Mateo Blanch, le cuisinier qui imprime sa nourriture
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Des ustensiles, des vêtements, de l’armement, et même des organes du corps humain. L’impression 3D est en passe de devenir un procédé révolutionnaire de fabrication du 21ème siècle. Mateo Blanch, le célèbre chef étoilé catalan a su tirer profit de cette technologie qui gagne de plus en plus de terrain dans le monde de la gastronomie. Portrait d’une autre dimension.
A l’âge de 21 ans, Mateo Blanch s’est rendu compte que les études en électricité n’étaient pas faites pour lui. Il a donc décidé de changer de voie tout en cherchant un métier en lien avec la chimie. “J’ai suivi un cours de cuisine et c’est là que j’ai rencontré mon mentor, Chicho Castaño. Il tenait un restaurant. Après la leçon, il m’a proposé de travailler avec lui. C’est alors que j’ai réalisé avoir trouvé une profession qui me plaisait”, raconte-t-il avec enthousiasme. Mais avant de devenir un pionner mondial de l’impression 3D alimentaire, l’Espagnol a franchi des caps importants. “J’ai fait des stages dans le prestigieux restaurant El Celler de Can Roca, - qui a été élu meilleur restaurant du monde en 2015 -, et j’ai remporté un concours pour jeunes cuisiniers en Catalogne. Avec le temps, j’ai commencé à m’intéresser à la recherche et développement et à l’innovation dans le domaine de la cuisine. Ça me passionnait qu’un robot puisse concevoir un plat”.
Manger n’est plus seulement une simple nécessité fondamentale. De nos jours, c’est tout un rituel. Des programmes de télévision tels que Masterchef, Great British Bake Off ou Chef’s Table s’additionnent aux innombrables livres de cuisine et aux gourous des chaînes Youtube spécialisées en la matière. Des millions de personnes s'intéressent à un art dans lequel les chefs, - le nombre d'hommes ayant une étoile Michelin est toujours supérieur à celui des femmes - sont aujourd’hui élevés au rang de stars. Le goût est important, mais l’apparence, le foodporn et Instagram dominent le marché. Une purée de pommes de terre sans couleur avec quatre boulettes de viande éparpillées sur une assiette, c’est pas sexy. Avec les imprimantes 3D, il est possible de faire du faux caviar, des épinards Pocoyó (personnage célèbre d’un dessin animé espagnol) pour que les enfants mangent des légumes, ou des menus écrits avec des lettres comestibles si sophistiquées que l’on ne sait pas si on doit les manger ou les encadrer dans le salon. Le monde de l’impression a fait son entrée dans les cuisines. "
L’appel
“Attendez un instant, il faut que je connecte le câble.” Mateo nous reçoit virtuellement, dans sa salle à manger, à Lérida, sa ville natale. Il est depuis deux mois papa d’un petit garçon, raison pour laquelle il est en congés. Son visage s’éclaire. “C’est une chance que nous nous soyons rencontrés maintenant parce que je n’arrive plus à avoir de temps libre. Ce travail est merveilleux mais il demande aussi de faire beaucoup de sacrifices”, explique-t-il de l’autre côté de l’écran. “Pour moi cette chose en 3D me faisait penser à la planète Mars. Mais un jour je me suis dit que si ce monde m’était inconnu, il pourrait intéresser d’autres personnes qui, comme moi, n’en avaient jamais entendu parler » poursuit le chef quarantenaire.
En 2015, Mateo travaillait à La Boscana, un restaurant traditionnel en périphérie, quand il reçoit un appel. Au bout du fil, le Portugais –mais Barcelonais de cœur - Marcio Barradas, directeur de Samba, une entreprise espagnole d’impression 3D. Il lui annonce qu’un groupe de Néerlandais, de la société Byflow, était à la recherche d’un chef capable de faire une démonstration de cuisine durant le salon international de l’impression 3D qui se déroulait à Madrid. C’est à ce moment-là que tous les regards se sont braqués sur Mateo. Pour la première fois, l’Espagne organisait au niveau mondial un des évènements majeurs de l’impression en trois dimensions. Un rendez-vous pendant lequel les entreprises, les designers et les experts dévoilent leurs créations. Une seule équipe appliquait cette technique à la cuisine. “J’ai été surpris parce que nous étions le seul stand à imprimer de la nourriture en trois dimensions. Les élaborations étaient révolutionnaires et les finitions parfaites, cela aurait été impossible à faire à la main. C’était une découverte totale”, souligne Mateo.
