Magyd Cherfi: «Une identité blanche qui ne dit pas son nom»
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Faire résonner les mots «identité» et «nationale» en concert, c’est un petit air de déjà-vu qui ne revient pas du tout aux oreilles du chanteur français et engagé Magyd Cherfi. Interview.
« Quand t’es Noir, t’es pas embauché ». A 47 ans, le chanteur toulousain qui poursuit sa carrière en solo, après une longue et festive collaboration avec le groupe Zebda, a appris à gérer sa colère. Mais chaque jour apporte son lot de révoltes. Discrimination positive, port du voile, intégration… Alors que sa tournée a pris fin depuis plus de deux mois, Magyd a tenu à se produire à Cébazat (dans le Puy-de-Dôme), à l’occasion du festival tremplin « Sémaphore en chanson ». C’est là que les babéliens de Clermont-Ferrand ont eu l’occasion de le rencontrer. Une version longue de cette interview est disponible sur leur blog : le Puy de Babel.
Tes textes sont toujours très engagés. Avec les questions actuelles d’intégration, de banlieues, d’immigration… Comment tu te positionnes ?
Je suis un enfant gâté à ce niveau là. Tous les jours, dans l’actualité, il y a un Arabe, un Noir, un immigré, un sans papier, un maudit, d’aussi loin que je me souvienne. Je n’ai pas le problème de la page blanche ! Et maintenant, on nous impose un débat sur l’identité nationale. Je pourrais en tartiner des chansons. Mais j’ai honte !
Refuses-tu de participer au débat sur l’identité nationale ?
J’espère ne pas y participer. En tout cas, pas au débat lancé par Eric Besson [ministre de l’immigration et de l’identité nationale en France]. « Identité » et « nationale », c’est une collusion que je ne comprends pas. Quand je vois des gens essayer de répondre à cette question et notamment des personnes comme Fadela Amara, Rachida Dati ou Rama Yade [les membres du gouvernement français issus de l’immigration, ndlr] qui soutiennent ce débat, c’est pour moi la fin de l’espérance en la fraternité.
« Avant, j’avais envie de prendre un fusil, un caillou, une fronde et de dire 'tant pis, je vais tirer. J’en ai marre'. »
Ils sont en train d’instaurer une race blanche, d’établir une identité blanche qui ne dit pas son nom. Et ça passe. Et les gens disent « oui, c’est un débat intéressant ». Il ne faut pas faire l’impasse sur un état d’âme : mon écœurement face à cette race blanche que l’on suggère. Comme quand tu entends le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, dire : « Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a plusieurs que cela pose problème », en parlant des Arabes [dans une vidéo publiée par Le Monde et qui a créé la polémique en France au début du mois de septembre 2009, ndlr].
Je suis beaucoup moins en colère maintenant, à 47 ans. Avant, j’avais envie de prendre un fusil, un caillou, une fronde et de dire : « Tant pis je vais tirer. J’en ai marre. » Car il y a toujours eu un ministre ou un président qui a dit : « Il y en a trop », « Vous êtes de trop », « Il faut s’intégrer ». Mais maintenant, je ne suis plus en colère. Je me dis que ce ne sont pas les immigrés qui ont un problème, ce sont les Français blancs qui ont peur des Arabes, des Noirs et de l’Islam. Nous sommes français. Point ! Tous ces gens sont français. Ils sont différents car en eux, ils ont un bout de culture qui vient d’ailleurs. Aux Etats-Unis, un Noir, qu’importe son origine, est avant tout un Américain. En France, un Noir est immigré, fils d’immigré de deuxième, troisième génération, un sans papier et après un Français.
Selon toi, le débat sur la burqa porte plus sur la libération de la femme ou sur le problème que les Français ont par rapport à l’Islam ?
