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L'upcycling et le défi d'une mode durable

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Cette semaine c'est l'édition 2019 de la Fashion Week à Paris. Et comme depuis quelques années, la question de la mode durable se pose, Cafébabel a donné la parole à Noémie, co-fondatrice de MANO Upcycled, une marque franco-belgo-nicaragueyenne. Elle nous explique ce qu'est le surcyclage, et comment des petites marques éthiques tentent de se faire une place parmi les géants de l'industrie de la mode.

La semaine dernière, les jeunes européen.nes et du monde entier marchaient pour le climat. Cette semaine, à Paris, c’est sur des podiums qu’on marche avec le lancement de l’édition 2019 de la Fashion Week parisienne. On parlera donc de l’annulation du défilé de Victoria’s Secret plus tôt dans l’année, de l’absence de Karl Lagerfeld, de la robe de telle influenceuse et de comment les pavés parisiens rendent la vie difficile aux talons aiguilles. Mais pas seulement.

On parlera peut-être aussi d’éthique, puisque tout comme leurs copains de l’industrie agro-alimentaire se sont mis au bio, les Stella, Hennes et Mauritz en tout genre se sont mis progressivement sur le chemin de la mode durable. Ou sur celui du greenwashing, selon la version.

Comment est-ce que les marques écolos plus petites tirent-elles leur épingle du jeu ? On a interrogé Noémie, co-fondatrice de la marque MANO Upcycled. Aux côtés de son amie Margaux, elle a lancé MANO en 2016 alors qu’elles habitaient au Nicaragua. Elles sont depuis revenues en Europe où Margaux continue seule à gérer leur marque et son déploiement en Belgique, alors que Noémie se concentre sur de nouveaux projets. Cette dernière nous raconte ce que son expérience dans une petite entreprise lui a appris sur l’éthique dans le monde de la mode.

Comment est-ce que MANO Upcycled a commencé ?

J’ai toujours voulu travailler dans la mode, mais j’avais toujours un problème de conscience par rapport au fait de produire plus que ce qu’il y avait déjà. Et d'avoir un enfant, ça m’a mis encore plus de poids sur la conscience quant à son avenir.

Une fois, alors que j’étais au Costa Rica pour quelques semaines, j’ai commandé des vêtements à une fille qui tenait une plateforme de vêtements vintage. Je m’étais dit que je les ramènerais au Nicaragua et que je les retoucherais moi-même. C’est là que l’idée a commencé à germer. J’en ai parlé à Margaux, en lui disant que j’avais envie de commencer une marque recyclée. Elle a tout de suite été emballée par l’idée. Et c'est comme ça que le nom de la marque, MANO, vient des deux prénoms Margaux et Noémie. Mais elle fait aussi référence aux produits faits main (mano signifie main en espagnol, ndlr).

La marque a pris forme à Grenade, ville située à une heure de la capitale. Dans cette ville à l’époque il y avait deux endroits où on pouvait trouver beaucoup de vêtements de seconde main et très bon marché.

En quoi l’Upcycling est différent du recyclage ?

Dans le fait de recycler, il y a un processus de transformation de l'objet. Autrement dit, tu pars du vêtement pour en faire quelque chose de complètement différent, comme on le ferait avec une bouteille en plastique qui devient de la fibre textile.

Dans l’upcycling, ou surcyclage en français, on utilise un vêtement de seconde main pour le transformer et l’améliorer, sans changer la fonction de l'objet. Le but étant de lui offrir une deuxième vie, et d'augmenter sa valeur.

Concrètement, vous avez commencé par quoi et par où ?

Aux États-Unis, les gens portent leurs vêtements en moyenne cinq fois et puis les jettent. Toutes ces poubelles sont envoyées dans des pays du Sud, dont le Nicaragua. On est donc allées dans des hangars où se trouvaient tous ces vêtements abandonnés, et on fouillait. La difficulté c’est que pour faire de la revalorisation, tu dois trouver des tissus de bonne qualité et de taille suffisante pour pouvoir en refaire des vêtements. On essayait aussi d’éviter les matières qui contenaient du polyester ou des choses similaires pour nous concentrer sur les tissus de matière naturelle. Donc on se dirigeait plutôt vers le coton, le lin, la laine, on a même trouvé de la soie quelques fois. Parfois on cherchait pendant des heures et des heures.

À partir de ça, comment on fait démarrer la machine ?

À la base, nous avons investi 150 dollars chacune dans le projet, principalement pour acheter des matières premières et payer la production. Dès notre première création, Margaux a ouvert un compte Instagram, et c’était parti.

On travaillait avec deux couturières indépendantes, à qui on apportait les vêtements et les design. On travaillait essentiellement sur des pièces uniques. On discutait avec les couturières d’un prix par pièce qui soit juste pour elles et pour nous.

