Participate Translate Blank profile picture
Image for Macholand : extension du domaine de la lutte féministe

Macholand : extension du domaine de la lutte féministe

Published on

Société

Macholand est un site qui combat le sexisme ordinaire. C’est surtout l’expression d’un nouveau féminisme plus pop, plus drôle et peut être aussi, un peu plus flippant. On s’est assis avec Clara Gonzales, 24 ans et l’une des têtes pensantes du site, qui rassure un peu et tacle beaucoup. Survol au-dessus du pays des machos, entre deux thés au jasmin.

cafébabel : « Macholand, c’est d’abord l’expression d’un ras-le-bol ». Qui vient d’où ?

Clara Gonzales : Il faut remonter un an plus tôt quand Elliot Lepers et moi avons lancé un site un peu couillon, Les 343 connards, en réaction au manifeste « Touche pas à ma pute », signé entre autres par Fréderic Beigbeder. L’idée n’était pas de rentrer dans le débat pour ou contre la dépénalisation de la prostitution mais de montrer qu’on ne pouvait pas laisser ces gens s’approprier le débat public avec des propos aussi sexistes que débiles. 

cafébabel : Et Macholand alors ?

Clara Gonzales : Avec Caroline de Haas, fondatrice d’Osez le féminisme (qu'elle a quitté, ndlr), on s’est rendu compte que le Web était un vivier d’activistes quand il s’agissait de dénoncer le sexisme. Très vite, on s’est réuni tous les trois en dessinant les contours de Macholand, inspiré des 343 connards. Le principe étant d’interpeller, par des tweets, des mails, ou des messages sur Facebook, des gens ou des organisations qui tiennent des propos sexistes. On appelle ça des « actions ».

cafébabel : Qu’est-ce qui t’a poussée à t’engager contre le sexisme ?

Clara Gonzales : Vers 11-12 ans, je ressemblais déjà à une jeune fille et du coup, j’ai pu sentir que je devenais un objet de désir, alors que je n'en avais pas encore moi-même la conscience. Ça a été un choc, quelque chose qui m'a été imposée par des hommes plus vieux, via des regards ou des remarques déplacés. C'est cette première impression qui m’a amené à m’éveiller aux problématiques de genre. Petit à petit, je me suis rendu compte que les filles n’avaient pas conscience du sexisme. Ça m’a encore plus énervée. Je me suis dit que si celles qui en sont victimes n’ont pas le courage et l’intelligence de s’en rendre compte, on ne s’en sortirait jamais. Pleins de gens sont persuadés d’être pour l’égalité homme-femme mais sont encore pétris de codes sexistes. Dans ma vie personnelle, c’est ça qui est le plus dur à déconstruire. 

Ensuite, je pense qu’il y a un regain de propos sexistes dans les médias ces 5 dernières années avec des personnalités à qui on fait trop de place. Bref, en tant que jeune fille, je voyais un monde qui se construisait avec des représentants qui s’arrogent toujours le droit de définir une voie tracée pour les femmes. Et c’est tous des vieux mecs de 50 balais qui viennent d’un temps révolu. Les laisser décider à notre place, c'est s'enfermer dans un monde voué à l'inégalité.

cafébabel : Certaines personnes combattaient déjà ces gens-là pourtant…

Clara Gonzales : On leur laissait malheureusement pas assez la parole. Le féminisme est devenu mainstream récemment mais ça fait 30 ans qu’on n’en parle plus. 

cafébabel : Internet est du coup devenu le terrain de jeu idéal ?

Clara Gonzales : Oui, en laissant parole à ceux qui n’avaient pas leur place dans les médias dominants, on a enfin créé une réaction citoyenne. Internet a clairement facilité la lutte. 

cafébabel : Le machisme envers les hommes, tu trouves qu’on en parle assez ?

Clara Gonzales : Le macho, c’est aussi quelqu’un capable de discriminer un homosexuel. C’est pour ça que les causes LGBT et celles qui concernent le sexisme sont liées. Le système dont on parle touche aussi énormément les hommes. Beaucoup de personnes nous ont demandé pourquoi on ne faisait pas d’actions contre le site Adopte un mec. Mais est-ce vraiment le cœur du problème ? Est-ce que ça veut vraiment dire qu’aujourd’hui en France, il y a un problème de sexisme envers les hommes ? Non, c’est complètement l’inverse. 

cafébabel : Certes. Mais il existe une catégorie d’hommes qui commence sérieusement à flipper quand ils voient les actions menées par les féministes. Persuadés qu’elles vont les castrer.

Clara Gonzales : C’est normal d’avoir peur de perdre tes privilèges ! On n’a jamais connu l’égalité. On vit sur Terre depuis des millénaires et on ne trouvera pas un moment dans l’histoire où les femmes étaient l’égal des hommes. Donc si aujourd’hui, on dit « si si on va y arriver, ça arrive au XXI siècle », c’est complètement normal que ça fasse flipper les gens. Les mecs comme les nanas d’ailleurs. Quand je vois des potes qui me disent « maintenant on est tous dominés par nos nanas », je pense que c’est surtout un bon moyen pour eux de fuir une relation amoureuse compliquée. Les relations amoureuses ont toujours été compliquées et le féminisme n’y a rien changé.

cafébabel : Pourquoi alors, des mecs continuent à penser que le féminisme c’est « les hommes sont tous des salauds et les femmes toutes des victimes » ?

