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Migrants de Calais : une sacrée paire de Manche 

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Société

Près de 2300 migrants survivent dans les rues de Calais, sur les terrains vagues des zones industrielles ou dans des squats, dans l’espoir de passer la Manche. Dépassée par la situation, la maire de Calais implore l’aide du Royaume-Uni. Mais celui-ci ne l’entend pas de cette oreille.

« Qu’on les laisse passer en Angleterre ! », réclament les Calaisiens lorsqu’il est question des milliers de migrants de passage dans leur ville. Qu’ils soient Érythréens, Éthiopiens, Soudanais ou Syriens, ces hommes et femmes aux passés bien différents ont un point commun, l’espoir d’un futur meilleur sur le sol britannique. David Lacour, président de l’association Solid’r qui gère un centre accueillant 50 femmes et enfants migrants aux abords de Calais, confirme : « elles veulent toutes aller en Angleterre. Pour elles l’Angleterre c’est le paradis ».

Eldorado ou pas, ils veulent tous y aller

« Elles ont de la famille et des amis là-bas », explique M. Lacour. Des réseaux de connaissances bien implantés, auxquels s’ajoutent la maîtrise de la langue et des perspectives d’avenir, à l’image de ce jeune syrien, qui annonce dans un bon anglais : «  Mon frère a réussi  à passer il y a 13 jours. Je l’ai eu au téléphone, il a de quoi se loger, il va bien. Je vais aller le rejoindre ». La maire de Calais, Natacha Bouchart, dénonce quant à elle une politique britannique trop « favorable aux migrants », pointant du doigt les 36£ d’allocation versées aux demandeurs d’asile chaque semaine dans le pays et qui agirait selon elle comme un « aimant ».

Vidéo du Telegraph où des migrants tentent de monter dans un ferry 

Autant de facteurs qui entretiennent depuis des années, à tort ou à raison, le mythe de l’Eldorado britannique. « On leur a vendu du rêve », résume le président de Solid’r, en dénonçant ne publicité en faveur de leur pays qui commence à agacer une partie de nos voisins outre-Manche. « Les migrants pensent qu’ils seront mieux lotis ici, mais c’est faux ! », explique une dame originaire de la région de Douvres, où arrivent les ferrys en provenance de Calais. « Il n’y a plus de travail ici, les jeunes doivent quitter la ville pour en trouver », renchérit sa sœur.  

Mais le mythe à la dent dure et le nombre de migrants se pressant aux portes de Calais ne cesse d’augmenter. En à peine trois mois il est passé de 1500 à 2 300 d’après le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin. Un attrait inébranlable pour la Grande-Bretagne qui a poussé Natacha Bouchart à exiger l’action de Londres. Le 28 octobre dernier, elle n’hésitait pas à déclarer, devant les députés d’outre-Manche: « Je pense que la frontière doit être sur le territoire britannique parce qu'il est de votre responsabilité d'accueillir ou pas le nombre de migrants que vous souhaitez ».

« C’est clairement le problème de la France »

Les Britanniques ne partagent pas cette vision et comptent bien laisser la France faire face à la situation. En cause : le manque de contrôle aux frontières des pays européens, symbolisé par l’accord de Schengen entré en vigueur en mars 1995, qui permet la libre circulation des personnes, quelle que soit leur nationalité. C’est l’avis de ces Anglais de passage à Calais, Gale et Eddy, qui ne comprennent pas pourquoi les autorités françaises ne prennent pas les mesures nécessaires pour faire face à cet afflux : « Dire que c’est à nous d’agir, ce n’est pas juste. Ils auraient dû être stoppés dès leur arrivée en Europe. Vous avez signé Schengen, à vous de vous en occuper ».

De l’autre côté de la Manche, le député conservateur de la région de Douvres, Charlie Elphicke est très clair sur le sujet : « elle ne peut pas faire de son problème notre problème. La France doit reconsidérer Schengen. Nous, nous contrôlons notre frontière et décidons de qui rentre et qui sort de notre territoire ». Le gouvernement de Cameron met en effet de plus en plus de moyens pour renforcer la sécurité à l’entrée de son territoire. Il se targue d’avoir ajouté 400 personnes à la frontière, des chiens de détection très bien entraînés pour dénicher les personnes cachées dans les essieux des camions, ou du dioxyde de carbone pour détecter toute présence humaine.

Pour Charlie Elphicke, le nombre croissant de migrants à Calais est même la preuve que son renforcement à la frontière est efficace. Il ne veut pas entendre que la plupart des migrants qui stationnent à Calais ont risqué leur vie dans un seul but, atteindre l’Angleterre. « La maire de Calais dit n’importe quoi. Tous les migrants ne veulent pas passer en Angleterre. Si c’était le cas, comment se fait-il que l’année dernière, seulement 25 000 personnes ont demandé l’asile à la Grande-Bretagne contre 65 000 en France ? »

Il se dit même empreint d’une certaine frustration, puisqu’il s’entend mieux sur ces questions avec le gouvernement socialiste plutôt qu’avec la maire UMP de Calais. « Nous passons des accords sans la consulter. Natacha Bouchart paraît plus se soucier de la montée du Front national plutôt que de la gestion de sa ville », remarque-t-il avec ironie. 

« Seul UKIP peut nous sortir de là »

Pourtant, à entendre le député de Douvres, les conservateurs anglais n’hésitent pas non plus à emprunter les thèmes de campagne du parti populiste UKIP qui a fait de l’immigration et de l’euroscepticisme ses chevaux de bataille. Charlie Elphicke fustige ainsi un trop grand « changement social » dû au précedent gouvernement travailliste, qui laissait « tout le monde rentrer » et souhaitait « changer la population ». « Les habitants peuvent accepter des légers changements sur le long terme, mais s’ils remettent ces changements en question, ils sont accusés de racisme », poursuit-il. Pour ce conservateur, en affichant une position ferme sur les questions d’immigration, sa formation politique ne fait que répondre aux attentes des électeurs.  Car d’après les sondages, l’immigration est devenue, en milieu d’année, la première préoccupation des Britanniques, devant l’économie. 

À Douvres, c’est même une source d’inquiétude pour certains. «  Quand on entend les histoires d’agression à Calais, ce n’est pas rassurant », affirme cette habitante, avant d’ajouter avec hésitation « la ville est pleine de migrants… et pas les meilleurs ». Un climat d’anxiété également entretenu par la mairie de Calais, d’après Charlie Elphicke et le Daily Mail. «  L’adjoint à la maire de Calais a menacé de payer à tous les migrants un billet pour l’Angleterre, ce qui a agacé et angoissé la population », déplore le député. 

Ce discours intransigeant et très critique vis-à-vis de la France se veut rassurant, mais sera-t-il aussi audible que celui du leader de UKIP ? Pour cette Anglaise de Douvres, dont le mari travaille à Calais, « seul Nigel Farage peut nous sortir de là ». Comme 27,5% des votants britanniques, elle confie d’ailleurs : « Aux élections européennes je lui ai donné ma voix ».