Mariée à tout prix : l'histoire d'une Macédonienne en fuite
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Elisabeth-Astrid BerettaIl est des histoires de migrants et réfugiés « européens », très proches de nous. Voici le récit d'une Macédonienne réduite à fuir les Balkans à cause d'un père violent et d'un mariage forcé. Après avoir cherché refuge en Allemagne, elle porte désormais, entre le spectre de l'extradition et mille autres difficultés, une grossesse avec l'homme qu'elle aime.
Aleksandra* s'assied sur un banc. Elle rit. Elle caresse son ventre. Elle est née en Macédoine et s'est enfuie de chez elle la nuit avant son mariage. Elle a quitté sa terre natale avec l'homme qu'elle aime, le père de l'enfant qu'elle porte. L'autre, celui qui lui avait été imposé est resté à l'attendre à l'autel, en vain.
Nous sommes dans une ville de l'Allemagne de l'Est (dont nous tairons le nom pour protéger la jeune femme, ndlr). Le centre pour les réfugiés, ouvert en catastrophe en mai dernier, est encore en chantier. Les maçons s'occupent des derniers travaux et la terre brune attend d'être semée. Un monceau de vélos appuyés contre une rampe révèle cependant la présence de certains hôtes : 80 réfugiés qui vivent dans ce centre, un carrefour d'histoires entre camps et grands immeubles de banlieue.
Elle n'a que 22 ans mais semble plus âgée. Aleksandra a connu son compagnon au lycée. Son père n'approuvait pas cette relation : « Il m'a enfermée à la maison. Il me battait. Il voulait me forcer à en épouser un autre. Depuis que j'ai quitté sa maison je vais mieux. J'ai repris du poids ». Elle se souvient à peine de l'interminable voyage vers l'Allemagne : « Ma soeur a trouvé le passeport que mon père avait caché. J'ai enjambé la fenêtre et j'ai rejoint la station des bus. Là, m'attendait mon copain. J'allais mal. Je tremblais. Je suis montée sur un car. Serbie, Hongrie, Autriche. Je ne me souviens pas de tous les États. À un moment donné, nous sommes arrivés à Stuttgart. C'était le 10 décembre 2014. Nous avons attendu toute la journée dehors. Il faisait froid. Cette nuit-là nous avons dormi dans la rue. Puis, pendant 18 nuits, dans un dortoir avec 30 autres personnes ». Après le centre de Stuttgart, Aleksandra et son compagnon ont été déplacés dans 4 autres centres et sur autant de villes.
L'arrivée du courrier : terreur et espoir
Lorsque le courrier arrive, tous se précipitent dehors. Les réfugiés attendent la convocation à l'entretien de la commission qui décidera d'approuver ou pas leur demande d'asile. Personne ne sait combien durera le procès : certains restent dans des centres pendant des années, d'autres qui en 15 jours règlent toutes les démarches. La convocation peut être communiquée d'un jour à l'autre, les interviews sont longues et exténuantes, et les réfugiés n'y sont pas préparés.
Aleksandra a déjà affronté la commission : la lettre de rejet est entre ses mains, muette et immédiate condamnation. « Je ne peux pas retourner en Macédoine. Mon père me tuerait. Ma fille n'aurait aucun futur. Je n'ai rien a lui offrir. Lorsque la lettre est arrivée, j'ai risqué de perdre l'enfant. J'étais choquée et je suis allée chez le médecin, qui m'a dit de ne penser qu'à la santé du bébé. Maintenant je vais souvent chez le gynécologue. Je me sens stupide d'y aller aussi souvent, mais je n'ai pas idée de ce qu'il arrive au corps avec la grossesse. J'ai peur, j'aurais besoin de ma mère. »
Aleksandra a de rares contacts avec sa famille. « Je les ai appelés après notre premier mois en Allemagne. Je leur ai dit que je vivais là, avec l'homme que j'aime, et qu'ils ne devaient pas me chercher. Il y a deux semaines, j'ai appelé ma mère. Elle pleurait, alors j'ai raccroché. » Savent-ils que tu es enceinte ? « Je l'ai dit à ma soeur. Je ne sais pas si elle l'a dit au reste de la famille. »
Les passions d'une fille, les espoirs déchirés d'une femme
« On m'a dit que je devais signer une déclaration dans laquelle j'affirmais que je partais volontairement. Je risquerais de perdre mon enfant si je montais sur un bus. Je ne signerais pas », dit Aleksandra. Son compagnon peut rester : sa demande a été acceptée. « Nous ne sommes pas mariés, pour cela nous sommes traités séparément. Au début nous nous sommes présentés comme une famille, puis, pendant l'entretien avec la commission, nous avons été obligés d'admettre que nous n'étions pas mariés. Mais c'est le père de mon enfant. »
Le seul interprète engagé par la municipalité (il s'occupait de 400 personnes dispatchées sur six centres) est la seule personne qui peut aider Aleksandra : « Il cherche à convaincre le médecin à me livrer un certificat médical. Je ne parle pas allemand : ici n'est proposé aucun cours. Je ne peux même pas parler à l'assitante sociale ».
Aleksandra est une jeune femme pleine d'espoir et de rêves. Aujourd'hui, c'est une femme à laquelle on arrache son avenir. Sur huit frères et soeurs, elle est la seule à avoir fait le lycée. Elle était douée pour les études et aurait aimé aller à l'université : « Ma vraie passion était le théâtre». Pendant qu'elle ressasse son passé sur scène ses yeux brillent : « J'avais du talent. Je suis même passée à la télé et j'ai joué dans la Capitale (en Macédoine, ndlr). Mon enseignant m'embrassait sur le front après chaque pièce : il était fier de moi». Les gifles de son père l'ont condamnée à renoncer à ses rêves.
Angela Merkel répond à une jeune palestinienne qui réclame son droit d'asile en Allemagne.
Sur la lancée émotive de cet épisode, le débat sur la politique allemande envers les réfugiés a outrepassé les frontières nationales. Il y a quelques jours, on a su que l'adolescente abordée par Angela Merkel pourrait probablement rester à Rostock, en Allemagne, même suite à la nouvelle loi qui sera mise en vigueur après l'été. En revanche nous ne savons pas encore si la position d'Aleksandra pourra être re-éxaminée. (L.Be.)
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*Aleksandra est un pseudonyme. Nous avons tenu a garder le nom de la jeune femme secret pour des raisons de sécurité.
Translated from Storie di migranti europei: una sposa in fuga dai Balcani