Médine : la peur et l’argent du beur
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Dix ans de carrière fêté cette année ont suffi à Médine pour faire flipper le peuple de France. Mais en 2012, le rappeur musulman d’origine algérienne lève le voile sur ses nouvelles intentions et vous invite à découvrir ce qu’il se cache derrière son slogan « Don’t Panik » décliné en livre et en album. cafebabel.
com l’a rencontré pour en savoir un peu plus sur l’un des rappeurs les plus talentueux de sa génération.
« J’ai souffert des regards mais j’ai su faire dans le noir, oui je suis fier d’être Made In… » Mardi 16 octobre. Alors que Médine exhorte le public parisien de l’Institut du Monde Arabe (IMA) à lever les bras sur le refrain de son nouveau morceau, Made In, la salle n’est pas bien chaude pour reprendre les paroles en choeur. La raison ? Le showcase du rappeur survient après une conférence d’une heure et demie sur… un livre. Le sien.
Viens voir le rappeur non n'aies pas peur
Médine vient de sortir un ouvrage co-écrit avec un géopolitologue français, Pascal Boniface. Intitulé Don’t Panik et rédigé sous la forme « à toi à moi », le bouquin s’étale sur 400 pages et aborde pêle-mêle des thématiques comme l’islamophobie, les médias, le rap, la France… Plutôt rare pour un MC. Mais si l’acte étonne, c’est plutôt la profusion avec laquelle le rappeur d’origine algérienne aborde l’automne qui impressionne : un webdocumentaire, un EP, un livre et la préparation d’un album prévu pour début 2013. N’allez pas croire que Médine s’éparpille. Ces divers projets pour fêter ses 10 ans passé dans le rap sont frappés des mêmes lettres : « Don’t Panik
« Les gens s’arrêtaient sur mes pochettes comme on s’arrête devant une femme voilée dans la rue »
Gageons-le, Médine a une certaine prestance. Lorsqu’il reçoit dans les locaux de Because Music – le label indé qui assure sa promo – c’est un mec gaulé comme un mur d’enceinte qui vous serre la main. Il porte un gilet noir et blanc suffisamment moulant pour que ses biceps en tendent l’étoffe mais assez échancré pour laisser deviner l’apparence du maillot blanc de l’Équipe de France de foot. Le rappeur de 29 ans parle distinctement souvent dans les yeux – comme un bonhomme. « Don’t Panik, c’est un slogan qui vise à désamorcer les fausses représentations, commence-t-il. C’est n’ayez pas peur, venez découvrir qui nous sommes réellement. » « Nous » ce sont les musulmans. A l’origine, le slogan se lisait « I’m Muslim, Don’t Panic » et se distillait sur des t-shirts ou des singles dont la promotion se faisait du côté de la Rencontre annuelle des Musulmans de France, au Bourget. Aujourd’hui amputé de trois mots, la formule est devenue une cause politique. Le message a même été porté par les étudiants de Science-Po Paris à l’occasion de la venue de Marine Le Pen, rue St Guillaume, le 5 mars dernier.
« J’ai alors compris que les thèmes du rap français pouvait trouver un écho au delà des frontières du hip-hop, souligne-t-il d’un phrasé staccato. C’est pour ça que j’ai fait un bouquin, que je change de format. » Disons-le franchement, pour la France Forte - les 53% de Français qui ont voté Sarkozy en 2007 par exemple - Médine fait flipper. « Je me suis porté sur l’engagement au fur et à mesure de ma vie parce que les identités que je porte en moi ont suscité la peur en France. Je suis issu de l’immigration, des quartiers populaires, je suis musulman et rappeur. » Comprendre : 4 caractéristiques qui suffiront à le situer dans l’Axe du Mal. Tour à tour censuré par le CSA, boudé par les radios, considéré comme un rappeur « communautaire », inutile de souligner que l’homme d’origine algérienne dérange. « Les fondements de ma vie reposent sur des valeurs qui sont elles-mêmes fondamentalement religieuses. Et en France, le terme "religieux" fait peur. »
Médine commandements
En même temps, Médine n’a pas lésiné sur la provoc’. Ses deux premiers albums s’intitulent 11 septembre, Récit du 11ème jour (2004) et Jihad, le plus grand combat est contre soi-même (2005). La solide barbe qu’il arborait et des titres comme « Ennemi d’État » avaient de quoi faire suer à grosse goute la bourgeoisie des noms composés. Il y avait peut-être plus subtile pour désamorcer les représentations. Aujourd’hui rasé d’un peu plus près, il hoche la tête et comprend tout à fait qu’on l’on se pose la question de la délicatesse. « La provocation permet de faire bouger les lignes, de privilégier une méthode qui peut apporter des réponses qui se posent trop longtemps. » La laïcité, l’immigration, le racisme sont des thèmes que Médine a toujours abordés.
« Jihad ça imposait, alors que quand j’appelle le prochain album Don’t Panik, ça invite »
« Seulement, les gens s’arrêtaient sur mes pochettes comme on s’arrête devant une femme voilée dans la rue. » Les linéaments de son livre donnent l’image d’un homme qui a digéré la critique. Et les 5 morceaux de son nouvel EP, Made In, le son d’un rap qui s’est fait laisser pousser la barbe. Des titres comme « Alger Pleure » ou « Biopic » abordent moins l’Islam que les questions identitaires. « Mon rap n’est pas religieux. Je mets au défi quiconque de trouver une virgule prosélyte dans mes morceaux », disait-il à l’IMA le mois dernier. En réalité, le rappeur originaire du Havre (Haute-Normandie, ndlr) convoque souvent l’histoire, d’une part pour « ne pas raconter des conneries » d’autre part pour servir une cause qui n’a pas pris une ride en 10 ans de carrière.
Aussi, quand on lui pose la question de savoir avec qui il se verrait collaborer sur son prochain album, il répond par l’anglo-saxonne : « Immortal Technique et Cat Stevens » Soit deux artistes qui ont pris fait et cause en faveur de la communauté musulmane. Mais aussi deux personnages « qui assument une position : celle de réunir les gens autour d’un message. » Oui croyez-le ou pas, Médine vous invite. « Jihad ça imposait, alors que quand j’appelle le prochain album Don’t Panik, ça invite. » A vous de voir si les nouvelles intentions de celui qui est surnommé l'« Arabian Panther » arrêteront de vous faire gamberger. Mais sachez une chose, l’allégorie dans le rap est parfois prompt à tout résumer et à apaiser les cœurs peureux. Médine jure qu’il est « un démineur que l’on a pris pour un poseur de bombes. » Hamdoulah.
Médine sera un concert à l'Olympia le 7 mai 2013. Retrouvez l'interview intégrale du rappeur sur le site de La Parisienne de cafebabel.com
Photos : Illusration © Adrien Le Coarer ; Texte © courtoisie de la page Facebook officielle de Médine ; Vidéos : medine/YouTube