Maroc : l'UE comme terre d'exil
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Droits économiques et sociaux ou droits politiques, pour les Marocains c'est kif-kif : mieux vaut rejoindre l'UE plutôt que d'attendre quelque chose d'elle.
Le 11 mars 2004, l’Espagne fut l’objet d’une série d’attentats meurtriers qui ont fait 200 morts et des centaines de blessés. Des jeunes marocains seraient impliqués dans l’exécution de ce crime, et l’ombre de l’extrémisme marocain plane sur d’autres méfaits dans le monde.
Le Maroc serait-il devenu une base arrière du terrorisme international ? Comment un pays connu pour son ouverture et symbole dans le monde arabe de la symbiose des cultures et des religions, peut-il produire des jeunes capables de commettre de tels forfaits ?
Absence d’un projet démocratique
Certes, le terrorisme est un fléau international et transnational qui se nourrit du conflit du Proche-Orient et des frustrations des peuples en quête de liberté, de justice et de reconnaissance. Néanmoins, son terreau est bel et bien la misère, l’exclusion, les conditions sociales et économiques difficiles.
Ces facteurs conjugués à une politique d’encouragement des courants islamistes, menée par le pouvoir marocain pendant des années afin de contrer les opposants démocrates, contribuent à expliquer le phénomène. Les années de répression ont laminé les progressistes et favorisé l’émergence des courants islamistes.
Pendant des années, la religion a pris une place prépondérante dans l’enseignement au Maroc. Des dogmes comme l’impossibilité de la séparation entre le politique et la religion dans l’islam ont été renforcés. Des manuels scolaires véhiculaient des idées peu compatibles avec les droits humains. L’Etat a longtemps refusé l’enseignement de la matière des droits de l’Homme dans les écoles. L’absence d’un projet démocratique clair et cohérent cultive davantage les frustrations. Les jeunes succombent alors facilement à un discours islamiste radical.
Progrès politiques, lacunes économiques
Bien sûr, le Maroc a connu des évolutions importantes dans le respect des droits humains :
- Libération de plusieurs prisonniers d’opinion et politiques ;
- Réforme du code de la famille permettant à la femme de voir ses droits reconnus. Cette réforme constitue un pas de géant accompli par le Maroc malgré le conservatisme ambiant de la société ;
- La création d’une commission appelée « Equité et Réconciliation » dont la mission est de faire la lumière sur les violations grave des droits humains depuis l’indépendance en 1956 et de réhabiliter les victimes. Le travail de cette commission devrait permettre au Maroc de tourner définitivement la page des années de plomb.
Mais si des progrès ont été enregistrés sur le plan des libertés individuelles et collectives, les droits sociaux et économiques font défauts.
Chaque année, des centaines de jeunes risquent leurs vies pour traverser la Méditerranée dans des barques de fortune afin d’atteindre la rive nord. Les conditions sociales sont très difficiles et l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accentuer.
Le taux de croissance a été de 4 % en 2003 selon la Banque mondiale. La moyenne de ces cinq dernières années est de 3,5 %. Un taux inférieur à celui des autres pays de la région et insuffisant pour sortir le Maroc du marasme économique.
Le taux de chômage en milieu urbain est officiellement de 20 %. Il touche toutes les couches de la population et n’épargne pas les diplômés : un sur quatre est au chômage. Le secteur informel emploierait 40 % de la population, toujours selon la Banque mondiale. La pauvreté absolue touche plus de 5 millions de Marocains (elle a progressé de 50 % au cours des années 90). La société est très inégalitaire : quelques 20 % de la population accapare plus de la moitié des ressources du pays. À l’autre bout de l’échelle sociale, 19 % des Marocains vivent au dessous du seuil de la pauvreté. Les écarts se creusent : cette dernière proportion n'était que de 13 % 10 ans auparavant.
Ignacio Ramonet, dans les colonnes du Monde Diplomatique, écrivait en juillet 2000 : « Ici domine un système de réseaux, de népotisme, de clans, de familles liées entre elles qui préfèrent donner un poste à un parent inapte et incompétent qu'à un jeune d'origine modeste très diplômé. (…) Une enquête récente a établi que 72 % des Marocains souhaitent émigrer, et que, pour les jeunes de 21 à 29 ans, ce taux atteint les 89 % ! ».
Intégration ou ignorance ?
Sur le plan politique, malgré l’ouverture du nouveau roi Mohamed VI, le régime reste de pouvoir personnel. Le roi cumule tous les pouvoirs, règne et gouverne sans qu’il puisse faire l’objet de critiques. Certes, le déracinement des partis et l’émiettement du paysage politique ne facilitent point la résolution de l’équation marocaine.
Mais le Maroc est appelé à réformer ses institutions et bâtir un véritable Etat de droit et démocratique. La question du Sahara Occidental pèsera lourdement sur son avenir. Dans le contexte international actuel, une large autonomie pour les Sahraouis dans un Maroc démocratisé serait une solution probable et peut être même imposée par les Etats-Unis.
Par contre, les véritables enjeux se jouent avec l’Union Européenne. Cette dernière doit trancher et se donner les moyens de sa politique. Trancher entre davantage d’intégration avec les pays du Maghreb dans un processus de développement du bassin méditerranéen ou livrer le Maghreb à lui même avec tous les risques politiques et sociaux que ce scénario laisse pressentir.
Les Etats-Unis plus efficaces
A plusieurs reprises, l’UE a dénoncé les violations des droits de l’Homme au Maroc. Ces dénonciations ont contribué à l’élargissement des libertés dans ce pays. Mais sans qu’ils deviennent une priorité puisque les enjeux économiques l’emportaient. Alors que l’accord d’association entre le Maroc et l’UE stipule dans son article 2 que « le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’Homme tels qu’énoncés dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, inspire les politiques internes et internationales de la communauté et du Maroc et constitue un élément essentiel du présent accord ».
Malheureusement cette clause, identique à celle comprise dans l’accord avec la Tunisie, n’a aucun effet sur le régime tunisien. Ce dernier continue à bafouer les droits humains en toute impunité. L’UE est parfois nourrie de bonnes intentions, mais elle manque d’outils pour mettre en place sa politique.
Malgré une intervention de M. Pat Cox en tant que Président du Parlement européen auprès des autorités marocaines pour exprimer ses préoccupations concernant l’incarcération et la condamnation du journaliste Ali Lmrabet pour délit d’opinion, c’est grâce aux pressions américaines que Lmrabet a été libéré…