Maroc-Irak-Paris : la liberté de la presse en transit
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Cristina RosatiDu Maroc à la France, en passant par l'Irak : la liberté de la presse n'a pas le même prix partout. Hicham Mansouri et Hassanein Neamah en ont fait l'expérience. Issus de pays où leur profession « dérange », les deux journalistes exilés en France y ont trouvé une liberté de la presse renouvelée, qu'ils craignent de perdre à l'issu du résultat des élections présidentielles dimanche prochain.
Nous descendons au sous-sol d'une vieille usine abandonnée. De l'extérieur, aucun signe ou numéro d'adresse n'indique l'endroit. De l'intérieur, ce lieu singulier a tout d'accueillant : une cuisine et une pièce commune destinée à devenir un salon, avec fauteuils et télévision. Assis dans une petite bibliothèque, Hicham Mansouri et Hassanein Neamah nous attendent. Le premier, journaliste d'investigation d'origine marocaine, espère la reconnaissance de son statut de réfugié. Le second, metteur en scène et journaliste irakien, est arrivé en France en 2015, seulement une semaine après les attentats du Bataclan. Nos deux hôtes nous reçoivent à la Maison des Journalistes. Véritable refuge pour les journalistes persécutés dans leur pays d'origine, cette association met à leur disposition un hébergement, et propose une aide dans leurs démarches, notamment pour obtenir le statut de réfugiés. Située dans le 15e arrondissement de Paris, elle a notamment accueilli Hicham et Hassanein. De la répression à une censure mesurée, les deux journalistes nous racontent deux expériences contrastées de la liberté de la presse.
Les risques du métier
Hicham a une longue expérience de journaliste au Maroc. Ses problèmes ont commencé en 2009, après que le jeune homme a rejoint l'Association marocaine pour le journalisme d'investigation (AMJI). Disposant de 14 antennes dans différentes villes marocaines, l'association vise à y promouvoir le journalisme d'enquête. Très rapidement, son action attire l'attention des autorités. « Le journalisme d'investigation fait peur, déclare Hicham. Les autorités manquent de culture journalistique. Ils nous disent: "les enquêtes c'est pour la police, pas pour les journalistes !" Ils ne comprennent pas ce que nous faisons. »
Tant les sujets que les pratiques de l'association dérangent. Celle-ci a tenté une approche transparente, abordant des thèmes critiques pour la monarchie (l'exploitation minière de la maison royale et son impact sur l'écologie). De même, l'usage des nouvelles technologies se prête peu au contrôle des autorités sur les médias : l'application smartphone Story Maker par exemple, apparaît comme particulièrement dangereuse, en permettant de filmer puis d'envoyer le fichier directement sur un server externe et de sauver l'enregistrement en cas de confiscation du téléphone.
Il a fallu deux ans à la monarchie pour reconnaître l'association. Conséquence directe des manifestations du printemps arabe, et de la tentative du pouvoir de calmer les tensions. Cependant, la reconnaissance reste de façade, et les contraintes imposées aux journalistes n'ont cessé de s'intensifier. « Un jour, nous raconte Hicham, ils sont rentrés dans notre bureau, ils nous ont volés tous les documents. Une autre fois, notre site a été piraté et remplacé par un site porno. Ils nous ont attaqués sur les journaux officiels en nous accusant d'être financés par l'Algérie ou par un prince Alaoui exilé aux États-Unis. Par la suite, à la fin d'une réunion, j'ai été physiquement agressé par deux inconnus pendant qu'un troisième attendait en voiture. Finalement, le 17 mars 2015, pendant que je menais une enquête sur la surveillance électronique, 10 agents de la police sont entrés chez moi de force, m'ont déshabillé et filmé cinq minutes après l'entrée d'une amie. Ils m'ont assuré que je serais poursuivi pour organisation d'un local de prostitution et d'adultère si je continuais à écrire des articles. J'ai passé 10 mois en prison. »
Cette peine pousse Hicham à partir. Le jour suivant sa libération, il quitte le pays sans argent, laissant tout derrière lui. Après un passage rapide en Tunisie puis en Pologne, il termine son exil en France, pays qu'il connaissait déjà pour y avoir réalisé plusieurs voyages professionnels.
« La culture du journalisme n'existe pas »
Hassanein écoute le récit de Hicham en secouant la tête avec force : son expérience en Irak est tout autre. Car plus qu'une répression, c'est l'absence d'un réel journalisme dans le pays qui pose problème. L'Irakien se considère parmi les chanceux : il a seulement subi des menaces, quand ses collègues « ont directement été tués». Pour Hassanein, le problème vient du manque d'une culture journalistique en particulier au sein de la population. « Comment écrirais-je ? En Irak il n'y a ni l'envie ni la culture : personne ne lirait mes articles. La culture du journalisme n'y existe pas. Le seul fait de se balader avec une caméra dans les rues te met dans une position dangereuse. J'ai été enlevé pendant que je finissais les dernières images de mon court-métrage. Si tu as la carte de presse ça veut dire que tu n'es pas journaliste. L'État relâche les attestations.»
Hassanein a déjà remporté de nombreux prix, l'un de ses courts-métrages ayant même été projeté à Cannes en 2014. Dans l'impossibilité d'une approche journalistique, l'engagement du jeune homme passe par l'art de la caméra. Bien que non achevé, il souhaite à travers son court-métrage raconter la vie des Irakiens: sortir avec les amis, jouer au football, tout ce que font les « gens normaux », sans jamais pour autant se libérer de la peur. Aujourd'hui, la guerre civile faisant rage dans le pays, celle-ci empreigne tous les pans de la société. Les forces irakiennes ont débuté jeudi 4 mai un nouvel assaut sur Mossoul, parmi les derniers bastions du groupe État Islamique en Irak. Hassanein nous parle de sa famille, « un exemple d'islam simple», ou de son ami resté à Mossoul, musicien mais contraint de se cachant sous l'image d'activiste islamiste.
La liberté de la presse, vraiment?
Ici en France, le metteur en scène souhaite s'occuper de son film, « en tant que journaliste ». Retourner en Irak ? Seulement si le gouvernement change, rendant la pratique du journalisme réellement possible. Tout comme Hassanein, Hicham relativise la situation de la liberté de la presse en France. S'il reconnaît que la censure s'y trouve également, celle-ci semble un moindre mal comparé à la situation dans son pays d'origine. « Au moins on peut en parler, explique-t-il. C'est cela le charme d'une démocratie. »
Les deux journalistes attendent une régularisation de leur situation. Par l'apprentissage de la langue, ils entendent s'intégrer à la société française et s'y projettent professionnellement. L'enjeu des élections changera-t-il la donne ? Si pour Hassanein, le résultat de dimanche prochain ne peut modifier les valeurs fondamentales françaises, Hicham semble plus pessimiste « On ne peut pas transformer une démocratie en une dictature en cinq ans », conclut-il cependant, en regardant son collègue qui confirme par un petit geste d'assentiment.
Translated from La libertà di stampa vista da due giornalisti rifugiati a Parigi