L'Union européenne face au choix de la véritable unité
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Dans une tribune parue dans Libération, Thomas Piketty, économiste français et directeur d'études à l’École des hautes études en sciences sociales, aborde le délicat sujet qu'est l'avenir économique de l'Union européenne.
Dans la tribune de Thomas Piketty publiée le 29 décembre dernier dans le quotidien français Libération, il est notamment question des stratégies frileuses des dirigeants européens, qui n'ont apparemment pas su tirer les leçons de l'Histoire. Le temps est venu de traiter la maladie plutôt que les symptômes.
LuxLeaks l'a montré, l'Europe n'est unie que jusqu'à un certain point. Les pays européens ont décidé de s'unir pour se protéger du reste du monde, mais reste à savoir qui les protégera des autres membres. Et tout le paradoxe de l'Union européenne est là : elle a monté ses propres membres les uns contre les autres dans le but de conserver la concurrence, sans se doter d'organes de gouvernance suffisamment flexibles - avec la règle de l’unanimité en matière fiscale - pour permettre de trancher dans le sens d'une majorité bienveillante. L'opacité financière et le siphonage inter-souverainetés, dénoncés par une majorité de pays européens de plus en plus frustrés souhaitant y mettre un terme, risquent bien de précipiter son déclin.
Prisonniers de ce statu quo, les pays membres - comme la France ou l'Allemagne au lendemain de la guerre, toutes deux endettées à 200 % de leur PIB en 1945 et à environ 30 % en 1950 - ne peuvent manœuvrer (inflation, répudiation) pour libérer une part suffisante de leur budget et investir dans la croissance. Les pays les plus solides de l'Union, en refusant de prendre des mesures d'allègement allant dans le sens des plus fragiles (nommons les, les pays du Sud), les étouffent à petit feu.
Une monnaie unique pour 18 dettes publiques et 18 taux d’intérêt différents - sur lesquels les marchés financiers peuvent librement spéculer - revient à prêter le flanc et attendre que le coup parte. Alors que le reste du monde se relève, l'UE est encore en pleine récession. On peut remercier l'austérité dictée par l’Allemagne et la France, avec son rythme intransigeant assorti de sanctions carton-pâte. Aujourd'hui, l’Italie consacre près de 6 % du PIB à payer des intérêts de la dette, et investit à peine 1 % du PIB dans l’ensemble de ses universités. Terrifiant.
L'Europe, plus que d'être le paratonnerre des gouvernements, devrait être la porte de sortie de la crise. Seul hic : les traités entravent la route. Ces mêmes traités que certains pays ont conçus pour défendre leurs intérêts - car à économie différente, besoins différents. L'idée de l'UE était de faire pot commun, d'investir chez le voisin pour en faire le moteur qui prendrait le relais des pays les plus prospères - aussi les plus vieillissants. Quelque part en route, elle a changé.
Les solutions sont radicales. Il faudrait fluidifier les processus décisoires en instaurant un vote à majorité au sein des institutions. De la sorte, les pays membres n'offriraient plus le flanc aux forces spéculatrices, mais à un autre membre, avec lequel il est censé partager des intérêts. Il faut retenir les leçons du contrat social : la sécurité nécessite un sacrifice de liberté. Il faudrait également investir massivement dans les économies à la traîne, comme l'Allemagne l'a fait après la réunification, pour harmoniser les situations économiques et les attentes des pays. Ainsi, et seulement ainsi, les pays membres de l’UE pourront parler du même souffle et avancer du même pas.
Les seuls partis qui semblent ouverts à un approfondissement communautaire sont les nouveaux partis d'extrême gauche émergents (Syriza et Podémos qui sont - faut-il le rappeler - profondément pro-européens). Plutôt que de les mettre au ban de l'UE, la solution serait de tenter de reconstruire l'Union avec leur concours. L'alternative est l'extrême droite, qui attend son heure, à moins qu'une nouvelle crise ne décide pour nous.