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Lula, Samba, União Europeia ?

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Porteur de projets très ambitieux pour lutter contre la pauvreté au Brésil et dans le monde, « Lula » peut-il être un partenaire de poids de l’Union Européenne dans la promotion d’une «altermondialisation » ?

Carlos Rezende est journaliste correspondant à la Commission Européenne pour plusieurs journaux de la région de São Paulo. Lorsqu’il évoque l’élection d’Inacio Lula Da Silva à la tête du pays qu’il a quitté il y a 6 ans pour venir s’installer à Bruxelles, ses yeux pétillent, l’accent brésilien chantant s’accentue et les adjectifs pour qualifier l’élection d’un ancien métallo à la tête de la première puissance économique et démographique d’Amérique latine s’enchaînent à un rythme de samba. « Indescriptible, historique, une véritable première, non seulement pour la démocratie brésilienne, mais aussi sud américaine et même mondiale ».

30 milliards de dollars par le FMI

Le constat paraît en effet à peine exagéré tant l’élection d’ Inacio Lula Da Silva par 52 millions d’électeurs en octobre dernier symbolise la vitalité de la démocratie brésilienne et représente un espoir réel de renouveau pour une société dans laquelle 37% de la population peut être considérée comme pauvre d’après les estimations de la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal).

Depuis 6 mois, la nouvelle équipe gouvernementale dispose de marges de manœuvre politiques réelles pour transformer la vie des 175 millions de Brésiliens. Lula ne dispose que de 91 des 513 députés nationaux et de 14 des 81 sénateurs mais possède un monopole dans l’initiative des lois en matière budgétaire et de la possibilité de recourir à des décrets d’urgence d’application immédiate. Cette marge de manœuvre lui a permis de lancer dès son arrivée le programme « Faim zéro », qui va coûter au Brésil environ 1,5 milliards d’euros.

Avec la lutte contre la pauvreté, la réforme agraire est la deuxième grande priorité de la nouvelle équipe en place, dans un pays où 1% des propriétaires détiennent toujours 50% des terres cultivables.

Lula a aussi fait la promesse de doubler le salaire minimum des brésiliens en reposant sur ses capacité de négociation grâce au soutien très prononcé des syndicats mais aussi aux contacts très rapprochés avec les élites industrielles du pays ralliées au vice président Alencar avec qui Lula a fait alliance lors de l’élection présidentielle pour obtenir une majorité suffisante.

Dans la mise en œuvre de ses projets, le principal ennemi de Lula demeure la dette du secteur public qui nourrit un cercle vicieux aux effets macroéconomiques et politiques désastreux.

Malgré ces fortes pressions, la situation a été jusque là bien gérée par Antonio Palocci, ancien médecin co-fondateur du Parti travailleur avec Lula et nouveau ministre des finances qui a su administrer les bons remèdes à l’économie brésilienne. En s’engageant à stabiliser les finances publiques brésiliennes, le gouvernement a, jusqu’à présent, gagné la confiance des marchés financiers et du Fond Monétaire International qui au moment de l’agitation de l’été dernier a annoncé l’octroi d’un prêt de 30 milliards de dollars.

Le multilatéralisme: un intérêt euro-brésilien

De l’autre côté de l’Atlantique, les gouvernements de l’Union Européenne qui observent de près les premières mesures prises par Lula s’accordent pour considérer que cet événement majeur pour la démocratie sud-américaine constitue également une occasion unique pour l’Union Européenne de trouver un allier de poids dans la construction d’un ordre international fondé sur le multilatéralisme.

Le Brésil constitue en effet un partenaire commercial essentiel de l’Union Européenne. L’UE est à la fois la première destination des exportations brésiliennes et le premier importateur au Brésil. Face au projet d’Accord de libre commerce des Amériques (ALCA) les décideurs européens ne souhaitent pas cette fois faire la même erreur qu’avec le Mexique et laisser la chance aux Etats Unis de redevenir le principal partenaire commercial du Brésil.

