Migrants : le coup de gueule de Renzi et l'énigme du plan B
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L'UE se désolidarise de l'Italie sur la question des flux migratoires : le premier ministre italien Matteo Renzi menace de mettre à exécution un « plan B qui fera mal à l'Europe ». Alors qu'il s'apprète à rencontrer Hollande et Cameron cette semaine. Enième provocation d'un spécialiste des déclarations choc ? Ou le Plan B en question existe-t-il vraiment?
S'il y a plan B, c'est bien qu'il y eut plan A : à savoir redistribution des migrants dans les 25 pays européens et renvoi de ceux qui ne rentrent pas dans les cas d'urgence (émigrés économiques et non réfugiés politiques). Si dans la plupart des pays, ces rapatriements s'appliquent à 39% des demandeurs d'asile, l'Italie s'est limitée l'année dernière à n'en renvoyer que 14 000, selon le Huffington Post. Quant aux autres pays européens, fidèles à Dublin II, ils ferment les yeux - et leurs frontières - sur la situation. La France nie avoir fermé ses frontières mais des dizaines de migrants attendent à Vintimille depuis quelques jours, de pouvoir passer en France.
Le premier ministre italien est bien obligé de constater les insuffisances du règlement, qui défavorise et expose les pays géographiquement limitrophes de l'UE à des flux migratoires qu'ils ne peuvent pas gérer seuls. Ce règlement, qui prévoit entre autres que les demandes d'asiles des migrants soient faites dans le pays d'entrée sur le territoire européen, a également été critiqué par le Commissaire aux droits de l'homme du conseil européen, par l'UNHCR et le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés. Dublin II se révèle être une entrave à la sécurité des nouveaux arrivants et à une légitime prise en considération de leur demande d'asile, en plus d'une injustice envers certains pays se retrouvant avec plus de demandes que d'autres. Situation impossible à gérer sans aide fédérale.
Les accusations de désolidarisation que Renzi lance à l'UE via le Corriere della Sera sont donc bel et bien fondées. La redistribution de 24 000 des 57 000 migrants arrivés en Italie - depuis début 2015 - à travers l'Europe, est insuffisante. Mais quid de la crédibilité des solutions, que l'on devine derrière le mystèrieux plan B ?
Un éventail de possibilités selon le Corriere…
Le ministre de l'intérieur Angelino Alfano aussi parlait d'un Plan secret, qui « montrera une Italie jusque là inconnue car cette situation n'est plus tolérable ». De la bouche d'un personnage comme Alfano, le «plan secret» sonne bizarrement comme la révélation de l'existence du réseau Gladio. Bref, ça peut faire peur!
Fiorenza Sarzanini du Corriere.it, version en ligne du quotidien de centre droit Corriere della Sera, parle d'un « éventail de possibles interventions ». Il s'agirait donc de mêler à des procédés diplomatiques plus traditionnels, des méthodes chocs et rentre-dedans.
On parle donc d'un ensemble de mesures, plus ou moins viables.
La première hypothèse qui vient à l'esprit est l'attribution d'un permis temporaire aux demandeurs d'asiles pour leur permettre de franchir les frontières et de circuler librement en Europe. Une manière de répondre à l'UE « Vous vous en lavez les mains ? Très bien, moi aussi. » Une provocation, mais pas impossible. Ensuite, on peut penser à une obligation pour les bateaux qui secourent les migrants dans les eaux internationales, de transférer les migrants dans leurs pays, leur interdisant l'accès aux ports italiens. Le Corriere a pensé en outre, au renvoi par charters des migrants en situation irrégulière comme éventualité, elle-même envisagée par le gouvernement Renzi. Cela a déjà été fait par le passé, mais la situation en Libye devrait être retenue comme un cas particulier : il s'agit de réfugiés politiques.
Quant à l'hypothétique engagement militaire de l'Italie en Libye indépendamment de l'ONU - c'est ce que Renzi laissait entendre lorsqu'il parlait d'une « intervention moins conventionnelle » - c'est une solution – heureusement – improbable. Dangereuse pour l'Italie, qui s'affaiblirait par son indépendance, et absolument désapprouvée par le président de la République Sergio Mattarella. Ce n'est pas l'Europe qui en souffrirait directement, mais l'Italie. La possibilité d'une opération de « police » sur les côtes libyennes avec certains pays membres de l'UE et l'aide de l'Égypte dans le but d'attraper les passeurs semble finalement beaucoup plus réaliste.
L'erreur de l'UE et la crête du coq toscan
L'Italie est géographiquement – donc politiquement - en première ligne sur la question des migrants à leur entrée sur le territoire européen. Abandonnée – il est vrai – du reste de l'Europe. Elle doit faire face seule à la gestion des 57 000 personnes qui depuis début 2015 sont arrivées sur le sol européen par son biais, et envisage l'ouverture de cinq casernes à aménager en centres pour accueuillir les migrants sur le territoire national.
À long terme, on peut envisager un renforcement d'euroscepticisme en Italie mêlée à une montée des mouvements populistes, voire identitaires. La haine de l'étranger, celui de couleur, celui trop basané, qui « vient voler le travail » s'ajoutera à l'hostilité envers l'étranger européen, celui « qui nous a abandonné ». Mauvaise pioche.
C'est bien ce à quoi le premier ministre a dû se heurter en matière de politique intérieure. Les gouverneurs des régions de Vénétie, Ligurie et Lombardie, appuyés par Matteo Salvini ont refusé d'accueillir davantage de migrants, criant au fantasme du risque d'épidémies (oui, les clichés ont la dent dure dans les régions conservatrices du nord à forte composante xénophobe).
Appelant à l'unité nationale dans un pays où les dernières élections régionales ont souligné une forte avancée du populisme et de la Ligue du Nord, invoquant l'aide d'une Union européenne qui ne répond plus, Renzi - poussé à bout - montre sa crête de coq légendaire. Celle qu'on lui connaît depuis ses débuts de président de province en Toscane. Seul hic : sera-t-il entendu, lui qui a si souvent hurlé au loup par le passé ?