans les déclarations de tous les groupes, chacun y est allé de ses propositions pour enrayer la crise méditerranéenne. L’ALDE (Alliance des libéraux et démocrates européens), les Socialistes & Démocrates ainsi que les Verts ont défendu la mise en place d’opérations de grandes ampleurs pour sauver les migrants en difficulté et la création de canaux légaux pour les accueillir en Europe. Du côté de la GUE (Gauche unitaire européenne), les élus ont appelé les dirigeants européens à faire preuve de plus de courage, à ne plus laisser personne périr en mer et à accueillir les réfugiés sur le territoire européen. La Droite européenne (Parti Populaire Européen) a, quant à elle, rappelé la nécessité de combattre les filières de passeurs, de démanteler les réseaux et de couler les embarcations (les problèmes devant être réglés sur place).
C’est finalement du côté de la Commission, qui a montré qu’elle pouvait encore faire preuve d’audace, que les solutions semblent arriver. En proposant l’accueil des migrants sur une base de quotas nationaux, Jean-Claude Juncker devait prouver qu’une solidarité européenne pouvait exister, surtout face à ce défi migratoire divisant fortement les États membres. Peu étonnamment, ceux-ci ont manifesté leur désaccord face à cette proposition. Le premier ministre français Manuel Valls a par ailleurs été accusé de céder à la peur d’une monté de l’extrême droite si une telle mesure devait être mise en place, après avoir déclaré « je suis contre les quotas ».
La surprise fut moins grande lorsque, lors d’une déclaration publique, le président hongrois Viktor Orbán (« the dictator », selon les termes de Juncker), s’est déclaré totalement contre l’idée de quotas forçant les États membres à accueillir des migrants constituant une « nouvelle menace pour la Hongrie » qui doit « se défendre contre l’immigration illégale ».
Seuls le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark, ne faisant pas partie de l’espace Schengen, n’ont pas eu à justifier leur méfiance quant à la politique d’accueil de migrants.
La Commission européenne, malgré les nombreuses réticences, ne s’est pas démontée et a donné les détails des clés de répartition des migrants. L’accueil se fera donc selon la prise en compte de trois critères : le taux de chômage, le PIB et la population des pays membres. D’après ces critères, c’est l’Allemagne, la France et l’Espagne qui devraient accueillir le plus de réfugiés (respectivement 8 763, 6 752 et 4 288 personnes).
La Commission a réussi un vrai tour de force car les EM ne contestent désormais plus (hormis la Hongrie) l’accueil des migrants mais seulement les critères de calcul de la clé de répartition. La France et l’Allemagne ont par exemple rappelé qu’elles avaient déjà fait l’effort principal en ayant accueilli jusqu'à présent respectivement 9 000 et 12 000 personnes. Les deux pays insistent donc pour que l’effort déjà consenti soit pris en compte dans le calcul.
Il est important de rappeler que le plan de Juncker ne concernera que les 40 000 migrants de nationalités syrienne ou érythréenne déjà identifiés sur le sol européen, la plupart en Italie et en Grèce. La Commission a également prévu une aide financière spécifique chargée d’aider les États membres à « intégrer les réfugiés ». Les gouvernements sont donc dans l’obligation de respecter le principe de libre circulation qui s’applique dans ce cas. Néanmoins, les EM n’ont aucune obligation d’accueil des migrants n’étant pas encore présents sur le territoire de l’Union, cette décision dépendant d’actions volontaires.
Dans ce dossier de crise, la Commission a démontré qu’elle pouvait être ambitieuse, en faisant tomber les masques, en confrontant les États membres à l’opinion publique et les mettant face à leurs responsabilités. Le statut quo des États membres accusant Bruxelles de tous leurs maux a enfin été aboli. Nous ne pouvons que nous réjouir et espérer que la Commission prenne à l’avenir davantage ses responsabilités comme elle semble vouée à le faire dans la gestion de la crise migratoire. Alors l’Union européenne pourrait enfin se targuer d’avoir un exécutif à la hauteur des enjeux de son avenir et capable de donner un second souffle au projet européen.