Lula de son côté semble avoir fait le choix du renforcement du Mercosur afin de négocier d’égal à égal avec l’Union Européenne et les Etats Unis. Le président du Brésil a rapproché le Mercosur, l'union douanière du Cône Sud, de l'ensemble de la Communauté andine des nations (CAN), au récent sommet de Rio Negro (Colombie). En s'appuyant sur une alliance stratégique avec l'Argentine, le Président Lula da Silva veut développer le Mercosur sur le modèle de l'Union européenne : achever l'union douanière en 2006 (objectif fixé au Sommet d'Assomption en juin 2003), engager une coordination des politiques macro-économiques, renforcer les institutions du Mercosur (secrétariat exécutif, création d'un Parlement) et mettre en place des politiques communes, notamment dans le domaine social.

En matière de politique étrangère, les premières initiatives de Lula semblent montrer la convergence d’intérêt du Brésil avec l’Union Européenne pour promouvoir un ordre international multilatéral.

Un problème: la PAC

« L’Itamaraty, le service diplomatique brésilien est traditionnellement divisé entre deux pôles, l’un pro-américain et l’autre souhaitant renforcer les relations du Brésil avec les autres grandes puissances au premier titre desquelles l’Union Européenne. Et depuis quelques années, le second pôle semble prendre le dessus, conforté par l’élection de Lula » explique Carlos Rezende. Cette nouvelle orientation s’est exprimée lors du soutien au président vénézuélien Hugo Chavez lors de la grève générale d’automne 2002. Mais non content de commencer à exercer un leadership régional, le Brésil a amorcé, le 6 juin, une alliance avec l'Afrique du Sud et l'Inde. Les trois pays ont déjà emporté une bataille ensemble contre les multinationales pharmaceutiques, pour démocratiser l'accès aux soins du sida.

L'alliance pourrait prendre une autre envergure et signification si elle était étendue à la Russie et à la Chine, comme le voudraient certains à Brasilia. Malgré un air de déjà-vu qui renvoie à la conférence de Bandoung et à l'origine du Mouvement des non-alignés, le projet s'inscrit dans la perspective d'une réforme de l'ONU et de son Conseil de sécurité, ainsi que d'un monde multipolaire, pour reprendre une expression utilisée dans plusieurs capitales, et en particulier à Paris.

Dans ce contexte, le Brésil de Lula semble donc être un partenaire idéal pour l’Union européenne dans son combat pour exister en tant qu’acteur sur la scène internationale. Mais plusieurs obstacles subsistent des deux côtés de l’Atlantique pour que cette convergence d’intérêt ne se traduise par des initiatives communes

Pour l’Union Européenne, la définition d’une politique étrangère commune reste sujette à de sérieuses perturbations comme l’a illustré la crise irakienne. Pour travailler de concert avec le Brésil, le renforcement de la lisibilité de l’action extérieure de l’Union semble une condition sine qua non. Ainsi, la réforme de la Politique Agricole Commune décidé en juin qui maintient un niveau conséquent d’aides pour les exportations de produits agricoles européens avant la reprise des négociations à l’organisation mondiale du commerce (OMC) à l’automne prochain a été très mal perçue à Brasilia qui défend la cause des pays en développement.

De son côté le Brésil pour devenir un partenaire de poids de l’Union Européenne va devoir faire la preuve de sa capacité à engager les réformes nécessaires au niveau interne en dépit de fortes restrictions budgétaires. Au niveau international le Brésil sera jugé par sa capacité à assurer un leadership régional pour faire du Mercosur une réelle puissance régionale. Lula qui avec 61,3% des voix a été le mieux élu de l’histoire du Brésil démocratique a une légitimité indéniable pour relever ces défis et éviter au Brésil ses naufrages du passé. Mais réformer la société brésilienne sur la voie de la justice sociale est un projet de longue haleine. Comme aime à le dire Lula avec pragmatisme, « on ne peut pas faire un virage à 180° avec un transatlantique ».