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Marco Travaglio : « Ce n'est pas le Parlement européen qui mettra Berlusconi en difficulté »

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Culture

« Cavaliere, où avez-vous pris l'argent ? » C'est la question, toujours sans réponse, qui a été adressée à Silvio Berlusconi en 2001, par Marco Travaglio, dans son livre L'odeur de l'argent. Depuis, il est devenu le symbole de la liberté de la presse de l’autre côté des Alpes. Entretien.

Marco Travaglio est un journaliste italien qui a connu son heure de gloire lorsque, à deux mois des élections législatives de 2001, il a été invité sur le plateau de l'émission télévisée Satyricon, animée par l'humoriste Daniele Luttazzi (sur la RAI), pour présenter son livre intitulée L'odeur de l'argent. La réaction a été immédiate. Des querelles et des plaintes pour diffamation se sont abattues sur les auteurs de cet ouvrage… déposées, bien sûr, par Berlusconi et ses associés. Peu après, l’émission a été supprimée, et Luttazzi perdit son travail.

Depuis, les deux parties ont été relaxées. L'affaire judiciaire a pris fin en 2006. Travaglio, lui, est devenu un symbole de la liberté d'expression et du journalisme indépendant en Italie. Récemment, il a reçu le prix de l'association des journalistes allemands, la DJV, au nom de la liberté de la presse. Ses collègues teutons le considèrent comme un « collègue courageux et attentif, qui s'attaque à tout ce qui fait obstacle à la liberté de la presse en Italie. Il dénonce en permanence et publiquement les tentatives des hommes politiques italiens, et surtout celles de Silvio Berlusconi, d'influencer les médias lorsque cela leur convient, empêchant ainsi une information indépendante. Ses critiques ont aussi pour but d'encourager ses collègues italiens à ne pas s'autocensurer et à ne pas se laisser intimider par le pouvoir ». Nous lui avons posé trois questions.

Marco, comment expliques-tu l'anomalie italienne à un jeune Européen ?

Je dirais qu'en Italie, la liberté de la presse n'existe que sur le papier, mais la réalité est bien différente. A la télévision, elle est pratiquement inexistante. Il reste encore un espace de presse libre dans les journaux. Le résultat est un pouvoir sans contrôle, qui transforme la démocratie en un régime qui peut devenir autoritaire. Un autoritarisme inédit. Le cas italien est souvent sous-estimé au niveau international, mais c'est un modèle qui pourrait bien inspirer n'importe quel autre pays. Il existe un risque de contagion.

Le « modèle Berlusconi » pourrait faire école en Europe ?

Il est plus difficile qu’un tel modèle s’affirme dans un autre pays d’Europe. Ailleurs, il existe des lois pour protéger les institutions contre l'apparition d'un personnage de ce genre. On n'a jamais vu nulle part que quelqu'un se lance en politique pour échapper à la justice, car quelqu'un qui fait de la politique et commet des délits est immédiatement passible du tribunal.

Dans les autres pays européens, il n'existe pas de « Lodo Alfano » (la loi qui protège les quatre plus hautes charges de l'Etat de toute accusation, parmi lesquelles le premier ministre). Ensuite, il y a des lois anti-trust qui empêchent la concentration des médias entre les mains d'une seule personne. Si un tel personnage veut se lancer en politique, il doit d'abord abandonner toutes ses activités. Cela veut dire, premièrement, vendre son journal et ses télévisions, encaisser l'argent, monétiser. Il est très difficile que cela puisse arriver dans d'autres pays : jusqu'à présent, le seul exemple comparable au nôtre est celui de Thaksin Shinawatra, en Thaïlande, mais les Thaïlandais, qui sont plus vigilants que nous autres italiens, sont déjà parvenus à le chasser du pouvoir.

Penses-tu que les institutions communautaires et le Parlement européen puissent contribuer à améliorer la situation italienne ?

Non, je ne crois pas. Car au Parlement européen, le Parti populaire européen, dont Berlusconi est un des actionnaires majoritaires, a la majorité. Ils lui ont déjà beaucoup pardonné. Ce n'est pas le PPE qui mettra en difficulté Berlusconi. Si on ne maitrise pas les comptes publics, on risque d'être réprimandés, mais si on viole les lois les plus élémentaires sur la concurrence, la liberté de la presse ou la démocratie intérieure, les parlementaires européens considèrent que ce sont nos affaires, pas les leurs.

L’odeur de l’argent - Les Origines et les dessous de la fortune de Silvio Berlusconi (Broché) a été coécrit avec Elio Vetri, Editori Riuniti.

Translated from Marco Travaglio: «Non sarà il Parlamento europeo a mettere in difficoltà Berlusconi»