Trois semaines après le début de la production, on a lancé notre premier pop-up store (magasin éphémère, ndlr) dans ma maison. On a invité d’autres marques nicaraguayennes qui partageaient les mêmes idées que nous.

Peu après, Margaux a été engagée par le centre culturel Apapachoa. Ils ont sponsorisé la marque en faisant construire un atelier sur leur site qui se trouve dans une communauté de producteurs de café près de Managua. Ça a permis à quatre femmes de cette communauté d’avoir accès à des cours de couture et confection. À travers ces cours-là on a créé des accessoires upcyclés, comme des chaussures ou des bijoux.

Est-ce qu’il a été facile de se faire connaître au début?

Les choses ont évolué rapidement, on a été invitées tout de suite sur des plateaux télé. C’est principalement dû au fait que l’engouement pour la mode est relativement récent au Nicaragua. Il y a beaucoup d’artisans nicaraguayens, mais ce sont des logiques différentes que dans la mode.

Au Nicaragua dans la vente, tu trouves beaucoup d’articles qui viennent de Chine, mais tu as aussi énormément d’artisans qui travaillent le cuir, le tissage et la broderie. Et du coup assez récemment, des entrepreneurs ont commencé à mettre réellement en valeur la mode. Et c’est comme ça qu’ont commencé la Nicaragua Fashion Week et Nicaragua Diseña à laquelle on a d’ailleurs été invitées. Avec nos couturières de chez Apapachoa.

Tu en es où trois ans après ?

J’ai laissé la marque à Margaux. Lorsque nous avons été invitées à la Nicaragua Diseña, je me suis rendue compte des limites de notre business model. Nous étions trois marques soutenables, et une d’elles appartenait à des Espagnoles (Back to Eco, ndlr). Elles avaient réussi à vivre de leur activité parce qu’elles avaient choisi de se concentrer uniquement sur une matière, le jeans, et qu’elles faisaient des séries limitées de mêmes pièces. Nous à ce moment-là, nous ne faisions que des modèles uniques, ce qui représente un travail énorme puisqu’à chaque fois il faut refaire un patron. Parce qu’avant l’achat les personnes devaient venir essayer chez nous pour faire des essayages, etc. On ne dégageait pas assez de bénéfices pour pouvoir nous rémunérer et vivre de ce que nous faisions.

Est-ce que tu penses que lancer ce genre de projet est plus facile au Nicaragua, ou ailleurs, qu’en Europe ?

J’avais le sentiment qu’il y avait plus de libertés à lancer un projet de ce type au Nicaragua, mais avec le recul, je pense que c’était aussi parce qu’à titre personnel je me sentais plus libre.

Ceci étant dit, c’est vrai qu’au Nicaragua il y avait moins de démarches administratives qu’en Europe. La mode a aussi un statut particulier puisque les gens ne s’y intéressent réellement que depuis dix ans. Il y a donc énormément d’espace pour les jeunes créations. Et assez d’engouement en ligne générale de petits entrepreneurs, souvent à finalité éthique ou durable.

Étant donné que le Nicaragua se trouve dans une zone tropicale, il est plus directement touché par les conséquences du réchauffement climatique. Est-ce que cela entraine un rapport différent à tout ce qui vise à réduire l’impact écologique de la production, y compris dans la mode ?

Une partie de la population va se sentir très concernée alors que l’autre nettement moins. C’est encore un pays en voie de développement, donc beaucoup de gens n’ont pas conscience des dégâts que peuvent causer le réchauffement climatique ou une mauvaise gestion des déchets. Après j’avais le sentiment qu’en Amérique Latine, et peut-être surtout au Nicaragua, ils vivent différemment qu’en Europe. Par exemple, ils vivent sur ce qu’ils gagnent à la journée, il y a moins ce réflexe de penser à très long terme.

Mais de l'autre côté, tu as aussi toute une autre partie de la population qui vit beaucoup au contact avec la nature. D’autant plus que le gouvernement Nicaraguayen avait vendu une partie de ses terres à la Chine pour construire un canal comme au Panama. Donc beaucoup de déforestation et de déplacement du peuple. Eux sont directement touchés par les dérives. Ils sont donc très conscients et essayent de faire bouger les choses. Par exemple, Matute (musicien connu au Nicaragua, ndlr) a racheté des terres dans le nord du Nicaragua pour les reforester. Il a profité de sa posture et de sa carrière pour promouvoir la cause de la préservation de l’environnement.

Il y a aussi un éveil de conscience en Europe. Mais dans le domaine de la mode il est très progressif. On sait que Nike n’a pas les pratiques les plus soutenables qui soient, mais on a quand même envie de cette paire de baskets.

Et maintenant que tu es de retour en Europe, quoi de neuf ?

