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Médias hors jeu

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Les journalistes sportifs qui travaillent en étroit contact avec le milieu peuvent perdre de leur objectivité. En Allemagne, les voix encourageant un journalisme plus distancié se font de plus en plus entendre.

Michael Ballack, Miroslav Klose, Lukas Podolski et les stars de l´équipe nationale allemande sont souvent bien plus que des sportifs. Ils ont leurs propres fan-clubs, un manager personnel. Certains sont starifiés par les médias. Les rumeurs de transfert et la vie de leurs épouses représentent pour certains journaux, chaînes de télé ou radio des informations aussi importantes que celles se tramant sur le terrain. Parmi les interlocuteurs favoris des journalistes, figurent les as du ballon rond. Après chaque fin de rencontre, ceux-ci se pressent dans la fameuse zone mixte située entre la salle de presse et les vestiaires afin de soutirer aux joueurs quelques mots avant que ceux-ci ne disparaissent. Pendant que le reporter radio tend son microphone vers la vedette du milieu de terrain, son collègue de la presse locale prend des notes. Le sempiternel refrain se met alors en marche : « Oui, nous n´avons pas vraiment brillé. La faute à pas de chance.  »

Lors de la remise en avril dernier du Prix Helmut Stegmann récompensant les meilleurs journalistes sportifs, le rédacteur en chef du magazine de sports Kicker, Wolfgang Uhrig n’a pas hésité à égratigner un peu le milieu. Il a notamment déploré le fait que si un journaliste pousse un peu loin la critique lors de son interview, il se voie tout bonnement refuser le droit de poser ses questions au match de la semaine suivante. D’après lui, certains de ses collègues se seraient créés leur réseau de personnalités-clés afin d´avoir accès aux plus importantes affaires. « En faisant cela, ils encouragent une forme dangereuse de dépendance et perdent de leur distance critique- tendance qui est malheureusement de plus en plus observée.  »

Tous dans le même bateau

En janvier 2006, 24 rédacteurs sportifs -pour la plupart issus de la presse régionale- ont démissionné de l’association professionnelle des journalistes sportifs allemands, la Verband Deutscher Sportjournalisten (VDS). Ils ont estimé en effet que leurs exigences en matière de journalisme professionnel n´était pas suffisamment représentées dans cette organisation. Afin de défendre plus de qualité dans le reportage sportif, ils se sont regroupés en réseau sportif au sein du groupe Sportnetzwerk. Dans une lettre ouverte adressée à la VDS, ses membres se sont déclarés « préoccupés par le fait que certains collègues se laissent influencer par l´aspect médiatique plutôt que de se consacrer un minimum à leur travail d'investigation ». Nul besoin de mentionner que les personnalités adhérant à ce nouveau réseau occupent des places importantes au sein des organes de presse écrite outre-Rhin : y figurent entre autres Thomas Kistner de la Süddeutsche Zeitung, Jens Weinrich, directeur sportif du Berliner Zeitung et Michael Gernandt, qui a dirigé pendant plus de 20 ans les pages sportives de la Süddeutsche Zeitung.

Gernandt observe ainsi une tendance au « fayotage » qui n´épargne pas les Coupes du monde de football. « Lors des conférences de presse, on voit très bien ceux qui commencent leurs phrases par ‘Monsieur Klose, vous…’ ou ‘Miro, tu…’. Comme nous sommes tous dans le même bateau, la marge de manoeuvre pour la critique se réduit conduisant automatiquement à une perte de liberté », pointe Gernandt. Ce manque de distance, il l´observe en particulier chez les journalistes travaillant pour la presse et les chaînes à sensations. Selon lui, ces personnes desservent le journalisme sportif. La subjectivité des reporters sportifs s’avère souvent flagrant. « Les collègues des services politique ou économie ne tutoient pas les députés lors des interview.  »

D´indicibles imbrications

Jens Weinrich, membre fondateur de Sportnetzwerk et chef de la rubrique sport du Berliner Zeitung entretient lui aussi une vision négative de la couverture journalistique de la Coupe du monde. Seuls les reportages en directs répondent selon lui aux critères journalistiques standards. D’après le magazine Menschen machen Medien (MMM), cette absence de sens critique n´a plus rien à voir avec le journalisme. Des exemples ?

L´expert de la chaîne télé publique allemande ARD, Günter Netzer, négocie en parallèle avec les grands du championnat. Le président du Bayern Munich et du comité d'organisation du Mondial 2006, Franz Beckenbauer multiplie les contrats privés de sponsoring avec des entreprises elles-mêmes sponsors de l´évènement. Et Weinrich de qualifier cette collaboration, d´anciens joueurs de la 'Mannschaft' –équipe nationale allemande- avec les chaînes publiques « d´innommables imbrications ».

En l´espace de quelques semaines, le nombre d'adhérents à Sportnetzwerk a augmenté de 300 personnes. Les journalistes professionnels peuvent s´échangent des informations et transmettre leur savoir aux plus jeunes lors de séminaires ou de congrès. Le collectif a même publié en mai dernier le livre « La corruption et le sport ». Son fondateur Michael Gernandt déclare vouloir continuer à s´impliquer pour des articles «d'analyse plutôt que d'ambiance » et met en garde les journalistes allemands de succomber à la folie actuelle du pays hôte du Mondial. Ils risquent « de perdre leur esprit critique » prévient le journaliste. Paradoxalement, ceux-ci se doivent également de retranscrire dans leurs articles l´ambiance particulière qui règne outre-Rhin, un exercice qui peut parfois se transformer en « chevauchée sur le fil du rasoir ».

Translated from Ritt auf der Rasierklinge