Il y a les deux. Je suis intellectuellement contre ce voile mais je me dis que si ces filles le portent, c’est que nous (l’Etat) les avons laissées tomber. Après avoir vu des cousines en France ou au bled le porter, je comprends un peu plus pourquoi. Il y a un truc qui s’appelle République ou Etat de droit qui ne les protège pas. Comme elles ont peur, dans leurs familles, dans leurs cités. Elles cherchent des armes que ne leur fournit pas cette pseudo République et ses droits et devoirs. C’est un peu le serpent qui se mord la queue.
Alors que peuvent-elles faire ?
Rien. Comment faire ? Partir ? Mais partir où ? Avec qui pour les protéger ? Et puis il y a aussi la dépendance affective à sa propre mère. Comment on a la force de partir en abandonnant sa mère, sa famille, sa tribu, son clan, l’arbre généalogique. Il y a toujours quelques filles d’exception qui trouvent la force de couper court à tout pour vivre libres. Elles sont très peu. Il n’y a pas d’issues à mon sens. Il n’y en a déjà pas ou très peu pour les garçons… C’est pour ça que la fraternité « Black, Blanc, Beur » ne fonctionne pas.
Tu es donc résolument pessimiste sur cette question ?
A court terme, oui. Mais forcément optimiste a long terme, car il faudra bien que l’on s’aime, de force.
Pour les Arabes, les Noirs, il faut des lois de parité. Car autrement dans 50 ans, il n’y aura pas deux Blacks à l’Assemblée nationale. On risque de nous dire : « Oui, mais ce n’est pas égal. » Mais on les emmerde ! Déjà à la base, il n’y a pas d’égalité car nous sommes défavorisés : pourtant, avec un peu de « défavorisé » et un peu de « favorisé » ça fera un rapport égal ! Moi, j’assume d’être le favorisé de l’histoire. Beaucoup de Blacks et de Beurs sont contre. Le débat est ainsi.
Alors la discrimination positive comme aux Etats-Unis serait la solution ?
Malgré moi, oui, je pense. Je trouve que ce n’est pas un bon truc, mais c’est tout ce qui nous reste. On a fait beaucoup de discours sur l’intégration, l’égalité, l’unité et la fraternité mais cela ne marche pas. Quand t’es Noir, t’es pas embauché.
Aujourd’hui, c’est le 9 novembre, l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin. As-tu un souvenir précis de ce jour-là ?
« Je suis assez peu européen dans ma tête parce que je trouve qu’on n’existe déjà pas dans un pays »
Je crois que j’étais en tournée à ce moment-là. J’ai eu un sentiment de bonheur, comme une frontière qui explose, comme une famille qui se réunit, mais je n’avais pas saisi la dimension politique de la chose. Je ne savais pas ce que cela voulait dire à ce moment-là. Je ne savais pas que c’était la fin du communisme, du bloc soviétique.
Cet anniversaire marque aussi le début d’une nouvelle ère européenne. Quelle est ta vision de l’Europe ?
Je suis assez peu européen dans ma tête parce que je trouve qu’on n’existe déjà pas dans un pays. J’ai du mal à me projeter dans une dimension européenne alors que je trouve que l’on n’est pas traité comme français dans notre pays. Comment penser européen alors que la fraternité ne fonctionne pas ?
Qu’est-ce que tu dis à tes enfants ?
Parfois mes enfants se demandent s’ils sont français. Mon fils s’est fait traiter de « sale arabe ». Il s’est mis à pleurer à l’école. Alors s’il me demande s’il est français, je lui réponds « tu es français, mais… » Quand on est noir en France, on n’est pas blanc !
Tu t’es écarté du mouvement des Motivé-e-s ? Qu’en est-il de ton parcours militant ?
Je ne suis pas un militant politique ? Je ne l’ai jamais été. J’ai accompagné des gens que j’aimais qui étaient à gauche, et à l’extrême-gauche. Je fais de la « militance émotive », avec mes chansons.
Et on entend dire que Zebda va se reformer? Ou pas …
Oui, Zebda va se reformer. D’ailleurs Zebda est de nouveau en studio !