Clara Gonzales : Parce qu’il a existé un mouvement féministe hyper-puissant dans les années 70. Un mouvement assez violent mais qui s’explique. Selon moi, une révolte ne se fait jamais la main dans la main avec l’oppresseur. Ça n’aurait pas de sens si les opprimés étaient guidés par ceux qui les oppriment. Autant de sens que si les Blancs avait mené la lutte pour les droits civiques des Noirs. On peut les inclure certes, mais c’est aux Noirs de mener leur lutte. Comme c’est aux femmes de mener la leur. 

cafébabel : Quelle est la conséquence aujourd’hui ?

Clara Gonzales : Il y a eu un retour de bâton. On a essayé de nous faire croire pendant longtemps que ce qu’avaient fait les féministes était mal, qu’elles voulaient dominer les hommes. On est resté sur cette construction sociale pendant près de 40 ans. Nous, on arrive sur un terrain un peu balisé. À nous de faire cette déconstruction là.

cafébabel : Et comment réagit-elle cette société de 2015 ?

Clara Gonzales : Elle est plus ou moins réceptive. Mais à la sortie de Macholand, on a quand même eu un papier dans Marianne qui nous expliquait que ce qu’on faisait, c’était du féminisme «  à la maman ». À un moment donné, quand tu es journaliste, tu enquêtes un peu. Moi, j’aimerais bien que cette nana m’explique en quoi elle a vu ça dans notre démarche. Pour moi, c’est juste un prisme de lecture qu’elle a hérité d’une classe dominante et qu’elle a accolé à notre démarche. C’est bête et réducteur.

cafébabel :  Elle vous reprochait aussi de mener des combats futiles au lieu de vous intéresser aux « inégalités hommes-femmes bien réelles » : écarts de salaires, violences domestiques, tâches ménagères…

Clara Gonzales :  Non mais à un moment on ne peut pas être partout. Déjà, on les traite ces questions et encore une fois, tout est lié. On s’attaque à un système et chaque organisation s’occupe de lutter contre différentes parties de ce système. Je ne vais pas aller voir une association contre les femmes battues en leur disant « mais pourquoi vous vous occupez pas des femmes qui gagnent moins que les hommes ? ». 

Vidéo de teasing avant le lancement de Macholand, le 14 octobre 2014.

cafébabel : Quelle a été la réaction de tes potes quand tu as créé Macholand ?

Clara Gonzales : J’avais des amis acquis à la cause sans être militant. Mais ce qui me satisfait le plus, c’est que j’ai des copines qui ne trouvaient pas forcément que le féminisme était une priorité et qui aujourd’hui viennent me voir en me disant « ah finalement, je me suis peut-être trompée ». Surtout après les mails d’insultes qu’on nous a envoyés. 

cafébabel : Vous en avez reçus énormément. Vous vous y attendiez ?

Clara Gonzales : Pas autant. Mais ça nous a bien fait marrer. Des gamins sur un forum de jeuxvideo.com expliquaient que si notre site avait pu être hacké, c’est parce que c’était du code de nanas. Or, c’est Elliot qui a fait le site ! Bref, on a aussi rassemblé la crème de leurs commentaires sur un tumblr associé au site

cafébabel : On reproche souvent aux féministes de ne pas avoir d’humour. Comment identifies-tu une blague macho ?

Clara Gonzales : Par l’exclusion. Encore une fois, je vais prendre l’exemple du racisme. Mais imagine que je suis assise en face de toi, tu es noir, je suis blanche. Je te fais une bonne blague bien raciste sur les noirs, tu rigoles ?

cafébabel : Bon. Ça dépend...

Clara Gonzales : Imagine que ton voisin de table mort de rire qui te ressort une deuxième bonne blague raciste. Et derrière tout le monde explose de rire. Puis le lendemain on t’en envoie une autre et à la fin on te dit « olala, t’es pas drôle, tu rigoles jamais, t’es pas ouvert d’esprit ». Par principe, si je rigole de ce que tu es, je t’exclue de ta possibilité de rire.  

cafébabel : Et quand tu lis, « le rugby féminin, c’est les soldes », ça ne te fait pas rire ?

Clara Gonzales : Non, je ne trouve pas ça drôle. Mais à la limite, ce n’est pas grave. Ça le devient quand tu balances des blagues sur le viol. 

cafébabel : Tu penses être une fille avec qui on prend des pincettes quand il s’agit de parler de féminisme ?

Clara Gonzales : J’espère pas ! Mais c’est vrai qu’il y a des personnes qui essaient de me provoquer. Quand tu es engagée, tu as une grille de compréhension qui n’est pas la même qu’une personne qui ne l’est pas. Tu peux rapidement t’enfermer et ne passer ton temps qu’avec les personnes qui pensent comme toi. Mais je ne pense pas que ce soit sain. Mieux vaut te confronter à d’autres lectures du monde.

cafébabel : Que penses-tu du niveau de compréhension du féminisme de notre génération ?

Clara Gonzales : On est plus averti. Maintenant faut faire attention. Je pense à cette génération de mecs qui ne comprennent toujours pas et qui flippent. On a aussi loupé le coche de l’éducation, dans la mesure où on continue à grandir dans des écoles où ne se respecte pas en tant que filles et en tant que garçons. Mais bon, on quand même avancé. 

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.