À présent, je travaille sur un nouveau projet que j’avais commencé à Marseille. La marque s’appelle Acotewa - A Child of the Earth with Attitude. J’avais trouvé une boutique qui vendait des rouleaux de tissu de grandes marques en fin de séries ou de l’année précédente. Ils étaient donc de bonne qualité, et me permettaient de faire plusieurs tailles d’un même modèle. Autrement, j’utilise aussi des restes de tissu que je trouve au Bénin, puisque là aussi il y a énormément de vêtements et de tissus de seconde main.

Je travaille avec une couturière à Marseille et deux au Bénin, que je paye le même montant. Je me suis calée sur les prix de la couturière en France. Je voudrais aller encore plus loin dans la réflexion sur l'éthique, par exemple en sélectionnant les matières utilisées. Parce-que même si c’est du coton bio, ça utilise énormément d’eau. Je n'en suis qu'au début de la marque, avec un premier lancement de bobs et autres chapeaux upcyclés - mais c’est une évolution constante à ce jour dans ma tête.

Voir aussi : « The true cost : la mode à quel prix ? »

Selon le Global Fashion Agenda, forum réunissant pas mal de marques y compris certains grands noms de la Fast Fashion, l’intérêt d’être plus soutenable est aussi dû aux nécessités d’un secteur en déclin. Le changement climatique impacte les lieux de production, l’accès et les prix des matières premières. Dans ce cas-là, on revient dans une logique purement économique et de profit. Est-ce compatible avec une réelle démarche éthique?

Dans mon entourage personnel, j’ai surtout été entourée par des personnes qui étaient plus motivées par des convictions que par l’argument économique. Et même s’il faudrait sortir d’une logique purement économique, si ça a un impact positif sur la planète, ça peut être un début. Et, la question de la rentabilité restera une vraie question puisqu’au aujourd’hui c’est difficile d’être complètement éthique et d’en vivre.

Il y a aussi un travail à faire un niveau du consommateur - au final c’est lui qui a le choix. Et un pouvoir de faire flancher l’industrie, in fine.

Par exemple, au cours des dernières années le nouveau métier d’influenceur a émergé. Les marques en sponsorisent certains et leurs offrent des produits pour pousser à la consommation du réseau qui « suit » cette personne. Le public a donc une fois de plus l’impression que pour être cool il faut toujours avoir le dernier modèle de chaussure, le nouveau vêtement, etc. On revient donc dans une logique de surconsommation, ce qui veut aussi dire surproduction. Et avec, tous les impacts négatifs d’un point de vue éthique et environnemental que cela génère.

Quelles sont les difficultés à se positionner dans un marché où l'éthique est aussi un argument de vente ? J’imagine que de faire de l’éthique entraîne des coûts plus importants, et donc un prix plus élevé pour le consommateur - or quand on est H&M et qu’on fait une marque conscious on peut se permettre de garder des prix bas.

Je me souviens quand les premières pub pour H&M Conscious sont sorties, elles me faisaient doucement rire. Si on essaye de vous vendre un pull en coton recyclé, éthique etc à 9,80 euros, ce n’est pas possible qu’il le soit.

Quand tu as une micro-entreprise, et que donc tu ne produis pas en grande quantité, entre le prix du tissu, le prix de la confection, etc, tu aurais des pièces que tu devrais vendre à plusieurs centaines d’euros. D’autant plus que quand tu fais les choses toi-même ou que tu es de petite taille dans le domaine de la mode, en général tu multiplies ton coût de revient environ par trois pour obtenir ton prix de vente. La différence doit servir à te rémunérer, toi le créateur. Dans les grandes marques, ils peuvent même parfois multiplier par six.

Donc même si le tissu n’est pas cher à la base, en comptant la main d’œuvre, la conception, le transport, la douane, le prix du loyer ,les étiquettes etc, je ne vois pas comment c’est possible de faire une marque éthique en vendant une pièce à 10 euros.

La Stockholm Fashion Week a été annulée cette année, justement pour prendre le temps de penser à de nouvelles pratiques dans le monde de la mode. A la place ils ont mis en place un incubateur pour soutenir les marques fragiles réellement durables qui doivent faire face aux attaques de greenwashing des grandes marques. Est-ce qu’il y a des initiatives semblables desquelles MANO a pu bénéficier ?

On n’a pas été dans des programmes pareils, ni on a pu en bénéficier. Mais j’ai l’impression que les pays nordiques ont toujours quelques pas d’avances sur ce genre de questions.

À Paris, la mairie a soutenu Paris Good Fashion une initiative qui vise à mettre en place des mesures qui rendraient la ville de Paris la « capitale de la mode soutenable » d’ici 2024. Tu y crois ?

À moitié. Pour l’instant c’est une mode d'être durable, clairement. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise mode.


Voir aussi : « Zéro déchet : à fond la forme ? »

Photo de couverture : © MANO Upcycled