L’impression 3D, qui était déjà utilisée depuis une dizaine d’années en Europe pour la fabrication industrielle, a fait ses premiers pas dans le secteur alimentaire aux Pays-Bas et en Espagne, là où siègent deux des plus importantes entreprises du moment ByFlow et Natural Machines. “Suite à l’engouement provoqué par la nourriture imprimée en 3D à la foire de Madrid, nous sommes allés à l’usine d’imprimantes 3D de Byflow à Maastricht, pour acquérir plus de connaissances sur cette technologie innovante ”. Le processus a évolué et Mateo est devenu une sorte de gourou que tout le monde appelle. Avide de diffuser le concept, Marcio Barradas fonde à Londres avec Antony Dobrzensky le projet international FoodInk, le premier restaurant du monde où tout, des chaises aux tables, en passant évidemment par la nourriture, est imprimé directement sur place. L’événement, ouvert à la presse, a duré 3 jours, et les convives, au nombre de douze par jours, ont pu profiter de neuf plats créés par Mateo. Le prix ? 280 euros par personne.
“Je trouve cela triste que seule une infime partie de la population puisse assister à ces événements, mais l’idée est d’attirer des personnalités et des entreprises avec lesquelles nous pourrons collaborer dans le futur, afin de rendre cet art accessible à tous”, défend Mateo. “Nous voulons démocratiser le projet mais nous avons d’abord besoin d’investissements pour le faire. L’objectif est de continuer à voyager dans le monde entier, bien que nous n’ayons pas encore de dates ou de lieux précis en tête."
https://www.youtube.com/watch?v=UWOVvSfSjCM
Qu’imprimons-nous aujourd’hui ?
La nourriture imprimée en 3D frise la perfection esthétique. Mais pour certains chefs et designers à l’image de la Néerlandaise Chloe Rutzerveld, il doit y avoir un but. Au cours d’une conférence Tedx, la conceptrice a affirmé qu’au risque devenir snob - comme l’ont déjà souligné Pepe Rodríguez ou Sergi Arola à d’autres occasions- la technologie tridimensionnelle ne doit pas servir qu’à impressionner les gens mais doit également résoudre des problèmes propres au domaine alimentaire.
Bien que le prix des imprimantes ne soit pas exorbitant pour les professionnels du secteur, (entre mille et trois mille euros pour Foodini, celle de l’entreprise espagnole Natural Machines) ce sont les services des designers et des techniciens qui font augmenter le coût. En termes d’utilisation, certaines sociétés, telle que Basquecook, une entreprise basque, ont déjà commercialisé des applications sur le marché, à l’image d’Oskook, un robot ménager capable de cuisiner par module en utilisant un logiciel open source. L’homme propose et la machine dispose.
Pour Mateo, la présence du chef tout au long du processus culinaire reste nécessaire, les machines n’étant pas encore capables de miracles selon lui. “Normalement elles sont utilisées pour préparer l’accompagnement et ma garniture. Mais pas de plats principaux. Il faut choisir les ingrédients frais que l’on souhaite, les cuisiner, les écraser et les mettre dans une sorte de tube. Le contenu doit être dense et la texture appropriée, comme le houmous ou le guacamole. Une fois à l’intérieur de l’imprimante, elle va commencer à faire le design couche par couche pour atteindre le volume final.”. Qu’en est-il du design ? “Il est créé dans un format compatible avec l’imprimante, puis il est envoyé par Wifi ou sur une clé USB. Il ne reste plus qu’à l’imprimer.” Quand on lui demande si cette technologie va entrer dans notre quotidien, il répond : “je suis convaincu que dans peu de temps, tous les restaurants auront une imprimante, juste à côté du Thermomix (robot de cuisine, ndlr)”. Il enchaîne : “Comme dans tout, l’expérimentation commence dans la haute gastronomie puis se diffuse au grand public. Des prototypes de machines Nespresso ont déjà été réalisés. On met le chocolat ou la purée dans la dosette, et le résultat prendra la forme que l’on souhaite”. Peut-être que dans un futur proche, au lieu d’acheter des pizzas surgelées, nous irons dans un magasin pour imprimer notre nourriture.
Mais cette technique a aussi ses inconvénients : “est-ce que c’est le moyen le plus rapide d’obtenir de la nourriture ?”, se demande Lynette Kucsma, cheffe marketing chez Natural Machine, lors d’une vidéo de promotion de sa marque. “Non, le plus rapide est de l’acheter toute prête, d’ouvrir le paquet et de la mettre au micro-ondes. Mais ce n’est pas très sain”. L’impression 3D ne permet pas à celui qui l’utilise de gagner du temps, mais elle lui permet de contrôler ce qu’il mange, c’est en cela que certains experts pensent que les personnes souffrant d’allergies ou de pathologies alimentaires y trouveront un intérêt. “L’idée est de changer l’aspect de l’aliment. Présenter des designs différents, mais pas la saveur. Vous pouvez faire un dessert, sans produit chimique ni conservateur, comme les célèbres pastel de nata que l’on trouve au Portugal. C’est une pure expression artistique du 21ème siècle», raconte Mateo de l’autre côté de l’écran. Est-ce que les machines vont remplacer les chefs ? “Il ne faut pas oublier que c’est à lui que revient la responsabilité de s’assurer que le plat est bon. La machine se charge du design, mais lui doit vérifier que la nourriture est saine, de saison et de qualité”. Bien qu’il n’y ait toujours pas de réglementation concernant l’impression 3D, les chefs continuent à veiller à respecter des normes d’hygiène et de qualité pour les produits.
Le nouveau micro-ondes ?
Mateo, qui se concentre actuellement sur un nouveau projet professionnel, sur lequel il ne souhaite pas communiquer davantage, a travaillé jusqu’à il y a quelques mois dans un restaurant d’auberge (il s’agit d’une initiative du gouvernement espagnol d’ouvrir des restaurants et des hôtels dans des anciens lieux oubliés de l’héritage historique du pays). Son bureau de tous les jours était une église historique, située dans la vieille ville de Lérida, transformée en hôtel, où la 3D n’est pas encore une priorité. “J’ai proposé d’installer une imprimante, mais cela ne correspondait pas à leur style, ils ciblent plutôt des personnes âgées et ce type de public montre généralement peu d’intérêt pour cette technologie, bien qu’il dispose d’un plus grand pouvoir d’achat. Au contraire, les jeunes sont plus curieux mais ont moins de moyens. »
Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés
Notre conversation touche à sa fin. L’heure de manger approche. Qu’avez-vous préparé pour le repas Mateo ? “Une salade et des lentilles aux légumes”. Avec des formes tridimensionnelles, des fleurs verticales ou des bulles d’hydrogène ? “Non, en vérité j’ai cuisiné de manière traditionnelle. Chez moi je n’ai pas d’imprimante 3D, et pour tout vous dire je n’aurais même pas le temps de l’utiliser car je passe la journée au restaurant. Ici, généralement je ne cuisine pas beaucoup, je me fais une omelette, ou quelque à la poêle. J’aime beaucoup manger chez moi, en famille. Pour mieux réussir au niveau professionnel, il faut savoir déconnecter. Je ne vais pas toujours dans les restaurants les plus branchés, bien au contraire. Ce que j’aime, c’est être surpris par la fraîcheur des produits, qu’ils soient bons et que l’effet visuel soit agréable. Pas besoin d’aller dans un restaurant étoilé pour être heureux.”.
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Voglio Mangiare Così- Somos lo que comemos. Descubre qué se cuece entre los fogones europeos de la mano de ocho personas que han decidido hacer del comer todo un acto revolucionario.
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Translated from Mateo Blanch, el cocinero que imprime comida